vendredi 20 février 2009

La chanson québécoise et l'anarchisme

Ce sujet mériterait une série de livres. Il y a peu de "grands" chansonniers québécois et de "grandes" chansonnières québécoises qui se sont revendiqué-e-s, comme Brassens, Renaud et Ferré en France, de l'anarchisme. Les paroles de certaines chansons de Vigneault ont pourtant souvent chez moi eu plus d'effet que les grands classiques anarchistes. Notons par exemple "Les Voyageurs"[1] et "Les beaux Métiers", qui font selon moi partie des meilleures chansons pacifistes et anti-autoritaires du répertoire francophone. Leur qualité et leur radicalité sont puisées dans leur subtilité, dans leur ton et dans leur contexte d'écriture. Mais je traiterai du cas du "nationaliste" Vigneault dans un autre billet.

Avec toutes les contradictions que ça entraîne, Richard Desjardins et Robert Charlebois se sont revendiqués de l'anarchisme. Desjardins, qui appuie néanmoins Québec Solidaire mais qui dit ne pas avoir l'habitude de voter, s'est déjà décrit comme un "anarchiste conservateur". Quant à Charlebois, c'est tout juste avant les élections de 2008 qu'il a affirmé à une journaliste de La Presse qu'il était "anarchiste". Plutôt que de les condamner comme des imposteurs, des fanfarons ou des vantards, je préfère leur laisser le bénéfice du doute, ne souhaitant pas déterminer si oui ou non on peut être ET anarchiste ET confortable, ni départager qui est véritablement anarchiste de qui ne l'est pas (parce que voyez-vous, j'ai aussi des choses à me reprocher, et si je ne me décris comme anarchiste qu'en riant, je déteste quand même qu'on m'accuse d'en être un faux - je suis contre ce genre d'exercice de classification auquel personnellement je me livre seulement en cas de nécessité absolue).

C'est bien sûr à cause de la question nationale que le sujet de l'anarchie n'a pas été traité abondamment dans la chanson québécoise. C'est le fleurdelysé qui a été brandi en guise de drapeau noir par les artistes. Ne reprochons à certain-e-s d'entre eux que de s'être laissé-e-s embobiner par cette analogie grossière.

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[1] "Les voyageurs ont déserté / La troupe et la querelle / S'il y avait plus de voyageurs / Il y aurait moins de ces grands seigneurs / Qui vous envoient au champ d'honneur / Par gloire personnelle / Si ma chanson ne vous plaît pas / J'irai la dire aux gens d'en bas..." D'autres passages font référence aux "Gens d'en haut" et les opposent aux "Gens d'en bas" (qui sont tellement nombreux qu'on peut les envoyer se faire tuer sans que ça paraisse). C'est une allusion à la fois aux différences de classes et au conflit mythique entre les masses francophones et l'élite anglophone, "en haut" du Mont Royal - une expression qui rappelle aussi une comptine hargneuse des Montréalais francophones de la classe ouvrière dénigrant leurs patrons anglophones. Pardon à mes camarades anglos de ressortir du placard ce vieux quatrain, mais en voici les paroles: "Les Anglais en haut d'la côte / qui nous pitchent des roches / si j'en pogne un enfant d'chienne / m'a y tordre la poche". (Si vous connaissez cette chanson, signalez-le-moi). Bref, l'utilisation par Vigneault de cette figure est parfaitement claire.

jeudi 12 février 2009

Comment l'anarchie est-elle possible? (5) La Police

Les hommes des Lumières s'étonnaient de voir que les sociétés amérindiennes d'Amérique du Nord fonctionnaient sans lois et sans répression[1]. À une agression ou un vol suivait généralement une réparation matérielle ou morale de la part de la personne jugée responsable. Le système entraînait certainement des abus mais ne causait pas la dissolution de la communauté, ni le chaos. L'emprisonnement et la peine de mort étaient rares.

Maintenant que la police est bien installée, elle ferait, selon toute vraisemblance, régner la loi et l'ordre à la grandeur du monde (sauf peut-être en Somalie et en Antarctique). Mais à quoi sert-elle exactement? Que nous apporte-t-elle? Les partisan-e-s des forces policières reprochent aux libertaires de conspuer un service dont eux-mêmes ne pourraient pas se passer. Les choses pourraient-elles en fait fonctionner autrement?

Ce billet vise à remettre en question l'efficacité de la protection policière, ainsi que son utilité. Il sera séparé en différentes sections, suivant les principales motivations qui peuvent pousser une société à accepter la présence policière en son sein.

1. ÊTRE PLUS FORT QUE LE CRIME

Armée jusqu'aux dents, théoriquement, la police est censée pouvoir opposer à un tiers parti agressif une force de frappe supérieure à la menace pesant sur le public. Ainsi, face à un bandit brandissant une arme à feu, seule une force policière est en mesure de répliquer; le public, non-armé, est incapable de se défendre contre une agression sophistiquée.

Dans les faits, accepter la protection policière comme le seul palliatif à la menace de la coercition, c'est ignorer les causes de la violence criminelle et renoncer à tenter de les limiter, voire de les anéantir. La criminalité organisée et violente serait dans un équilibre précaire dans une société qui:
- ne fournirait pas de recrues parmi les indigent-e-s;
- ne produirait pas d'armes et de munitions;
- serait formée d'humains soudés (mais libres) capables de s'entraider et de faire face aux menaces internes par un soutien actif aux individus en dérive.

Bref, éliminer la pauvreté et ainsi donner des alternatives au crime serait sans doute suffisant pour réduire de manière radicale la tentation que peuvent ressentir les individus d'avoir recours au crime pour en tirer un quelconque profit. La disparition des armes à feu réduirait également les menaces potentielles. Si une dizaine de citoyen-ne-s peuvent être facilement mené-e-s par la pointe d'un seul fusil, ils/elles peuvent facilement se défendre contre un seul voire quelques bâtons, couteaux, arcs, explosifs rudimentaires ou toute autre arme fabriquée maison. Dès lors qu'il n'y a plus de production industrielle d'armes domestiques, l'intervention d'une unité de sécurité armée spécialisée n'est plus requise en tout temps et la coercition violente peut être combattue par des gens ordinaires grâce à la simple force du nombre et la vigilance.

Nous avons eu la preuve, avec l'histoire d'Anas, de Villanueva et des autres meurtres commis par la police, plus particulièrement celle de Montréal, que la présence de crétins en uniforme et armés n'est pas un gage de protection contre les tireurs fous - ce serait plutôt le contraire.

2. ASSURER UNE SURVEILLANCE CONSTANTE

Peu importe le nombre de patrouilleurs/euses, la vente de drogue se poursuivra, ainsi que les agressions isolées et les viols. Il est rarissime que la police arrive sur les lieux d'un crime alors qu'il est en train de se produire, à moins qu'il s'agisse d'un guet-apens. Toutefois, bon nombre de crimes sont commis devant des témoins qui décident de ne pas s'impliquer pour des raisons diverses, ou qui, après avoir appelé les services d'urgence, se terrent dans un abri.

Il est beaucoup plus simple de s'impliquer directement sur les lieux d'un crime que d'attendre une intervention policière. Pas besoin de jouer aux héros solitaires: une demande d'aide par un témoin au voisinage peut encore se révéler plus rapide et plus efficace qu'un appel désespéré au 9-1-1. Pouvoir organiser une battue, une poursuite ou même une enquête en mobilisant rapidement les individus se trouvant à proximité dynamiserait la lutte contre la violence et la coercition. Le succès de l'entreprise ne serait finalement plus relié qu'à une question de volonté, de non-indifférence, de modération (pour éviter les débordements en présence d'un-e coupable) et surtout de disponibilité.

3. DISSUADER LE CRIME PAR LA PEUR

La peur de la répression est un outil efficace, mais peut s'apparenter à un filtre qui s'encrasse. Elle dissuade peut-être quelques criminel-le-s potentiel-le-s d'outrepasser les lois, mais peut aussi les conduire à poser des gestes tout aussi répréhensibles, toutefois impunis parce que situés à la limite de la légalité. C'est entre les paragraphes des lois que sont agglomérés les pires crosseurs de la planète. Et l'État comme le capitalisme, qui se repaissent des escroqueries ordinaires, ne feront hélas jamais plus que le minimum pour faire cesser des activités qui ne menacent pas leur Ordre nauséabond.

De plus, la terreur face à la punition est justement une dérive de notre société autoritaire à éliminer. Cette crainte est plus forte que la compassion pour les victimes et bien plus présente dans l'esprit d'un-e criminel-le que la peur d'être remis-e réellement face à la responsabilité de ses actes. Blesser une connaissance, perdre la confiance d'un groupe ou d'un individu n'entre pas en ligne de compte dans une société individualiste qui dépersonnalise les êtres humains (et donc les victimes potentielles). Il existe d'autres solutions que la dissuasion par la force pour convaincre les gens de ne pas se livrer à des activités néfastes pour l'humanité.

Rien ne garantit, de toute façon, que cette peur disparaîtrait en même temps que la police. Bien des gens pourraient avoir des réserves à l'idée de commettre un crime crapuleux par crainte de la réaction excessive d'une foule vengeresse[2]. J'imagine que les sociétés débarassées de la police mais devant arrêter des assassins ou des "pédophiles" développeraient, à la longue, des mécanismes de défoulement pacifique afin de limiter les débordements. Mais je n'ai pas actuellement en ma possession des informations qui me permettraient de spéculer là-dessus.

4. PROTÉGER LA PROPRIÉTÉ PRIVÉE

En admettant qu'elle existe encore et qu'on puisse ainsi accumuler de manière productive le résultat d'un vol...

CONCLUSION

Faire disparaître les services policiers ne serait pas une garantie de liberté absolue: les gens pourraient en venir à se surveiller et à se suspecter mutuellement de manière tout aussi néfaste et liberticide, ou encore poursuivre la répression policière en instaurant un nouveau service ayant des pouvoirs et une fonction analogues. Bref, il faut toujours se méfier autant du policier qui nous pourrit l'intérieur du crâne que de celui qui nous en pourrit l'extérieur à coups de matraque.

Néanmoins, on pourrait trouver de nouvelles fonctions aux flics si les individus s'impliquaient davantage auprès de leur communauté, jouant un autre rôle que celui de larves inertes. Les plus cyniques d'entre nous (ou les plus enthousiastes) diront que les conditions à la disparition du métier de terroriste d'État ne seront remplies qu'après une révolution ainsi que trois génération de mutation sociale. Eh bien soit! En attendant, faire comprendre aux bonnes gens que la police est facultative et loin d'être au-delà de tout soupçon libèrera les mentalités d'un immense fardeau.

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[1] Je sais que mon introduction pourrait plaire à Anne Archet. La plupart de mes informations sur les autochtones sont cependant tirées des observations de Gabriel Sagard, un clerc, et non un anthropologue.
[2]Le droit de minorités face à des majorités surpuissantes et surexcitées pourrait aussi susciter des ennuis.

dimanche 8 février 2009

"Manifeste pour de meilleurs excréments", ou une anale analyse du travail

J'écris ce billet en réaction au débat peu civilisé qui fait rage auprès de quelques-uns de mes camarades. Tout d'abord, pardon à Coeus, que j'ai malmené dans un des commentaires de mon blogue. J'oublie parfois que 97% de l'humanité ne pense pas comme moi (mal lui en prend). Ensuite, bravo à Steffen pour son calme socratique, même si je ne comprends jamais un traître mot de ce qu'il écrit (J'IRONISE, bien entendu).

En ce qui me concerne, je crois que le travail est désagréable, et pour cela je voudrais ne jamais travailler. Si je n'avais pas à accomplir des tâches indignes, j'occuperais sans doute mon temps à rendre service, ce qui me rendrait plus heureux.

Parfois, dans le métro, avant de me rendre dans un bureau sec et froid, je croise une personne qui sanglote, et tout de suite je me sens étourdi par cette affreuse souffrance qui la secoue.

Pourquoi je ne m'arrête pas? Pourquoi je ne pose pas une main sur son épaule, lui proposant un kleenex et éventuellement un café? PARCE QUE JE SUIS TENU DEVANT CONTRAT DE ME PRÉSENTER DANS MON BUREAU SEC ET FROID À UNE HEURE PRÉCISE ET DÉTERMINÉE D'AVANCE! Pas le temps de comprendre la tristesse d'un nobody. Peu à peu, je m'endurcis et le fait de laisser les gens dans la dèche ne m'émeut plus, et même quand j'ai le temps de m'arrêter, au bout du compte, je le fais encore rarement. Parce qu'étant un habitué de la ponctualité, cette immonde déformation due à quinze ans de TRAVAIL, j'ai appris au fil des indifférences à passer mon chemin comme un automate insensible, ne voulant rien retarder à mes projets nauséabonds et putrides. Je ferme les yeux sur la souffrance même dans mes temps libres parce que mes temps ne sont jamais libres, ils doivent être rentabilisés au maximum dans leur valeur de plaisir.

Le travail est donc un paradigme plus qu'une activité reliée à la survie. Quand on travaille, on travaille. Quand on s'amuse, on travaille. Quand on baise, on travaille. Il n'y a finalement que quand on chie qu'on ne travaille pas. Cette activité autant ludique qu'essentielle et satisfaisante produit une substance honnie et considérée comme totalement improductive par celui ou celle qui l'évacue... Mais si je vous disais que la merde était la solution au problème du travail?

En effet, il ne suffirait aux humains que de renverser le paradigme pour s'émanciper totalement du travail. Ainsi, au lieu de s'amuser pour se détendre, de se détendre pour mieux travailler, de travailler pour travailler et de chier pour rien, nous devrions nous détendre pour nous détendre et vivre de nos excréments. Comment? C'est bien simple. Nos déjections ne sont non pas des déchets, mais le seul terreau fertile dont nous disposions gratuitement. Évacuer notre matière à des endroits bien éclairés et à des intervalles réguliers, si possible en rangs parallèles, permet éventuellement à celui ou celle qui sait attendre de récolter les fruits et légumes essentiels à la survie. Pour ainsi assurer votre subsistance, il va cependant falloir que vous preniez bien soin de votre potager révolutionnaire, en l'arrosant proprement (ai-je vraiment besoin de vous dire avec quoi) et en avalant scrupuleusement tous les noyaux, graines, germes des végétaux que vous consommerez.

Cela peut peut-être vous paraître dégoûtant, mais c'est la seule alternative réaliste et mondiale au problème du travail. Si notre idéal se réalise, songez qu'après le Grand Soir de la révolution, face au slogan réactionnaire "Arbeit macht frei", vous pourriez répondre avec théâtralité, tout en vous torchant: "Mon cul!"

Maurice Dantec

Selon lui, tout le monde est nazi, sauf les hommes blancs d'extrême-droite.