mercredi 11 décembre 2013

Petit ménage dans mes liens.

Je prends une pause au milieu de la frénésie de la fin de session pour communiquer quelques nouvelles. Rien de grandiose et de certain, pour le moment, malheureusement.

Liste de liens

Ça me brise le coeur, mais j'ai dû supprimer des blogs de ma liste pour des raisons diverses. Si certains d'entre eux ont migré sans que j'en sois conscient, je vous prierais de bien m'avertir.

Les liens retirés:

Saint-Henri Chronicles
Raison: C'était un excellent blog, mais les billets ont tous disparu.

http://danslinternet.wordpress.com/
Raison: Comme le dit Wordpress, « http://danslinternet.wordpress.com/ est coché privé par le titulaire.»

Raison: Un autre très bon blog, mais il n'y a pas eu de mise à jour depuis 2012, après la publication du rapport final.

L'Agitateur
Raison: Idem. Pas de publication depuis novembre 2012.

Les liens corrigés:

La Pointe Libertaire a migré vers http://www.lapointelibertaire.org/

Tintanar a migré vers http://www.tintanar.org/

Anarcho-pragmatisme (David Gendron) a migré vers http://davidgendron.wordpress.com/

Les liens en standby: 

Voix de Faits
Raison: Coudonc, est-ce que c'est le collectif ou juste le blog qui est mort?

Tentative de vulgarisation de l'anarchisme
Raison: Les textes sont encore pertinents, mais il n'y en a pas de nouveaux. Pour l'instant, je garde le lien en tant qu'archive.

Les nouveaux liens:


Florence et l'Univers

Raison: Parce qu'il y a de beaux textes.

Collectif Emma-Goldman
Raison: Pourquoi je l'ai pas ajouté plus tôt?

Si vous me lisez régulièrement[1] et que vous avez vous aussi un site web, il est possible en tout temps de me demander de vous ajouter sur ma liste. Je ne vous garantis pas une publicité d'enfer - quoique la police et le DoD passent de temps en temps - mais c'est mieux que rien. Notez aussi que les blogs de gens qui ont des idées diamétralement opposées aux miennes ont souvent figuré parmi mes liens. Ils sont restés là parce que:
- les auteur-e-s visitent mon blog assez souvent ou laissent des commentaires;
- leurs textes sont pertinents;
- je veux faire chier des gens qui les haïssent.

Une rumeur

Il paraît qu'il y a une nouvelle idée de blog aux tendances anarchistes qui serait en train de faire son chemin dans l'esprit de quelques personnes, dont Steffen, moi et d'autres qui ne sont pas encore sûr-e-s. Rien n'est encore confirmé. On y pense. On a trouvé même un nom. On le fait parce qu'individuellement, nos blogs ne vont pas aussi bien qu'auparavant. En ce qui me concerne, j'ai par exemple de plus en  plus l'impression d'écrire dans le vide et de ne susciter aucune réaction.

Si ça se concrétise, Les Tribulations d'un Mouton Marron vont malheureusement cesser d'être renouvelées et ce blog ne sera plus qu'une archive morte et consultée de temps à autres par un-e internaute perdu-e.

Dans cette éventualité, je ne vous laisserai cependant pas en plan. Je vais m'assurer que la transition se fasse le plus aisément possible.

____________

[1] Je m'adresse seulement à une dizaine de personnes sans doute.

lundi 2 décembre 2013

Du lynchage de Gab Roy.

J'avoue avoir écouté la fin de Tout le Monde en Parle par voyeurisme. Sans aucune pitié, j'attendais de voir Gab Roy se faire défoncer la gueule. Cela dit, j'ai été à la fois surpris et découragé par la tournure de la discussion.

Tout d'abord, je n'ai absolument pas d'avis éclairé à donner sur Trouble - Voir, ni sur l'embauche de Gab Roy par le journal. Malgré tout, je trouve qu'il y a beaucoup d'hypocrisie dans les médias de masse ces dernières semaines. Des médias (notamment des radios poubelles) qui font ouvertement dans le sensationnalisme ont dénoncé cette nouvelle section du Voir. Des éditorialistes de La Presse, qui ne se gênent souvent pas pour publier des mensonges et des interprétations tendancieuses ont notamment été très offensé-e-s. Nathalie Collard, par exemple, ne se gêne pas:


Je ne sais pas si c'est dans la politique de La Presse d'insulter rédacs chefs des autres médias, mais j'imagine que c'est correct, vu que c'est juste le Voir. Car ne vous en faites pas, il n'y aura pas de représailles. Le Voir n'a pas les moyens, comme TVA et le Journal de Montréal, d'entrer dans une guerre d'usure contre Power Corp.

Beaucoup de « journalistes » sont déçu-e-s de se rendre compte que le Voir se transforme: illes se plaignent que le journal autrefois culturel se change graduellement en brochure publicitaire et feuille de chou sensationnaliste. On pourrait leur retourner cette critique. La réaction imbécile de tous les médias de masse vis-à-vis de la concurrence du journalisme citoyen a toujours été d'ajouter des feux d'artifice un peu partout. Au lieu de miser sur la rigueur pour concurrencer l'amateurisme des utilisateurs/trices moyen-ne-s d'Internet, les médias de masse ont décidé d'utiliser leurs budgets impressionnants pour nous en mettre plein la vue, avec des concours rocambolesques, des explosions pis des dinosaures géants en 3-D. 

Aujourd'hui, plus que jamais auparavant, les médias de masse sont de plus le reflet de notre élite et de ses valeurs: la compétition, l'ambition, le luxe. Je ne peux pas croire une seconde qu'une émission comme « Dans l'oeil du dragon » aurait pu voir le jour à Radio-Canada il y a quinze ans, malgré son état de décrépitude déjà avancée. Normal qu'on apprécie pas la formule plus artisanale d'acteurs/trices qui ne sont pas passé-e-s par les canaux officiels.

On se plaint de la présence de Gab Roy au Voir: mais c'est l'arbre qui cache la forêt. L'appel « humoristique » à l'agression sexuelle des Femen, par Michel Beaudry du Journal de Montréal, n'a pas déclenché autant de controverse. Je crois pouvoir me poser également de sérieuses questions sur les blagues sexistes à répétition qu'on entend à «La soirée est encore jeune». Nous baignons dans une culture machiste et il n'y a pas de média qui soit vraiment épargné. Quant aux autres types de propos inacceptables, rappelons que Le Soleil avait publié, en 2012, un article ouvertement fasciste, qui était un appel à la violence tout à fait nostalgique des années trente. Pour faire changement, ce n'était pas humoristique du tout. Est-ce que des leaders d'opinion ont à ce moment-là interviewé et planté impitoyablement les rédacteurs en chef qui ont pris la décision de publier? Est-ce qu'illes ont même exprimé un mépris minimal? Peut-être, mais ça n'a pas fait grand bruit.

Guy A. Lepage lui-même n'est pas pur de toute controverse, et il n'a pas de leçon à donner dans la lutte contre l'homophobie et les blagues de mauvais goût. Au Bye Bye de RBO, en 2006, lui et son équipe avaient créé un sketch sur les Outgames, dans lequel les homosexuel-le-s sont représenté-e-s selon des stéréotypes que je croyais disparus de la télé depuis les années 90. Je leur accorde bien une chose, à RBO: c'était cave à un point tel que je ne me suis pas vraiment senti offensé, même si on m'a traité de « fif » pendant toute mon enfance et mon adolescence, que ça m'a fait perdre des ami-e-s et que je n'ai pas pu assumer ma bisexualité avant le cégep, par peur des agressions. Je n'avais d'ailleurs pas repensé à ce sketch à l'humour passé date avant aujourd'hui. Ajout: Une facebookeuse a aussi fait un rapprochement pertinent avec le passage de Nelly Arcan à TLMEP.

Questionner « l'utilité » d'une personne

Le bon docteur Réjean Thomas n'est pas non plus en reste. De la manière la plus moraliste possible, il a demandé à Gab Roy s'il se sentait « utile ». Ça m'a tout de suite fait penser à un discours de l'autoritaire et stalinien George Bernard Shaw:

Questionner « l'utilité » de quelqu'un est une chose totalement dégoûtante. C'est oppressif et moralisateur. Il est également présomptueux de se dire soi-même utile, surtout dans les termes utilisés par ce docteur aimé de tous et toutes. 

Je ne peux m'empêcher de voir dans sa position une profonde contradiction: en effet, il accuse à peu près Gab Roy de ne pas utiliser son influence pour créer quelque chose de bon, quelques minutes seulement après avoir admis signer le manifeste des Janettes - un groupe que je trouve profondément intolérant. Quand on a la notoriété du Dr. Thomas, quand on fait à ce point l'unanimité, il me semble que de prendre position dans un débat aussi irrationnel auprès du groupe le plus controversé (et digne compétiteur des Islamistes en termes de conneries) n'est pas sans risques de tomber dans une oeuvre destructrice - un droit que je ne lui contesterai cependant pas. Mais dès qu'on prend position de cette manière, il faut renoncer à notre pureté angélique, c'est le minimum.

Sur Dominic Pelletier

Il y a longtemps que je connais les diatribes de cet individu, qui s'est exprimé sur Radioego.com sous les pseudonymes de Lekinny et de Redhat. La manière avec laquelle l'entrevue s'est déroulée sur Trouble - Voir est certes complètement absurde. Gab Roy est un sexiste. Même quand il ne parle pas de relations hommes-femmes, même quand il ne fait pas d'humour, le vocabulaire et les concepts sexistes persistent. Il était une des pires personnes pour passer ce type en entrevue. Un peu comme si Stephen Harper, fraîchement anobli par le Heritage Front[1], avait passé Mussolini en entrevue pour se moquer de ses idées antidémocratiques.

Mais je n'adhère pas à la position du plateau de Tout le Monde en Parle. Je ne pense pas que de faire sortir cet individu de l'anonymat relatif dans lequel il se complaisait par le passé est nuisible.

Au moment où Dominic Pelletier se ridiculisait dans un vidéo sur le site du Voir, la plupart de ses audios les plus violents ont disparu. C'est peut-être lié... Et je m'en mords les doigts aujourd'hui: j'aurais dû faire des copies. La vérité, si on se donne la peine de l'admettre, c'est que Dominic Pelletier a subi un lynchage médiatique, qu'il n'aurait jamais vécu si on ne l'avait pas déterré du fameux Far Web où il avait déjà plusieurs adhérents (peut-être dangereux!). Le montrer en public n'est certes pas exempt de tout risque: il est en effet possible que quelques hommes, qui ne le connaissaient pas, deviennent ses émules. Mais à ce titre, on pourrait aussi se demander si commémorer la tuerie de la Polytechnique ne risquerait pas d'inspirer de nouveaux tueurs misogynes. Et pourquoi ne pas questionner la célèbre entrevue donnée par Radio-Canada à Karla Homolka?

Selon moi, cacher des faits sociologiques ou historiques sous le tapis, ça participe de la loi du silence et de la pensée magique. On espère très fort que si on évite de parler d'un sujet, le problème va finir par s'évaporer. Or, j'ai la conviction qu'on ne peut régler un problème sans le connaître et le comprendre, et sans informer toute personne susceptible d'y être confrontée.

Donc: je suis d'accord pour dire que l'entrevue sur Trouble - Voir était une mauvaise idée, mais pas pour les raisons largement avancées ce soir, que je trouve invalides.

Bref: une réfutation idiote

Ne vous mettez pas en colère pour rien: je trouve que Simon Jodoin et Gab Roy ont mérité de se faire passer un savon à la télé[2], et ailleurs dans les journaux. Mais je n'ai pas apprécié l'hypocrisie de beaucoup de participant-e-s au lynchage. Je n'ai pas apprécié non plus les sophismes (comme l'appel à l'imbécilité du public, qui ne serait pas à même de comprendre des blagues), les encouragements à garder le silence sur des propos haineux, l'opportunisme des vautours qui se sont servi-e-s de ces évènements pour se remonter. Je ne comprends pas non plus la décision de provoquer une rencontre entre ces trois-là et des femmes dont les enfants ont été assassinés. Il me semble que c'était obscène. 

Ce soir, tout le monde a été con[3], et je ne vois pas de quoi m'en réjouir. Je vois seulement de quoi débrancher la télé pour de bon.

________________
[1] Une organisation d'extrême-droite de laquelle, comme la Northern Foundation, Harper a été proche.
[2] Quand au troisième homme présent à TLMEP, eh bien j'men câlisse, je le connais à peine. Mais à première vue il a l'air d'être coupable par association.
[3] Il faut pas s'étonner. C'est quand même de la télé.

mercredi 27 novembre 2013

Retour sur le second degré et l'humour - brasserie Le Corsaire

La Microbrasserie Le Corsaire s'est attiré les foudres de beaucoup en créant des bières nommées «La Petite Pute», «La Blonde facile» et «La Vicieuse», et surtout en utilisant une barbie dont il faut tirer les cheveux pour faire couler de la bière en fût. De manière moins visible et moins scandaleuse, Archibald Microbrasserie a également développé des noms de bière correspondant à des stéréotypes uniquement féminins, telles que « La Tite'Kriss » et la « Matante », instrumentalisant l'érotisme dans les représentations. Ce billet s'attardera cependant uniquement à un élément de controverse entourant Le Corsaire.

La brasserie Le Corsaire se serait défendue en invoquant le second degré, une stratégie commune à peu près à tous les humoristes sexistes et racistes du Québec. C'est un argument totalement invalide, dans la plupart des cas.

Ce qui est du second degré

Selon Wikipédia, le second degré, en humour, « consiste à dire ou laisser croire le contraire de ce que l'on pense, en particulier par ironie. » Ajoutons que le sens d'une phrase ou d'une action ironique peut être interprété comme simplement différent, et non pas opposé, au premier degré. Mais de manière reconnue, l'objectif est principalement de se moquer de la position adoptée.

Le deuxième degré n'est pas nécessairement intelligent. Il n'est pas nécessairement respectueux, subtil et fin. Il peut être d'une grande méchanceté et vous rentrer dedans comme un train.

Un exemple de second degré: faire semblant d'adopter un discours, le caricaturer pour lui donner des apparences de connerie. J'ai par exemple trouvé ce compte sur Facebook:

L'auteur-e du compte est allé jusqu'à caricaturer la récupération des autochtones dont se rendent souvent coupables les «patriotes» québécois-es, surtout les proches du RRQ. Il/elle a aussi pensé à s'inventer deux diplômes à l'UdeM, comme pour faire chier ceux et celles qui voudraient le dépeindre comme un ignorant pas éduqué.

Ici, on joue sur l'ambiguïté: non seulement on se moque de ceux et celles qui tiennent réellement ce genre de propos, mais aussi des gens qui pourraient prendre celui-ci au sérieux. Un mélange de second degré et de canular!

À l'extérieur du Far Web, Foglia aussi fait beaucoup dans le second degré. On peut entre autres se souvenir d'une chronique de 2009, qui en a scandalisé beaucoup, et dans laquelle il écrivait: « Mais la vraie question que nous pose l'écologie, je vous la pose maintenant : avez-vous bien mis vos pelures de banane dans le bac vert? Et la boîte de petits pois dans le bac bleu? C'est juste ça, l'écologie. Le reste, c'est du communisme. »

Deux jours plus tard, il fallait qu'il explique à ses lecteurs et lectrices que c'était uniquement du second degré : «René Homier-Roy se demandait hier matin si des lecteurs étaient passés à côté de «l'ironie totale» - ce sont ses mots - de ma chronique de jeudi. Vous n'imaginez pas, René. Un record de tous les temps. Plein qui m'ont félicité d'avoir enfin compris. Même Jeff Fillion. Plein d'autres tellement fâchés...»

Je pratique moi-même le second degré sans aucune pudeur. Même quand le fond de mon message est un compliment, il m'arrive de l'utiliser. De plus, c'est une méthode de trollage extraordinaire. Exemple: pour faire marrer un de mes amis, je lui écris ceci:
Il se trouve qu'il a été le seul à comprendre. Je me suis tapé mes pires réponses à vie, incluant: « Fuck toé pis ta race de "..." avec ta face en cartoon! » Et j'espère bien qu'on m'aurait servi ce genre de réponses si j'avais été sincère.

Quand je vois qu'on me prend au sérieux, j'en rajoute. La grossièreté et la stupidité de mes paroles ou messages augmente jusqu'à ce qu'on finisse par comprendre.

Il est parfois difficile de savoir si quelqu'un est sérieux ou non. Pourquoi? Parce qu'on est partout confronté-e-s à la connerie la plus absurde. Ainsi, il est peu probable que Dominic Maurais, malgré son ridicule clownesque, donne dans l'ironie et soit en réalité un gauchiste qui vote pour Québec Solidaire.

Pour que les gens comprennent qu'il s'agit de second degré, d'humour pince-sans-rire ou je-ne-sais-quoi d'autre, il faut quand même laisser quelques signes. Changer le timbre de sa voix fonctionne assez bien. Mais il est possible d'adopter des techniques plus subtiles. Par exemple, dans le message Facebook précédent, mon avatar portait un carré rouge sur la poitrine. Selon moi, c'était un signe suffisant pour qu'on comprenne que je m'attaquais aux gens qui ont l'habitude de tenir ce discours contre moi!

Si on n'arrive pas à faire comprendre à notre auditoire que notre propos est du second degré ce n'est par ailleurs pas nécessairement parce que cet auditoire est con. C'est peut-être aussi parce qu'on manque de talent dans la maîtrise de la subtilité, qui demande un juste équilibre entre le dit et le non-dit.

Je connais beaucoup de militantes féministes (radicales ou pas) qui pratiquent également le second degré sur une base quotidienne. Le mythe stupide voulant qu'elles n'aient pas d'humour est par ailleurs totalement faux. Selon mon expérience personnelle, elles n'en n'ont ni plus ni moins que les autres. Idem pour leur compréhension de l'ironie et du sarcasme. J'aimerais qu'on leur foute la paix un peu sur le sujet.


Ce qui n'est pas du second degré

On en revient au coeur du problème: beaucoup de gens défendent leurs propos offensants en prétendant qu'illes font en fait du second degré, à un tel point que le « second degré » en est venu à décrire à peu près n'importe quoi. C'est pourtant assez rarement le cas. Dans l'histoire de la «Petite Pute», cette défense est assez peu crédible. Il s'agit effectivement d'humour, c'est indéniable. Mais est-ce que les brasseurs souhaitaient par leur geste condamner l'exploitation et la violence sexuelles, souvent liées, dans l'imaginaire collectif, à la prise d'alcool? Ou même de ridiculiser le machisme? Peu probable.

Il en va de même pour la plupart des blagues controversées de Guy Nantel, Mike Ward, JF Mercier, etc. Sans dire que ces derniers ne donnent jamais dans le second degré, nous sommes tout de même en mesure de bien distinguer les formes d'humour, que ça leur plaise ou non.

Quand les humoristes, publicistes, chroniqueurs/euses et autres prétendent au « second degré », il s'agit en fait souvent de simples hyperboles, des exagérations d'archétypes auxquels le public doit adhérer massivement. Il n'y a pas d'ironie là-dedans. Évidemment, ce n'est pas «sérieux». Mais ce n'est pas non plus du second degré.

Les blagues salaces et provocantes (notamment les jokes de bébés morts, de Cédrika Provencher, de viol, de meurtre, etc.) ne sont pas nécessairement non plus du second degré. Elles comptent plutôt sur l'effet de surprise ou sur la violation des tabous, ce qui dans plusieurs cas, est franchement nécessaire. C'est important d'enfoncer des portes verrouillées depuis trop longtemps: mais ce n'est pas nécessairement par l'ironie que ça passe.

Le second degré peut être de mauvais goût, même quand il vise à dénoncer les abus.

Je peux donner quelques exemples concrets. Dans le film Kickass II, une scène de tentative de viol avec pénétration (dans la BD originale, il s'agit d'un viol qui aboutit à la pénétration vaginale) met aux prises l'amoureuse du héros et son adversaire surnommé The Motherfucker. Le méchant en panne d'érection n'arrive cependant pas à "violer" la jeune femme. L'objectif est donc de ridiculiser le rôle du violeur et de dépeindre celui-ci comme un lâche et un homme qui manque de virilité.

Mais ça n'en fait pas une blague de bon goût. Pourquoi? Tout d'abord parce qu'elle est une critique machiste du viol. Elle associe la panne érectile d'un homme non-viril au viol, qu'on pourrait opposer à la virilité assumée et vraie d'une relation consentante, un message totalement hallucinant! Ensuite parce que Night bitch, la personne ayant subi l'agression, prend la responsabilité de cette agression et affirme que c'est totalement de sa faute. Un propos qui n'est jamais explicitement réfuté par la suite. Et il y a plus, plus encore.

Le second exemple de second degré de mauvais goût: le texte de Gab Roy sur Mariloup Wolfe, critiqué ici par Jocelyne Robert. Si plusieurs contestent le deuxième degré dans ce texte, c'est selon moi parce que ce procédé humoristique est devenu le synonyme d'un humour de qualité, opposé à tout ce qui est qualifié de premier degré, autrement dit minable.

Comment oserions-nous en effet qualifier un numéro à ce point médiocre de second degré? Les imbéciles ne font pas dans la haute-voltige! Trois mots seulement suffisent pourtant à prouver le contraire: Mathieu, Bock et Côté. Un personnage de fiction, le père de Perceval dans Kaamelott (que je n'évoque pas ici pour la première fois), illustre également assez bien le fait que la maîtrise du style ne garantit en rien l'intelligence du/de la messager/ère.



Il est clair que Gab Roy s'est mis dans la peau d'un douchebag macho qui rêve d'avoir une relation abusive avec Mme Wolfe. Et qu'il a cherché à ridiculiser ce fantasme à l'aide de son texte. La personnalité de Gab Roy suffit d'ailleurs à comprendre que c'était du deuxième degré, et non pas une simple plaisanterie qui viserait, par sa poésie, à nous faire rire. Et pourtant, ça reste offensant, sexiste, et s'intègre tout à fait bien dans ce qu'on appelle la culture du viol.

Bref: le deuxième degré, c'est pas toujours intelligent.

L'humour comme instrument politique et social

Il est naïf de croire que l'humour n'a pas d'effet sur la société. L'humour est au contraire un instrument puissant, utilisé partout comme tel, incluant dans la propagande nazie des années 30-40. Il sert l'opprimé comme l'oppresseur. Dans la sphère politique, il passe un message longuement réfléchi: il associe un-e opposant-e à une caricature, il utilise l'allégorie pour vulgariser des concepts abstraits, il fait des synthèses. Il dit beaucoup en peu de mots grâce à l'utilisation de référents communs chez le public visé.

Dans la sphère sociale, c'est la même chose. L'humour encourage ou dénonce des normes, fait la promotion d'archétypes, vise à montrer qu'on est pas intimidé-e-s, etc. Son importance ne peut être négligée en aucun cas. Celui ou celle qui détient les clefs de l'humour possède un important levier de pouvoir. Et ça vient avec la même responsabilité que n'importe quelle autre aptitude. En cela, il peut être sujet à des critiques et des dénonciations!

mardi 26 novembre 2013

Une perte pour l'art, et d'autres drames.

Les nouvelles tristes arrivent toutes en même temps, et le climat à Montréal est devenu toxique. Je ne reviendrai pas sur certains évènements terribles qui ont été révélés récemment - je n'ai vraiment rien de pertinent à ajouter - mais cela contribue largement à la déprime générale.

Il faut aussi rappeler que Youri et Guillaume sont encore en prison, et que l'audience pour leur libération conditionnelle a été repoussée. Je vous rappelle donc que vous pouvez leur écrire (même si vous ne les connaissez pas). Ces temps-ci, ils ne reçoivent plus beaucoup de courrier.

Comme si ce n'était pas suffisant, il fallait que la mort de Nicolas P. ajoute de la pénombre à la grisaille. Je dis « mort » encore comme si je n'y croyais pas. Cet artiste qui a touché beaucoup de monde par son talent et sa sensibilité est parti de lui-même. Ça s'est passé dernièrement. Il laisse toute la communauté sous le choc. C'est un être humain qui nous quitte, mais aussi des myriades de projets qui ne seront pas réalisés.

Nicolas participait souvent aux cabarets anarchistes, pendant lesquels il présentait souvent des textes remplis de douleur et de remises en question. Mais c'était toujours magnifique et plein de vie.

S'il lui survit quelque chose, espérons que ce soit cette énergie-là.

lundi 11 novembre 2013

Bon Jour du Souvenir.

J'ai été éduqué dans un antimilitarisme viscéral. Je dois à mes parents de m'avoir transmis cette haine sans nuances pour l'uniforme, les guerres et les armes, qui s'est transformée graduellement en anti-autoritarisme général, car j'en suis venu à ne pas supporter, non plus, toutes ces mimiques de l'armée et de la prison que sont les appels à l'école primaire, le fait de se mettre en rang, d'avoir un numéro pour aller manger (moi c'était 98), de garder le silence, de demander la permission pour aller pisser, de ne pas se voir reconnaître le droit de vivre sa propre vie.

À chaque année, quand j'étais à l'école secondaire, l'armée canadienne tenait un kiosque dans la grande place, près des casiers, dans ma polyvalente. Ça devait durer une semaine. Parfois, ils venaient jusqu'à deux ou trois fois par année. Toutes les fois, c'était sous un autre visage que se présentait l'armée: cadets, réserve, forces régulières. Ce sont des ados de 14 à 16 ans qu'on tentait de séduire, de préparer à rentrer dans les rangs, avec des promesses stupides et un dessein réellement meurtrier.

Les cérémonies qui entourent le Jour du Souvenir ne sont qu'une autre manifestation du militarisme rampant que nous subissons, de cette discipline prussienne imposée aussi dans les écoles et les usines. Un jour du Souvenir qui glorifie le soldat mort pour rien, qui a fortement tendance à oublier les pertes civiles, et qui a presque banni le mot « horreur », de la même manière que ces reconstitutions pseudo-historiques de batailles oublient de mentionner que la plupart des soldats de la guerre de Sept ans (et de plusieurs autres) sont morts de maladie et de faim, et non pas d'une balle au coeur, prétendument héroïquement.

En ce Jour du Souvenir, je me souviens que beaucoup de mes semblables ont déserté les tueries et les guerres impériales, qu'illes ont fraternisé avec l'ennemi lui aussi libéré de sa haine, ou qu'illes ont désobéi, et que malgré la honte nationale qui préfère les oublier, moi je les admire.

mercredi 6 novembre 2013

Une attaque contre des véhicules du ministère de la Sécurité.

Cet acte de vandalisme politique très léger semble avoir passé totalement inaperçu dans les mass médias, mais il a apparemment été revendiqué le 3 novembre par un collectif sans nom, opposé à la prison et au délire sécuritaire de l'administration provinciale

Vous pouvez vous faire une idée par vous-mêmes, mais je trouve cet évènement curieux. Curieuse diffusion du texte (essentiellement sur des réseaux extérieurs à Montréal, faut croire), curieux aussi que je n'en ait pas entendu parler avant - quoique j'ai manqué quelques bonnes histoires au cours des dernières semaines.

Un canular? Une action qui se voulait discrète? Le public visé était-il extérieur au Québec? Pourquoi avoir spécifiquement nommé deux prisonniers politiques?

Par ailleurs, si je ne me prononce pas sur l'acte en tant que tel, je suis totalement d'accord avec le message envoyé dans la déclaration du groupe, qui met l'accent sur des problèmes graves amenés par le système carcéral. C'est une déclaration basée sur une réalité matérielle et qui ne donne pas dans le flafla théorique.

lundi 4 novembre 2013

Mon vote

Ça faisait une éternité que je ne suis pas entré dans un bureau de vote. J'y suis finalement allé hier. Que mes lecteurs/trices bien-pensant-e-s ne se réjouissent pas tout de suite cependant: je n'ai pas voté pour Projet Montréal, un parti que j'abhorre, un parti qui me donne de l'urticaire, mené par un autoritaire obsessif qui se soigne pas. J'ai pas voté non plus pour un-e indépendant-e: le seul qui passait presque le test était selon moi Denis Mcready, mais il s'est retiré en début de course. Les autres m'ont découragé après avoir prononcé en moyenne deux mots.

Pour dire vrai, je suis allé voter comme on prend une marche. Je suis entré, j'ai vu qu'il y avait pas de file (s'il y en avait eu une, ça aurait d'ailleurs été suffisant pour me dissuader - scandaleux non?), j'ai écrit « fuck you » sur mes trois bulletins de vote, j'ai tout mis dans le ballot et je suis parti.


Je me demande maintenant pourquoi je l'ai fait. Des raisons, j'en avais en partant de chez moi. Je me suis dit que j'y allais juste pour le fun. Juste pour prendre une marche et visiter l'école primaire de mon voisinage. Juste pour le trip d'écrire «fuck you». Pour voir si c'est aussi extraordinaire qu'on le dit.

Voter n'est pas un sacrifice héroïque

Ma première constatation est que voter est d'une facilité extrême, du moment qu'on a pas de problème de mobilité. Il n'y a rien d'héroïque là-dedans. Les gens qui s'enorgueillissent sans arrêt de « faire leur devoir de citoyen » ne se rendent pas compte de la simplicité stupide de leur acte. Pour une certaine classe de gens, qui sont adultes, possèdent une voiture et vivent dans un certain confort économique, les élections ne sont qu'une sorte de jeu duquel ils retirent un mérite disproportionné, né de la stigmatisation d'un large groupe présumé trop paresseux pour même avoir quelque chose à crisser de ce cirque. La plupart de ces chevaliers de la démocratie ne se livrent pourtant pas à autre chose qu'à une très bête partisanerie, et je parierais que beaucoup n'ont pas pris la peine d'étudier en profondeur les candidatures de chacun-e de leurs champions. Leur «devoir de citoyen», c'est un écran de fumée pour se donner bonne conscience. D'ailleurs il y en a plein là-dedans qui franchissent les lignes de piquetage au Renaud-Bray même-si-on-les-appuie-mais-c'est-la-fête-à-mon-ami, j'en suis sûr.

Si ces gens-là avaient réellement fait leur devoir de citoyen, et en admettant que le devoir de citoyen veuille vraiment dire quelque chose, ils seraient en prison, comme Youri, et comprendraient enfin que de réellement défendre l'opprimé-e, c'est considéré comme un crime. Illes comprendraient aussi que quand on donne tout, eh bien... on se retrouve avec rien.

Je me sens idiot et faible

C'est ma deuxième constatation. En revenant chez moi, j'ai réfléchi sur les véritables raisons de mon acte. Pourquoi suis-je allé me mettre en ligne? Est-ce que ce n'est pas, au fond, par paresse? Parce que j'étais écoeuré de me faire harceler par tout le monde et que je n'avais plus envie de passer des heures à me justifier lors de discussions interminables? Est-ce que j'ai cédé aux insultes et au paternalisme? Parce que c'était plus facile socialement de dire que j'étais allé dans l'isoloir? Je ne sais pas. J'espère que non.

J'ai entendu sans arrêt ce fameux « Au moins, va annuler ton vote! ». Personne n'a jusqu'à maintenant offert une réponse rationnelle. J'ai eu le droit à « voter c'est acheter le droit de chiâler », ou « des gens sont morts pour défendre ce droit ». Rien de satisfaisant. Que des slogans incohérents et des phrases bien-pensantes.

Mais maintenant que je l'ai fait, j'ai l'impression d'avoir envoyé un faux message. Celui d'avoir cautionné le système, malgré le « fuck you » sorti de mes tripes. C'est peut-être ça, au fond, que les gens attendent de moi, réellement. Que je cautionne. Que je dise que j'accepte les règles du jeu.

samedi 19 octobre 2013

Quelques trucs - toujours la prison - les élections à Mtl.

Le Cabaret

Tout d'abord, bravo aux participant-e-s du dernier Cabaret Anarchiste. Une quarantaine de personnes se sont réunies dans le petit local du DIRA, ont mangé des tartes aux pommes et/ou ont librement lu des poèmes et des textes contestataires. Après trois années, la formule ne s'épuise toujours pas!

L'anthologie du Bloc des Auteur.e.s anarchistes

Si vous voulez participer au nouveau recueil de nouvelles anarchistes Subversions III, publié par le Bloc des Auteur.e.s anarchistes, il vous reste encore jusqu'à la fin du mois pour nous soumettre un texte de fiction. Toutes les informations sont ici!

Des potes, toujours en prison

Un groupe Facebook a été créé pour venir en aide à deux accusés du G20 qui sont actuellement enfermés à la prison de Bordeaux. Dans mon esprit à moi, les crimes dont ils ont été accusés ne mériteraient en rétribution qu'une bonne tape sur l'épaule, en admettant qu'ils les aient réellement commis. Mais même dans la logique interne de notre société néolibérale, la peine qui leur est infligée est disproportionnée. Vous pouvez leur écrire en suivant les indications laissées sur la page.

Vous habitez hors de Montréal et vous avez la flemme de poster une lettre d'encouragement à cause des timbres? Vous pouvez m'envoyer un courriel (mon adresse de compte, c'est "inactifs", sur hotmail.com). Si vous êtes convaincant-e, je peux faire quelques impressions et les envoyer moi-même de temps à autres.

Ça y est, je ne veux plus parler de la Charte.

Je suis toujours contre, mais je trouve que le débat est plombé. Jamais je n'ai assisté à un dialogue aussi con de toute ma vie. Assez peu de personnes me semblent avoir un avis éclairé sur la question, et beaucoup pensent que ce projet ridicule est en fait une licence pour tenir des propos xénophobes, tout en se défendant de l'être. Même Normand Baillargeon entre dans le jeu de bon coeur avec des crétineries rocambolesques. Foglia aussi: mais ça c'est à vrai dire pas vraiment étonnant. Et que dire de l'avis du sociologue Guy Rocher? Je me sens presque trahi par son autoritarisme vulgaire. Tu quoque, mon espèce d'épais?

À ce titre, les Janettes ne font qu'ajouter des clowneries supplémentaires au moisi collectif.

De l'autre côté, il y a Pratte, avec qui plusieurs gauchistes (mais pas tous/toutes, parce que plusieurs croient aux « libertés collectives », terme vide s'il en est) s'étonnent aujourd'hui d'être d'accord. Celui-ci fait appel à l'avis de la Commission des droits de la personne. Pour un éditorialiste qui s'est toujours crissé de nos droits - et surtout en 2012 - je trouve que c'est ironique[1]. Dans cette situation, on peut réellement parler d'argument d'autorité. Et il y a certaines femmes musulmanes qui au lieu de défendre leurs libertés individuelles avant tout, nous parlent de la nécessité de non pas être soumises à l'homme, mais d'être soumises à Dieu, ce qui n'est pas, nônon, la même chose. Je peux pas dire que je suis d'accord. Et surtout ces hommes religieux qui pilotent certaines contestations de la Charte[2], contre ces hommes chrétiens ou laïcs qui pilotent certaines actions d'appui.

Je ne veux plus me prononcer sur la Charte parce que je trouve actuellement que tout le monde est con. De la connerie, de la connerie partout, et elle est hargneuse en plus. Et j'ai peur d'être con moi aussi. Juste écrire ces trois paragraphes me semble un risque non-calculé de tomber dans les mêmes schémas imbéciles.

Alors fuck that shit.

Projet Montréal et les élections

J'ai rarement autant détesté un parti politique municipal que Projet Montréal. Même les corrompus m'énervent moins que ces social-traîtres carriéristes. Qu'illes aillent chier, je voterai pas pour eux, même s'illes leur viennent à l'idée de me payer pour. Il a fallu leur tordre un bras pour qu'illes votent contre P-6, et maintenant beaucoup d'entre eux prétendent que tout le monde, au parti, a toujours été contre. Leurs déclarations sur les itinérant-e-s et les logements sociaux sont confuses et Richard Bergeron adapte son discours selon son auditoire, avec de grands sparages. Et ses projets pharaoniques qui sont censés se réaliser en quelques années seulement (sans expulsion? sans consensus? en tout cas sans manif j'imagine, parce que ce sera toujours interdit), je vais me battre contre. J'aimerais bien en discuter avec eux, mais à chaque fois que j'en pogne une gang de cette engeance-là, c'est le festival du sophisme et de l'enfirouapage.

La solution au marasme politique à Montréal, à la corruption, la crosse, la répression et le mensonge, c'est pas un parti politique moins à droite que les autres. C'est le chavirement de ces institutions-là.

______________________

[1] Un peu comme si un-e anar défendait l'État comme moyen de lutter contre les excès du capitalisme.  
[2] Notez qu'il y a de notables exceptions. No one is illegal n'est pas exactement un groupe pro-religion.

jeudi 3 octobre 2013

Vigile en soutien à Guillaume et Youri

Ça se passe demain à 9h00, devant le Palais de Justice de Montréal. Tout soutien supplémentaire ne sera pas de trop. Si vous pouvez être là, venez. Plusieurs, déjà, ne peuvent pas y être pour des raison professionnelles.

L'audience est à la salle 6.02, mais la vigile se tiendra aussi dehors, devant le Palais.

Et il pleuvra pas.


Soyez là.

***

Je reposte le témoignage de Youri paru sur un blogue du Voir.

Mise à jour: la CLAC a mis en ligne un résumé de l'audience.

mardi 1 octobre 2013

Mort aux prisons et à toute forme d'autorité - G20

Il y a déjà trois étés, une des plus importantes répressions politiques de l'histoire récente du Canada s'est déroulée à Toronto, pendant que des leaders et « créateurs de richesse » criminels et assassins prenaient des décisions en huis clos. Les sociopathes qui se disent nos représentant-e-s élu-e-s avaient patiemment dressé un puissant piège contre les contestataires: un dispositif impressionnant comprenant des essaims de milliers de flics, des clôtures, des contrôles, des caméras. Et par milliers, des flics incontrôlables ont harcelé, humilié, frappé, torturé, agressé sexuellement la population et les manifestant-e-s. Fouilles à nu systématiques, arrestations arbitraires, détentions dans des conditions insalubres: l'Ordre n'a reculé devant rien pour écraser tout ce qui ressemblait à de la dissidence.

La plupart d'entre nous en sommes ressorti-e-s avec seulement un très mauvais souvenir. Nous nous rappelons que pendant que la police menait une chasse brutale contre nous dans le cadre de l'opération « fox trap », des médias complices et des politicien-ne-s enragé-e-s, au lieu de nous venir en aide, nous ont stigmatisé-e-s. La responsabilité de toute violence incombe autant à ceux qui l'exercent directement qu'à ces provocateurs/trices haineux/ses qui justifient la répression ou qui la nient, défendant à corps perdu les forces de l'ordre. Ces gens-là protégeraient des génocidaires plutôt que de critiquer les fondements de l'autorité qui perpétue ces crimes.

Plusieurs ont néanmoins connu pire que les quelques jours passés dans une taule dégueulasse, froide et surpeuplée. Nous avons à peu près tous et toutes entendu parler du sort vraiment épouvantable réservé à des gens comme Leah Henderson, Jaggi Singh et Alex Hundert, et autres « ringleaders », qui ont assez rapidement subi les foudres de ce que l'ironie inhérente à notre société appelle la justice. Plusieurs des accusé-e-s du G20 ont dû passer plus d'un an en prison, certain-e-s documentant d'ailleurs leur expérience et l'épreuve nouvelle qu'a constitué une incarcération dans des conditions qui feraient l'admiration des architectes des camps de concentration.

Youri et Guillaume, six mois en-dedans

Et ça se poursuit. Après trois ans, la guillotine aveugle du juge continue de trancher des vies, en l'occurrence celles de Youri et de Guillaume. Après ces années de multiples arrestations, de harcèlement politique et de procès kafkaïens, pendant lesquels des raclures de fachos ont soumis une argumentation truffée de trous, de raccourcis et de mensonges, après des délais ridicules, le juge rend finalement une décision clairement politique. L'establishment montre par le fait même qu'il n'a pas changé ses méthodes depuis le procès des cinq et la Loi sur les mesures de guerre. Il frappe quand et où ça lui tente.

Il ne cherche pas à « rendre justice » mais à protéger l'ordre en nous terrorisant, distribuant cà et là les coups de matraque, mais surtout en s'acharnant sur les individus qu'il parvient à identifier clairement comme de vrai-e-s dissident-e-s, leur accordant des peines exemplaires pour des méfaits flous, incertains, souvent fantasmés et la plupart du temps absolument mineurs et/ou sans victime.

C'est une évidence: ces deux gars-là n'ont pas leur place en-dedans, pas plus que tous les autres qui y sont passé-e-s dans les suites du G20 et de la grève étudiante. Cette prison qu'on impose en majorité à des gens qui ne sont un danger pour personne n'est qu'un lieu de destruction de l'individu et dépasse de loin son objectif punitif.

Et toutes ces sous-merdes qui soutiennent par leur travail cette machine participent au sabotage des vies de tous et toutes. Du fonctionnaire le plus insignifiant au screw le plus brutalement zélé, ces cadavres animés sont tous et toutes des Eichmann en puissance, pour qui le mal radical est une oeuvre quotidienne; un assassinat par le papier. Ce n'est pas qu'un juge et une procureure qui mettent Youri et Guillaume en prison. C'est toute une galaxie de petit-e-s flics, sous-flics et sous-sous-flics-adjoint-e-s minables, paranos ou indifférent-e-s, pour qui l'impunité est une garantie aussi sûre que la retraite.

Pas de consolation, que de la colère.

Ces types qui font leur travail sans apparent examen de conscience, la main sur une loi idiote et conçue pour du bétail, la phrase moraliste sur le bout des lèvres en plus, je les hais de tout mon coeur. Que n'existe-t-il un enfer spécifiquement creusé au fond d'un puits sans lumière pour ces ordures! Je suis prêt à entrer dans toute religion qui leur en inventera un.

Penser à l'état dans lequel peut se trouver mon ami m'est insupportable. Et savoir qu'il n'y aura sans doute jamais de réparation pour toute cette souffrance déjà endurée et à venir l'est aussi.

Il n'y a d'espoir que dans la destruction méticuleuse de toutes les idoles de la Loi et de l'État. Un jour il faudra bien qu'elles éclatent, comme du cristal!

*****

À lire: un autre texte de solidarité envers Guillaume et Youri. 

Mise à jour: l'audience aura lieu demain, 9h00, au palais de justice de Montréal (1, Notre-Dame).

Remise à jour: Youri témoigne dans un article publié par Marc-André Cyr.

samedi 14 septembre 2013

Une manif contre la charte.

Il y avait un monde fou et la plupart des gens étaient présents pour défendre la diversité et les droits fondamentaux, autant que pour dénoncer les abus du gouvernement Marois dans cette histoire.

J'avais cependant un certain inconfort vis-à-vis de la manifestation contre la Charte des Valeurs organisée à Montréal par le Collectif Québécois contre l'islamophobie. Et ça s'est renforcé: j'ai un plus gros malaise avec les organisateurs maintenant. Je confirme par ailleurs que les organisateurs de la manifestation, en plus d'être définitivement pas des modérés, étaient pratiquement tous des hommes. Qui dirigeait les slogans? Des hommes. Qui surveillait la circulation? Des hommes. Qui prenait visiblement les décisions en observant la foule et en parlant dans leurs I-Phones? Des hommes. Qui traînait la bannière de tête? En très vaste majorité des hommes.

Et parmi les gens qui sont montés dans la statue, à la Place du Canada, pour crier de nouveaux slogans et se faire prendre en photo, il n'y avait encore une fois que des hommes.

La foule en tant que telle était pourtant composée de beaucoup, beaucoup de femmes. À vue de nez, plus de la moitié. Les femmes musulmanes (voilées ou pas) sont souvent venues avec leurs ami-e-s, et parfois toutes seules - il y en avait d'ailleurs quelques-unes de celles-ci dans mon autobus à Rosemont. Elles n'ont pas été traînées là par un méchant patriarche avec des sourcils accusateurs.

Je sais que beaucoup de gens étaient présent-e-s pour dénoncer la xénophobie - et surtout l'islamophobie - du gouvernement. Mais il aurait été agréable que cette manifestation qui touche de plus près les femmes (surtout les femmes musulmanes, quoique les hommes sikhs et juifs soient aussi visés par la Charte) ne soit pas dominée par un leadership masculin. Ça me fatigue un peu, surtout depuis la manif du 8 mars 2012, qui avait été honteusement récupérée par des hommes machistes (dont plusieurs nationalistes sans doute «laïcs» et pour qui «l'égalité hommes-femmes n'est pas négociable»).

Malgré l'attitude des organisateurs - d'ailleurs, il paraît que plusieurs groupes ont bien failli ne pas appuyer la marche à cause d'eux - et les discours pro-religieux et/ou nationalistes auxquels je n'adhère absolument pas, j'ai apprécié la diversité affichée par la foule. Il y avait beaucoup de gens et beaucoup d'idées différentes.

vendredi 13 septembre 2013

Défi relevé.

La pub originale:

Ma nouvelle version:



Trop facile. Presque rien à changer. Essayez vous aussi!

Merci à Sortons les Radios-Poubelles pour la piste.

lundi 9 septembre 2013

La manifestation contre l'expulsion dans les lofts Moreau

Réuni-e-s tout d'abord devant la station de métro Préfontaine, les manifestant-e-s ont marché pendant quelques temps avant de bifurquer rapidement dans l'entrée et la cour arrière d'un ancien commerce désaffecté, qui abritait autrefois la boutique d'un-e fleuriste. L'édifice de la rue Sherbrooke, rapidement occupé, a été déclaré Z.A.D., c'est-à-dire Zone à Défendre. Des bannières ont été déroulées sur le toit.

Bien entendu, le SPVM, qui suivait la marche, n'a pas apprécié. Quelques minutes plus tard, une quinzaine de fourgonnettes surgissaient dans le stationnement de l'épicerie voisine. Ils ont ensuite procédé à un long exercice d'encerclement. Après un court affrontement assez peu violent mais très tendu, les activistes ont finalement abandonné le nouveau squat et repris la rue. Le groupe s'est dispersé quelques temps après.

L'action visait à lutter contre le problème de gentrification qui affecte Hochelaga depuis maintenant plusieurs années. Beaucoup de personnes présentes - et de tous âges - ressentaient un fort sentiment d'attachement envers ce quartier traditionnellement ouvrier et populaire.

Rappelons que les lofts Moreau, situés non loin du Métro Préfontaine, servaient de logements et d'ateliers à de nombreux/ses artistes et locataires. Des gens qui ont été impunément expulsé-e-s à la suite d'une intervention violente (eh oui, violente, avec des coups de matraques et tout!) de la Police de Montréal. Le propriétaire, Vito Papasodaro, qui avait auparavant pratiquement laissé les lieux à l'abandon, souhaite maintenant rénover l'édifice afin que d'autres ménages, plus fortuné-e-s, s'y installent.

samedi 7 septembre 2013

Sur le voile


Il existe une sorte de binarité dans les arguments concernant le port du voile chez les femmes musulmanes (qu'il s'agisse du hidjab, du niqab, de la burqa, du tchadri, peu importe la terminologie et la réalité culturelle). D'un côté, les anti-voile, qu'illes soient en faveur ou non de la coercition, disent en général que le voile est un symbole de soumission à l'homme. Les femmes musulmanes qui portent le voile et qui décident de s'exprimer sur la question répondent toujours que c'est leur propre choix, que « personne ne le leur a imposé ». Devant la menace du gouvernement, elles répondent par la défense de leur liberté, justement, de porter le voile. De toute façon, c'est pas si pire.

J'ai d'ailleurs déjà entendu une femme musulmane dire que le voile était un embarras bien moins sévère à celui qu'on imposait aux hommes musulmans, c'est-à-dire la réserve absolue vis-à-vis des femmes. Les hommes musulmans devraient en effet « baisser les yeux » devant les femmes, et surtout ne pas daigner croiser leur regard: fixer quelqu'un dans les yeux avait selon la musulmane en question quelque chose d'impudique.

Il est en effet plus facile techniquement de porter un voile que de contrôler parfaitement le sens de notre regard quand celui-ci n'est pas physiquement contraint. Voilà pourquoi d'ailleurs les hommes n'arrivent pas aussi bien à satisfaire les exigences morales et religieuses que les femmes. Et que la plupart essaient sans doute même pas.

Ce genre d'arguments sur la liberté du port du voile n'est pas exclusif aux musulman-e-s. Le même genre de paradigme est présent dans le discours masculiniste nord-américain. Dans un premier temps, il s'agit toujours de renverser les rapports de domination: l'homme, en effet, n'aurait pas réellement de privilège sur la femme au Québec. Il serait plutôt l'esclave de notre société matriarcale [sic]. En conséquence, tous les « prétendus » signes de domination de l'homme sur la femme seraient illusoires. Le sophisme permet de contredire toutes nos justes intuitions et nos questionnements légitimes. C'est comme si un millionnaire, décrit comme tel, se défendait en disant: c'est impossible que je sois riche, car en vérité nous habitons sous une dictature communiste, et que le communisme interdit les riches[1]. Or, il n'y a ici ni régime communiste, ni « matriarcat » qui ait jamais été indépendant de pouvoirs masculins[2].

Malgré tout, sur le fond, je pense que les pro-voile n'ont pas toujours totalement tort. Les musulmanes qui font le choix de porter le voile le font pour diverses raisons, et pas seulement parce qu'elles recevront des claques à la maison si elles ne le font pas. Dans certains pays, il peut être une garantie de sécurité relative, ou à l'inverse, de coquetterie; ou la simple habitude de le porter depuis l'enfance peut rendre pudique à un point où l'inconfort peut être préférable à une sensation de nudité sur sa tête. Il peut même être, dans d'autres situations, l'expression non pas d'une conformité mais d'une forme de rébellion face aux normes et face au « devoir de plaire ». C'est ce que Elsy Fneiche disait en affrontant Denis Lévesque il y a quelques années, lors d'une entrevue que je dois regarder au moins une fois par année, perplexe, même si elle est datée[3].

Il est plus difficile qu'on le croit, pour une jeune femme qui désire être libre, de décider de porter le voile ou non, du moment qu'on y réfléchit longtemps et qu'on arrive à comprendre la logique interne. On fait face à diverses pressions sociales concurrentes: la famille, la communauté culturelle d'attache, l'école, le couple, la Nation, et j'en passe. À défier l'une, on reste avec l'impression désagréable que ce n'est que pour obéir à une autre, et on fait face à des conséquences qui mettent tout autant notre liberté en danger qu'autrefois.

La pression des laïques catholicisant-e-s du Québec s'organise autour du seul argument de l'égalité entre hommes et femmes. Ironiquement, j'entends assez rarement des féministes appuyer l'interdiction du voile dans les institutions publiques[4]. Et la FFQ est contre. Encore plus ironiquement, beaucoup d'islamophobes sont également des antiféministes notoires[5]. Il faudrait que ces gens-là avouent leur réel problème: voir un hidjab, des cheveux boudinés ou une robe africaine colorée, ça agace leur oeil. Comme voir un-e punk dormir sur un boutte de boîte de carton, avec deux chiens, ou une personne défigurée. Ça remet en question l'uniformité chérie sur laquelle illes s'appuient comme sur une béquille.

En ce qui concerne l'argument de la neutralité de l'État, ça me semble dangereux. Comme le dit Khaled El-Hage sur son blogue, l'infirmière n'est pas l'État. Forcer le personnel à ne pas afficher leurs idées ou leur religion est une manière de faire disparaître l'individu derrière les structures de pouvoir. Vous connaissez Eichmann?

Pour le reste, forcer les musulmanes pratiquantes à ôter le voile au travail ne les rendra pas moins religieuses. Celles qui accepteront les nouvelles conditions d'emploi vont quand même continuer de prier et d'avoir des croyances qui peuvent, dans certains cas, nier leurs désirs profonds, en admettant que ce soit cela qui choque réellement les pro-interdiction. Car cet ensemble de pratiques religieuses - quand elles le sont - ressemble selon moi assez souvent à de la servitude volontaire et de l'aliénation, plutôt qu'à une soumission à l'argumentum baculinum. Une aliénation tout à fait semblable à celles qu'on vit dans le cadre de notre mode de vie occidental et libre, et cela inclut les gens non-religieux.  Et je ne pense pas que la force est le meilleur moyen de venir à bout de l'aliénation. On ne libère pas par une interdiction (du moins, pas par une interdiction visant le sujet).

Certaines choses, trop présentes, deviennent parfois invisibles[6]. Nous sommes tellement habitué-e-s de voir les femmes évoluer soi-disant librement que nous arrivons parfois à nier les pressions qu'elles subissent et qui sont rappelées quotidiennement par des féministes qu'on préfère d'ailleurs ne pas écouter. Nous sommes persuadé-e-s aussi que le seul modèle alternatif à la « soumission de la femme musulmane » est le mode de vie commun de la « femme occidentale » ou « québécoise », telle que perçue au travers des normes et des représentations.

_____________

[1] Un exemple tiré par les cheveux mais ironiquement inspiré de fait réels.
[2] Les congrégations catholiques féminines en constituent un excellent exemple à échelle institutionnelle. Il suffit par exemple d'observer le rôle tyrannique de Mgr Bourget dans le développement au Québec des Soeurs de Sainte-Anne.
[3]Notez que la femme en question, psychoéducatrice, aide aujourd'hui les ados de familles migrantes à gérer leurs problèmes. Rima Elkouri a écrit un article relativement élogieux sur son oeuvre en 2012. Impossible de garantir qu'Elsy Fneiche tiendrait aujourd'hui exactement (au détail près) le même discours, qui comporte des contradictions.
[4] Bien que je sais que le débat existe et qu'il est public
[5] Je vais vous référer à ma tête de turc préférée, la radio d'opinion
[6]Comment se fait-il que notre société de publicité et de relations publiques - et donc, définitivement, de la servitude volontaire - ait paradoxalement tendance préconiser autant les interdictions? Il semble bien que les deux phénomènes se côtoient (c'est le Meilleur des Mondes de Huxley ET 1984 de Orwell!) et s'encouragent mutuellement.

lundi 26 août 2013

Communiqué contre l'armée égyptienne et toute forme de tyrannie.

Ceci est une (ma) traduction en français d'un communiqué récemment émis en anglais sur le site Void Mirror. Je réagis, par la publication de ce texte, au triste et inexplicable soutien à l'armée par un vaste pan de ma communauté.

Communiqué d'anarchistes d'Égypte (Tahrir-ICN), 17 août 2013

Les évènements des jours passés sont la dernière étape d'une séquence d'évènements par lesquels l'armée a pu consolider sa poigne sur le gouvernement, visant à terme la mort de la révolution et un retour à l'État policier/militaire.

Le régime autoritaire des Frères Musulmans devait partir. Mais ce qui l'a remplacé montre bien la vraie nature des militaires d'Égypte. Ce nouveau régime n'est pas moins autoritaire, pas moins fasciste... et certainement cette fois-ci plus difficile à renverser.

Le massacre perpétré par l'armée contre les partisans de Morsi aux places Nahda et Raba'a a fait environ 500 mort-e-s et 3000 blessé-e-s (du moins, c'est ce qu'en dit le ministère de la Santé - la réalité risque d'être bien plus dramatique). C'était un acte prémédité de terrorisme d'État. Son objectif est de diviser le peuple et de pousser les Frères Musulmans à augmenter leurs activités de milice, afin de se venger et de se protéger. Cela permettra éventuellement à l'armée de dépeindre tous les Islamistes comme des terroristes et de créer un « ennemi intérieur » commode, ce qui leur permettra de garder le régime militaire dans un constant état d'urgence.

Aujourd'hui, ils s'attaquent aux Frères musulmans, mais demain, il iront contre toute personne qui osera les critiquer. Déjà, l'armée a déclaré l'État d'Urgence pour un mois, accordant à la police et l'armée des pouvoirs d'exception, et un couvre-feu a été déclaré dans plusieurs provinces entre 19h00 et 6h00. L'armée a maintenant les mains libres afin de supprimer toute dissidence. Nous vivons réellement un retour aux jours d'avant la révolution, alors que la loi sur les mesures d'urgence, en place depuis 1967, avait créé une structure de vaste répression et de déni total des libertés.

La nature du nouveau régime est claire. Il y a quelques jours seulement, dix-huit nouveaux gouverneurs ont été choisis, la majorité provenant des rangs de la police et de l'armée, ou même du l'ex-gouvernement Moubarak. Parallèlement, les attaques contre les travailleurs/euses en grève qui luttent pour leurs droits se poursuivent (notons par exemple l'agression et l'arrestation des ouvriers des aciéries à Suez). Le régime militaire a également déclaré la chasse aux activistes révolutionnaires; des journalistes ont été battus et arrêté-e-s; des étrangers/ères menacé-e-s alors qu'illes étaient témoins d'évènements tragiques. Les médias locaux et internationaux répandent des demi-vérités et inventent des récits qui servent un certain agenda politique. La contre-révolution est en marche et elle sait comment anéantir l'unité du peuple, dans son effort de division pour mieux régner.

Au cours des deux derniers jours, il y a eu une augmentation des conflits religieux. Jusqu'à cinquante églises et institutions chrétiennes ont été attaquées. Ni la police ni l'armée n'ont été vues sur les lieux, en train de protéger les édifices appartenant à la communauté chrétienne. Car c'est en fait dans l'intérêt à la fois de l'armée et des Frères Musulmans d'exciter les tensions et de répandre la terreur et la haine dans le peuple. Ils luttent pour le contrôle de l'État pendant que le sang de la population coule dans les rues.

Nous condamnons les massacres aux places Raba'a et Nahda, les attaques contre les travailleurs/euses, contre les activistes et les journalistes, nous condamnons la manipulation du peuple par des gens qui ont l'ambition du pouvoir, et les attaques à caractère religieux. Pour que la révolution se poursuive, le peuple doit rester uni dans son opposition contre les abus et la tyrannie du pouvoir, peu importe contre qui la répression est dirigée.

À bas les militaires d'Al-Sissi!
À bas les raclures du régime Moubarak et l'élite financière!
À bas l'État, tout le pouvoir à des communautés autogérées!
Longue vie à la révolution égyptienne!

mardi 30 juillet 2013

Cher M. Paquet: ta yeule.

Voici une nouvelle lettre d'insultes. Cette fois-ci, j'ai pris acte du débat entre certain-e-s intellectuel-le-s en relevant encore le niveau littéraire. C'est comme du Bourdieu en plus moche : j'aime ça.

Cette lettre concerne les propos dégueulasses de Martin Paquet vis-à-vis des itinérant-e-s. Mais je l'ai pas encore envoyée, parce que j'ai peur qu'il me poursuive pour agression.

« Cher M. Paquet,

j'ai écouté deux segments du « 2 à 4 » concernant le problème de l'itinérance à Montréal. Ma première réaction fut la recherche de second degré dans chacune de vos déclarations.

Mais après une évaluation globale de votre degré d'intelligence, j'ai estimé que la notion même d'ironie est sans doute trop complexe pour les capacités de votre esprit, habitué à l'humour gras, aux faux syllogismes, à l'extrapolation et à la propagande haineuse. Des procédés auxquels, je le crois, votre cerveau de plante verte se livre en partie inconsciemment, par une sorte d'instinct contre-nature. À la manière d'un rat attiré par le poison à rats, le mensonge et l'exagération vous font saliver sans que vous ne puissiez rien y faire.

C'est donc l'indifférence face à votre existence qui a rapidement pris le pas sur la curiosité. Mais de nouveaux éléments me sont venus en tête au cours des dernières heures. En effet, je me rends compte que votre émission est en voie de devenir petit à petit un laboratoire miniature de la renaissance du totalitarisme au Québec. Elle représente une sorte de microcosme de l'imaginaire, nourri par votre fiction paranoïaque et intolérante. Cela m'amène à vous parler des théories de Hannah Arendt sur la banalité du mal, qui sont revenues à la mode grâce au récent film de Von Trotta sur le Procès Eichmann. Arendt décrivait ce criminel nazi, en résumé, comme une personne incapable de penser et voyait dans sa médiocrité la raison pour laquelle il avait commis des actes abominables. De même, vous vous êtes réifié vous-même, c'est-à-dire que vous avez fait de vous votre propre outil, et débitez maintenant, à la manière d'un automate, des grossièretés convenues et formatées. Vous n'êtes au bout du compte pas un génie du mal, mais un être-machine. Et le processus qui vous a amené jusqu'à cet état est fascinant.

Maintenant, je ferais volontiers une recherche exhaustive sur votre cas, mais après seulement deux heures d'examen, j'ai ressenti une douleur vive juste au-dessus de ma tempe droite, signe sans doute que le volume de mon cerveau se contracte à votre écoute. Je fais donc face à un dilemme : dois-je risquer la lobotomie intellectuelle au seul bénéfice de la science? Ne serait-ce pas plutôt vous qui en mériteriez une? Peut-être, paradoxalement, qu'une telle opération vous stimulerait en retirant la partie moisie.

Ces constatations m'amènent par ailleurs à me poser une question plus fondamentale : mon vomi est-il moins dégueulasse que vos propos?

Reste la pertinence de cette lettre. Pourquoi perdre mon temps, en effet, avec ce courriel. Vous faire part de mes questionnements pourrait avoir l'air de mettre en péril l'expérience. A contrario, je vous assure qu'elle en fait totalement partie. C'est une sorte de sonde, semblable à Mars Polar Lander ou Phoenix. Celles-ci tentaient de déterminer s'il y avait sur la planète rouge présence d'eau ou non.

Donc je vous pose la question : votre boîte crânienne est-elle essentiellement formée d'eau? Ou au contraire, le réseau de vos cinq neurones forme-t-il une structure à la texture semblable au raisin sec?

***

Il est tout à fait normal pour vous de n'avoir rien compris à ma lettre. Vous n'êtes pas le premier être binaire à lire difficilement les mots contenant plus de deux syllabes.

Je vous résume donc l'essentiel pour que vous éviter toute confusion : ceci était une lettre d'insultes tournant autour de votre imbécillité.

Bien à vous,

c'est signé.»

Un ancien flic fait de l'agitation haineuse à Choi Radio-X.

Je ne pense pas que ça surprendra beaucoup de monde, mais les propos haineux et violents se poursuivent à Radio-X, plus que jamais. Dans le cas qui nous intéresse, Martin Paquet, ancien policier devenu animateur-poubelle à Montréal et son collègue s'amusent à parler contre les itinérant-e-s. Malgré qu'il est modéré par son co-animateur, Paquet en vient même à souhaiter la mort d'itinérant-e-s et à insister sur le fait qu'il n'exagère pas.

Paquet, qui avait apparemment l'habitude de « faire des filatures » quand il était encore en service, dit s'être fait « agresser » par des itinérant-e-s à plusieurs reprises sur le Plateau. Ce qu'il entend par là: il s'est fait aborder par des itinérant-e-s qui voulaient de l'argent: « Moi là quand je marche, pis qu'il y a un estie de sale qui pue la marde qui s'est pas lavé depuis je sais pas combien de temps [...] »

Il raconte ensuite que deux itinérant-e-s sont entré-e-s en conflit pour des raisons apparemment territoriales. Sa réaction:

« La bataille va pogner ça va être le fun, peut-être que les deux vont se péter la tête sur le trottoir pis on va s'en débarrasser, on va en avoir deux de moins dans'à ville. »

Il en profite pour exagérer grossièrement le problème:

« À Montréal, astie, on peut pas marcher nulle part sans se faire écoeurer par ces gars-là. »

Sans surprise, par la suite, il appelle à la répression policière contre les mendiant-e-s et les Squeegees. 

Et dire qu'après ça, à la moindre dénonciation, ça part en poursuites judiciaires et les opposant-e-s doivent jusqu'à organiser des spectacles pour financer la défense des accusé-e-s. Une manne pour les avocat-e-s, dommage que Denis Poitras puisse pas en profiter.

Cet épisode odieux nous rappelle aussi dans quel genre de climat intellectuel peut avoir évolué cet ex-flic ordinaire. Quand un porc assassine un-e pauvre et se fait traiter ensuite pour choc nerveux, combien parmi ses collègues se félicitent en privé du fait qu'il y a un crotté de moins à Montréal?

samedi 6 juillet 2013

Oui, c'est un coup d'État.

Beaucoup d'Égyptien-ne-s, d'expatrié-e-s haïssant Morsi et de simples observateurs/trices, sont choqué-e-s par la réaction par les chefs d'État des démocraties libérales, qui ne voient pas d'un très bon oeil le renversement des Frères musulmans en Égypte, et de plusieurs politologues et éditorialistes, qui utilisent sans ménagement l'expression «Coup d'État» en le condamnant sauvagement.

Je ne vais envoyer que deux liens. L'un est un court texte sur Facebook, et l'autre une interview sur lemonde.fr, mais ils sont selon moi relativement représentatifs. En gros, on argue que d'avoir chaviré les Islamistes, ce n'était pas un coup d'État, mais une (deuxième) révolution; qu'on passe totalement outre le rôle de la population dans toute cette histoire.

La mobilisation menée par Tamarod fut effectivement formidable, et la légitimité de la contestation a en quelque sorte dépassé la légitimité du gouvernement lui-même, à la suite de la remise d'une pétition de 22 millions de noms et de toutes les manifestations monstres. Du moins, en théorie. Car la légitimité est une chose complexe.

Et c'est cette légitimité qui est remise en cause par cette suite d'évènements. Pas étonnant tout d'abord qu'une forte minorité de parlementaristes et électoralistes d'Occident soient choqué-e-s par ce coup d'État. Rappelons que selon eux, les Égyptien-ne-s de (l'ancienne) opposition ont en quelque sorte rejeté les résultats d'une élection démocratique comme il s'en fait partout en Occident. C'est aussi la défense utilisée par de nombreux/euses partisan-e-s des Frères musulmans.

J'ai dit à quelques reprises, je pense (dans, malheureusement, des billets qui ont disparu), que l'Égypte avait à nous en apprendre sur nous-mêmes[1].

Le réflexe des électoralistes a été très vif: si on sanctionne un tel coup d'État dans un pays «émergent», sous prétexte que le gouvernement élu ne respecte pas ses promesses, ou prend des allures d'un régime autoritaire, il faut éviter de faire deux poids, deux mesures. Qu'en est-il effectivement du gouvernement américain, qui espionne ses citoyen-ne-s, et tente de faire rôtir toute personne (je pense notamment à Snowden et Manning) qui libère des informations critiques sur lui? Qu'en est-il de nos propres gouvernements corrompus, qui donnent presque l'impression de violer quotidiennement les lois électorales, qui bâillonnent les journalistes, scientifiques, archivistes, qui détruisent graduellement notre filet social et notre environnement?

Mais qui irait dire qu'il serait légitime, pour l'armée canadienne, de remplacer Stephen Harper par Justin Trudeau, moins de 72 heures après une manif qui serait plus grosse que les autres, et d'en profiter pour mettre aux arrêts la moitié du gouvernement?

Rapport de force

Les défenseur-e-s du coup d'État affirment que les élections qui ont mené Morsi au pouvoir étaient de toute façon truquées. Les arguments utilisés sont divers: les Frères musulmans auraient acheté les votes des plus pauvres et profité de leur analphabétisme, il y aurait eu 12 millions de faux bulletins (un peu comme en Bulgarie, tiens), de l'intimidation devant les bureaux de vote, etc. Ces informations sont fragmentaires et je ne peux garantir leur totale véracité, la démagogie étant fort à la mode dans ce genre de contexte. Mais c'est tout à fait possible.

Cela dit, souvenons-nous qu'un rapport de force est aussi l'apanage des élections libres en Occident. Qui ne se souvient pas de la défaite d'Al Gore aux mains des Républicains? Et qui ne se souvient pas de la tentative de putsch démocratique de Stéphane Dion, qui a, avec sa coalition, presque réussi à renverser le gouvernement minoritaire de Harper en décembre 2008? Cette mini-crise[2] de légitimité a été réglée par le rapport de force supérieur du premier ministre, beaucoup plus que par le respect le plus strict de la loi et de la démocratie. Harper avait alors utilisé la peur des séparatistes afin de justifier son refus de laisser l'opposition (pourtant majoritaire) de prendre la relève. Et que dire du récent échec de la loi antiavortement au Texas? Les progressistes ont tout simplement réduit à néant la «démocratie» texane grâce à leur rapport de force (physique!) supérieur.

La démagogie, le mensonge, les manipulations diverses, les dépenses illégales, la corruption et les actions de perturbation caractérisent autant la démocratie naissante de l'Égypte que nos propres régimes occidentaux. Je poserais donc cette question aux partisan-e-s du pustch militaire: pourquoi? Pourquoi Morsi et pas Obama, ou Nieto? Les pro-putsch auraient-illes aussi appuyé les militaires du Mexique, si ceux-ci avaient décidé de chavirer l'actuel président, lui aussi contesté dans le cadre de manifs historiques? Que pensent-illes du Coup d'État de 2009 au Honduras, qui était plus que légal et avait été validé le jour même par les tribunaux?

En ce qui concerne les pro-Morsi d'Occident, dont je peine à comprendre la mentalité, je me demande où illes étaient en 2002, quand Chavez, lui aussi un leader autoritaire et épeurant, mais démocratiquement élu, a été temporairement renversé dans le cadre d'un putsch.

Une différence entre révolution et coup d'État?

Wikipédia, de manière assez idéaliste, dit ceci: «On le distingue [le coup d'État] d'une révolution en ce que celle-ci est populaire». C'est je crois, en effet, une excellente définition de ce que l'on perçoit avec beaucoup de romantisme comme une révolution: un mouvement guidé par une sorte de conscience collective et une population qui agit comme un bloc monolithique. Plusieurs des Égyptien-ne-s eux-mêmes parlent d'une "seconde" révolution: comme si une révolution se résumait au transfert du pouvoir d'un parti à un autre! La révolution me semble au contraire être un continuum plus long, qu'elle soit «par étapes» ou permanente, selon l'expression marxiste. À l'intérieur de cette révolution, eh bien, il peut y avoir des coups d'État. Les révolutions sont rarement légales! Il peut aussi ne pas y en avoir de coup d'État, par exemple quand le chef du régime déchu fuit sans avertissement dans un autre pays et que les révolutionnaires ne font que combler le vide. Ou encore, quand les opposant-e-s combattent longuement les forces armées et finissent par encercler le bunker présidentiel, avant de liquider le tyran après un siège sanglant.

Quand le leader refuse de démissionner, il n'y a pas de scénario à l'eau de rose. Là-dessus, les opposant-e-s et les partisan-e-s de Morsi devraient s'ouvrir les yeux. Oui, ce fut un coup d'État. Mais non, en comparaison de ce qui se passe ailleurs, ce n'est pas un scandale absolu: les gens qui souhaitent exercer le pouvoir ne respectent les lois que quand ça les arrange, et la légitimité s'assoie en général finalement sur un rapport de force brute, dans laquelle la légalité et les tribunaux ne sont que des éléments. Ceux-ci sont d'ailleurs la plupart du temps moins importants que le nombre de fusils, quand il se trouve que les citoyen-ne-s ont perdu leurs illusions.

Conclusion

El-Baradei, le chouchou de tout le monde, et qui a refusé l'an dernier de participer aux élections, la qualifiant de mise en scène, vient d'être nommé premier ministre de l'Égypte. Nommé, pas élu. Et dans un contexte où la constitution est suspendue, par ailleurs. C'est un revirement inattendu.

Maintenant, il est une des personnalités les plus majeures du gouvernement, un gouvernement intérimaire destiné à renverser la tyrannie naissante, mais qui massacre les manifestant-e-s dans les rues (37 morts en 24 heures, minimum). Les pro-Morsi sont bien entendu de drôles d'oiseaux, mais la solution apportée par les militaires - l'arrestation de centaines de membres du parti et du Président au départ[3], et maintenant l'assassinat de manifestant-e-s, pacifiques ou pas - reste tout de même d'une grande brutalité.

Il est étonnant que dans ce contexte intellectuel, tous et toutes frappent le mur de la «démocratie». Les pro-Morsi disent la défendre. Les anti-Morsi la disent mise en péril. On compare le président déchu à Hitler, lui aussi élu «démocratiquement», et on prétend défendre la souveraineté du Peuple. Sans se rendre compte qu'il y a peut-être quelque chose qui cloche avec cette hostie de démocratie, et que c'est peut-être pour cela que l'Égypte continue de brûler.

La démocratie telle que comprise dans nos institutions nationales, ce n'est pas le règne d'un peuple solidaire, bienveillant et unifié sur l'État. C'est consentir à la loi du plus grand nombre. Et c'est un consentement forcé, contre lequel il n'existe aucune espèce de dissociation possible. D'où la nécessité absolue de défendre nos libertés au-delà de ce que peut penser le nombre le plus puissant, qu'il représente 10, 34 ou 99,9% de la population totale.

Les défenseurs/eures de la démocratie, pro et anti Morsi, peuvent bien être perplexes: la situation actuelle montre bien les failles de leur système, qui donne deux choix aux Égyptien-ne-s: un régime élu et dictatorial ou un régime modéré et illégitime. Il ne faut cependant pas croire que les habitant-e-s de la rive du Nil sont tous des naïfs/ives. Beaucoup d'entre eux s'interrogent sérieusement et arrivent à des constats bien plus pertinents que ce qu'on peut en dire à partir de l'extérieur.

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[1]Je vais prendre un exemple concret qui va me servir d'analogie. Un jour, alors que je prenais un minibus avec des collègues, nous sommes passé-e-s devant une charrette tirée par un âne d'une maigreur inquiétante. La réaction fut immédiate: « Regardez comment ils traitent les animaux ici. C'est désolant. » J'ai alors demandé à l'auteur du commentaire s'il mangeait de la viande, dans son propre pays. Il n'était pas idiot, il connaissait le sort cruel réservé aux animaux d'abattage en Amérique du Nord. Il a admis que les choses n'étaient finalement pas si différentes. Les Égyptien-ne-s ne sont pas plus barbares que nous.
[2] C'était tellement extraordinaire comme moment. Il y avait tellement personne dans les manifs.
[3] Ça ne me dérange pas qu'ils aillent en prison, mais les militaires devraient aussi songer à s'arrêter eux-mêmes.

mercredi 3 juillet 2013

Pourquoi je déteste certaines émissions historiques à Radio-Canada.

Au risque de paraître snob et d'en choquer plusieurs, je dois avouer que j'évite généralement les émissions de radio traitant spécifiquement de sujets historiques et anthropologiques au Québec. Plus particulièrement, j'évite les émissions de Serge Bouchard: ce n'est pas un secret, je l'ai dit il y a plusieurs mois. J'avais promis de consacrer un billet sur le sujet - on me l'a par la suite rappelé à plusieurs reprises. Comme il est malheureusement difficile de naviguer à travers les sources radiophoniques, je n'ai pas encore pu produire de recherche exhaustive. En revanche, à l'aide de plusieurs exemples et d'une comparaison avec d'autres types de podcasts, je souhaite pouvoir montrer les failles importantes dans la réalisation de ces émissions radio-canadiennes.

Le mythe de l'historien et du vieux sage au Québec

Nous avons, au Québec, une indécrottable tendance à détester les intellectuel-le-s, et de leur préférer quelques figures de grands sages âgés. Parmi eux, bien entendu, quelques historiens et anthropologues (et quelquefois sociologues) ont une place de choix, mais ils ne sont pas seuls. Pensons seulement à Jacques Languirand et Hubert Reeves, dont la crédibilité dépasse largement leurs sphères de compétences. Ils sont philosophes, observateurs, analystes, des hommes érudits qui sont écoutés quand ils sonnent l'alarme sur un phénomène inquiétant. Ils peuvent dire n'importe quelle connerie, les gens les écoutent avec un air imbécile et rempli d'admiration béate.

Il me semble parfois qu'on fait assez peu de place, ici, à d'autres personnes que ce type de sages à la science infuse et à l'expérience centenaire. Ce que nous appelons souvent (et peut-être à tort) l'élite intellectuelle, au Québec, est une gérontocratie masculine. Personne n'est écouté de la même façon que ceux-là, personne ne peut se donner le droit de dire comme eux des monologues de plusieurs heures à la radio et de renouveler l'expérience à chaque semaine (mis à part les animateurs de la radio-poubelle). Et l'avenir ne promet pas de changements brusques. Serge Bouchard et André Champagne seront assurément un jour remplacés par Mathieu Bock-Côté, Éric Bédard et compagnie. Sans surprise, et malgré l'abondance de femmes sociologues et d'historiennes d'un grand talent, c'est le même type d'hommes bien conformes et souvent conservateurs qui formeront les bases de l'establishment. Les femmes de radio sont plutôt reléguées au rôle d'intervieweuses - elles ont du pouvoir mais pas d'autorité. Elles posent des questions mais ne possèdent pas de réponses.

En bref: pas de place, à la radio, pour l'histoire culturelle et sociale, ni pour les femmes « sages », ni vraiment pour les idées jeunes.

Serge Bouchard et l'histoire à Radio-Can

Serge Bouchard fait partie du groupe d'hommes à la crédibilité immortelle. Loin des chantiers de recherche et des laboratoires, loin du terrain, il peut se permettre de déballer l'histoire de ce que lui et ses recherchistes jugent important. Il est extrêmement rare que son émission soit motivée par la publication récente d'études - ou quand ça arrive, il le mentionne peu ou pas - et il est impossible de savoir si son émission n'est que le pâle résumé d'une seule source: la plupart du temps, il ne fait que parler d'un sujet sans s'arrêter, ne donnant la parole à presque personne. Dans «les Remarquables oublié-e-s», les invité-e-s sont rares, les citations d'auteur-e-s aussi. Il faut souvent se fier à la seule autorité de Serge Bouchard, à son savoir encyclopédique et surtout à ses choix parfois douteux en matière de références. Le fait est: Bouchard ne sait pas tout. On ne peut être spécialiste (et c'est le cas en histoire comme ailleurs) de tous les personnages, de tous les thèmes. Bouchard en donne pourtant l'impression.

Mais quand on est payé-e grassement, quand on a une équipe de recherchistes avec nous, il est essentiel de lire beaucoup, et surtout de lire des articles et livres diversifiés. Or, dans les bibliographies fournies sur le site de les Remarquables Oubliés, non seulement on rencontre un nombre anormalement élevé de trucs écrits par Denis Vaugeois, mais la plupart des références sont datées ou de mauvaise qualité. Plusieurs liens sont maintenant brisés (ce ne serait pas le cas si les sites vers lesquels menaient les liens étaient scientifiques) et se limitent à des synthèses minables, parfois produites par des non-scientifiques souvent très biaisé-e-s[1]. Ce genre de bibliographies, dont les références sont d'ailleurs souvent partielles (pas de nombre de pages, souvent pas de date de publication, ou pas de nom d'édition) n'est même pas digne d'un travail de première année de cégep.

Prenons l'exemple de Sacajawea. N'importe quel-le chercheur-e en histoire, si on lui donnait le mandat de faire une recherche rapide sur elle, aurait le réflexe de consulter immédiatement deux moteurs de recherche: celui de sa bibliothèque universitaire et un autre, plus direct, menant vers des articles numérisés et disponibles en ligne. En quelques minutes, on peut donc trouver des dizaines de titres. Par exemple, avec Jstor et le site de la bibliothèque de l'UQAM. On peut se rendre compte qu'il s'est écrit des choses bien plus récentes sur Sacajawea et son contexte que les livres de Denfenbach (1929) et de Herbard (1933).  J'en profite pour vous faire remarquer que le nombre incroyable de références montre assez bien que Sacajawea ne fait pas partie des « oubliées » dans la tête de tout le monde, ni Jeanne Mance, à laquelle Serge Bouchard consacre aussi une émission (apparemment un collage de résumés de deux ou trois livres, comme les autres).

Serge Bouchard ne joue pas le rôle qu'il se donne dans cette émission, celui d'une espèce de justicier de l'histoire qui en montre « l'envers ». Il fait comme on a toujours fait pour soi-disant élever le public à l'amour de la Nation: des biographies clinquantes et criardes d'aventuriers/ères, avec en prime un générique tout droit sorti d'un film de Ridley Scott. Ça fait des années que les historien-ne-s ne font plus ça. L'art de la biographie lui-même ne correspond plus à cela. Vouloir nous faire connaître tous et toutes les héros et héroïnes de la colonisation, d'Étienne Brûlé à Marie-Josèphe-Angélique, c'était à la mode dans les manuels scolaires... des années cinquante, dans lesquels on passait plus de pages à montrer les exploits formidables de Dollar-des-Ormeaux que de parler de l'industrialisation ou de mouvements migratoires. C'était des biographies idéalisées, peu critiques, peu analytiques. C'est exactement ce que Serge Bouchard fait dans son émission.

On me dira que c'est une émission de vulgarisation, et que je devrais peut-être faire preuve de compréhension. Mais le fait est: quand on vulgarise la science, ce n'est généralement avec une métho vieille de soixante ans. Les journalistes scientifiques qui essaient d'expliquer l'atome à des non-initié-e-s ne vont en général pas se limiter au modèle de Thomson. Pourquoi? Parce que nous n'en sommes plus là et que tout le monde parle du boson de Higgs depuis des mois. Pourquoi devrait-on tolérer, en sciences sociales, que les vulgarisateurs/trices, de un, passent outre le travail récent des chercheurs/res, mais en plus, accaparent personnellement autant d'attention, se présentant presque comme les seul-e-s interlocuteurs/trices fiables avec qui parler d'anthropo, d'histoire et de socio?

L'autre principale émission de Bouchard, «Les Chemins de travers», m'énerve encore plus, malgré l'absence de plate biographie cette fois. Il passe une heure entière à parler tout seul avant d'interroger finalement des invité-e-s, parfois assez mal choisi-e-s en deuxième heure. Dans son émission sur «le scotch, whisky et cie», à cours d'inspiration musicale - peut-être que les recherchistes devraient fouiller davantage! - il a même eu le front de faire jouer «la Tribu de Dana» et de se plaindre, plus tard, qu'on « ne donne pas assez d'importance à la traite des fourrures dans l'histoire du Canada ».

Sans commentaires.

Les autres

Les autres émissions de radio traitant d'histoire, à la Première Chaîne, sont à peine mieux, excluant les documentaires, qui sont souvent bien réalisés.  «C'est une autre histoire» est aussi nettement supérieure aux autres: Jean-François Nadeau ne fait pas semblant d'être LE spécialiste, il pose des questions à ses invité-e-s, qui sont présenté-e-s comme les interlocuteurs/trices crédibles et qui sont souvent les auteur-e-s des ouvrages dont Serge Bouchard, ailleurs, ne ferait que «s'inspirer».

En revanche, Histoires d'objets est une vraie blague qui traite plus de faits divers que de l'histoire matérielle. C'est tout à fait adapté à la tangente de divertissement que semble prendre SRC depuis un bout de temps[2]. Par ailleurs, la présentation de l'émission, sur le site web, est ridicule. En voici un exemple:

«Un historien dit tout sur la monnaie de carte. »

Ah ouais? Quel historien?

«Un criminologue parle de l'énorme marché des cartes de crédit volées.»

Quel criminoloooooogue?

 L'émission ne manque pourtant pas de nommer les reporters, et toutes leurs activités ludiques:

«Marie-Michèle Giguère suit un cours d'orienteering, un sport très en vogue dans plusieurs parties du monde. Le but : gagner une course en pleine forêt armé simplement d'une boussole et d'une carte géographique.»

Note aux lecteurs/trices intéressé-e-s: quand tu fais une émission de radio, tu nommes tes invité-e-s sur ton site web.

Quant à la première de «C'est toujours la même histoire», ce fut relativement décevant. On a invité les mêmes historiens que d'hab, et on a traité du sujet avec une totale absence de profondeur. Peut-être cependant que ça peut s'améliorer.

Ailleurs

Il y a des podcasts d'historien-ne-s partout dans le monde, mais il est facile de comparer les émissions de SRC avec «Le Salon Noir», «La Fabrique de l'histoire» et «Les lundis de l'histoire» à France Culture.  Une émission plus vulgarisée est également diffusée à France Inter. Dans tous les cas, l'accent est mis sur l'invité-e, même quand l'animateur (c'est généralement un homme) est un monument vivant comme Jacques le Goff. Même quand le sujet touche directement à l'époque étudiée par l'animateur. Les sujets d'émissions touchent aux recherches actuelles. Les interlocuteurs/trices (et des femmes invitées, il y en a beaucoup cette fois) sont des spécialistes du sujet traité. Toujours. On peut penser que cela peut amener des complications: en effet, ne parler que de recherches actuelles suppose qu'on limite le nombre de thématiques. Pourtant, les émissions susnommées traitent de toutes les époques, de toutes les régions du monde. On n'y retrouve pas la même étroitesse d'esprit qu'à Radio-Can, où l'accent est mis presque uniquement sur l'histoire du Québec/Canada.

Avec le nombre de profs d'histoire, au Québec, et de thésards/ardes provenant de tous les champs, il serait possible de nous payer des émissions d'histoire rigoureuses, intéressantes et au contenu diversifié, qui ne mettent pas en vedette qu'un seul et unique vieux raconteur adoptant toujours la même et plate approche.

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[1] Dont un lien par exemple vers nul autre que l'Autjournal!
[2] Message aux décideurs/euses de Radio-Can: vos niaiseries sont aussi divertissantes que des jokes de pets.