mardi 26 avril 2011

Je repars - mon amour de l'Égypte

C'est confirmé depuis la semaine dernière: je pars pour six semaines en mission épigraphique[1] à Louxor, en Égypte. Je n'ai pas encore décidé si j'allais continuer à rédiger des billets à partir de là-bas, en raison de ma connexion incertaine, du gouvernement militaire pas si démocratique que ça et le besoin urgent de changer d'air.

Si vous constatez que je n'ai pas écrit de billet depuis un très long moment, dites-vous que c'est seulement temporaire. À moins d'une illumination ou d'une lobotomie, je ne compte pas abandonner mes tribulations tout de suite.

Je suis un peu ambivalent vis-à-vis de ce voyage. L'Égypte n'est pas un pays que je déteste mais c'est certainement celui face auquel j'entretiens le plus de frustration. La ségrégation entre les étrangers/ères et le peuple rend la communication difficile. Les Égyptien-ne-s ne fréquentent souvent pas les mêmes wagons dans les trains, les mêmes parties des bateaux (les mêmes bateaux, en fait), les mêmes autobus. Certaines régions sont même pratiquement interdites aux touristes, et les murs (modernes) entourant certains temples de l'époque lagide (genre Cléopâtre) sont parfois aussi élevés et épais que le mur de séparation en Palestine!

Le Caire

C'est invivable. La ville est polluée, stressante, surpeuplée, frénétique, et esthétiquement victime de la mégalomanie de quelques nationalistes crétins et quétaines. Au contraire de villes comme Tunis, elle regroupe le pire de l'Occident et le pire du Proche-Orient: le capitalisme débridé, la surconsommation, la malbouffe, l'isolement individualiste, le vice - qui reste subtil - et les grosses maisons côtoient le patriarcat ultraconservateur, l'irrationalité servile dans la pratique de la religion et la colère qui se cache derrière un sourire crispé.

Ce n'est qu'en se mettant à courir pour semer un "étudiant en histoire" trop insistant ou un marchand qu'on peut parvenir à se perdre dans les petites rues de quartiers populaires et éloignés de tout attrait touristique. Dans ces quartiers, les gens sont étonnés de vous voir, les enfants vous disent bonjour, on essaie de rien vous vendre et l'ambiance y est mille fois meilleure. S'il y a une beauté dans cet oasis commercial, c'est bien plus ça qu'un panorama de carte postale avec les minarets des grandes mosquées, des immeubles en ruines qui "font pittoresque" et les pyramides de Gizeh qui se dressent en arrière-plan derrière un voile de smog jaunâtre.

Les touristes

J'ai entendu et lu beaucoup de choses sur l'Égypte, et la plupart des commentaires négatifs étaient aussi pitoyables que les positifs. Du point de vue des détracteurs/trices, c'est la saleté qui choque:
- photo de crotte de chien sur une statue de Ramsès II. (Comme si ce tyran avait mérité mieux.)
- Toits des maisons qui servent de débarras, avec des cochonneries qui déteignent au soleil.
- Ya de la poussière/fait chaud/ils portent la moustache, on dirait qu'ils sont stickés dans les années 1986.

Du point de vue des admirateurs/trices, c'est pas plus reluisant:
- Il faut impérativement faire une croisière sur le Nil quand on va en Égypte. C'est tellement relaxant.
- Notre guide (dans le forfait tout inclus) était un-e vrai-e égyptologue.
- Les couchers de soleil.
- Les pyramides, c'est la chose la plus belle que j'ai vue.[2]
- C'est magiiiiiique.

Étrangement, personne ne parle de la pauvreté endémique, du chômage, de cette ségrégation touristes/Égyptien-ne-s, du stress des habitant-e-s, de leur absence d'espoir (espérons que ça ait changé st'hiver), de l'omniprésence de la police et de l'armée, de l'état de siège dans les quartiers chrétiens, des travailleuses du sexe (oh scusez, je veux dire des danseuses de baladi), de la pression sociale infernale dont les femmes sont victimes et des moeurs religieuses ayant atteint un niveau extrême d'absurdité en comparaison des autres pays de la région! Pas de mots non plus sur les (vrai-e-s et magnifiques) étudiant-e-s qui passent leurs journées au Musée du Caire, sur les échoppes fréquentées par les Égyptien-n-es qui servent le meilleur foul, ni sur le sourire des Nubien-ne-s, leurs habits multicolores et leurs déambulations nocturnes. Ni sur les spirituels Bédouins du Sinaï.

Cette perception étroite, elle est peut-être là parce que la plupart des touristes qui visitent l'Égypte se laissent mener comme du bétail, sans jamais se poser de questions ni tenter d'interagir avec les gens de la place. J'avoue que les Égyptien-ne-s ne sont pas nécessairement faciles d'approche: la vie sous la dictature et la soumission à un clergé rend silencieux/se. Ça excuse un peu les visiteurs/euses. Mais d'un autre côté, la lâcheté absolue des touristes de l'Égypte est un excellent symptôme d'insignifiance. S'il y a bien un moment durant lequel il FAUT visiter l'Égypte (certes avec prudence), c'est maintenant. Parce que le tourisme est pour la population un moyen de ne pas sombrer trop creux dans l'indigence. Or, j'entends quotidiennement parler de gens qui ont annulé leur voyage[3]. Je trouve que c'est cruel et irresponsable. Qui va tenter de renverser un régime après ça?

En ce qui me concerne, peut-être que j'aurai au retour une réaction typique post-G20, genre compter mes ecchymoses en me répétant intérieurement "j'aurais pas dû y aller". Mais je juge que le danger reste tout à fait raisonnable et tout évènement malheureux, s'il se produit là-bas, relèvera selon moi d'une grande malchance.

La "révolution"

Je n'entretiens pas d'illusions sur le renversement de Moubarak. J'ai entendu pas mal d'Égyptien-ne-s, atteint-e-s par un optimiste indécrottable, dire que tout irait bien dans l'avenir. Qu'on trouverait des emplois et qu'on pourrait vivre tranquilles. Moubarak était le seul rempart contre le bonheur. Maudit que j'aurais envie de les croire. Mais les difficultés de l'Égypte sont structurelles, démographiques, religieuses.

L'Égypte était un pays misérable dans les années 1800, et ça ne s'est pas arrangé quand les puissances coloniales l'ont endetté à dessein. L'Égypte, c'était avant cette période une vallée dans laquelle des millions de paysans travaillaient pour un tyran. C'est rapidement devenu une vallée où des millions de paysans travaillaient juste pour payer une dette imaginaire à des étrangers. Maintenant, alors que le redressement est à nouveau possible, la surpopulation ralentit les ardeurs. Jusqu'au cours de la première moitié du XXe siècle, l'Égypte est restée une exportatrice de blé. En 1960, la tendance s'était inversée mais elle n'importait encore que 624 tonnes. En 1980, c'était 5423 tonnes, soit plus de deux fois la production intérieure (1796 tonnes). Au cours de la même période, le taux d'autosuffisance est passé de 71% à 25%. C'est pas bien mieux 30 ans plus tard: les émeutes du pain en témoignent. Mais tout le monde sait déjà que le pain est une question brûlante en Égypte.

Parallèlement, la population est passée de 28 à 44 millions d'individus. Aujourd'hui, elle a bondi à 86 000 000 d'habitant-e-s concentré-e-s sur un territoire moins large que la Vallée du Saint-Laurent! Le pays en entier n'est qu'une seule grande ville-dortoir. Des tours sinistres s'élèvent maintenant au-delà même de la limite du désert, par exemple sur les plateaux sablonneux d'Assouan. Nourrir, loger et occuper ce monde-là est devenu presque impossible. S'étonne-t-on du chômage et de l'inflation galopante?

Je n'aime pas vraiment écrire des "il faut" quand vient le temps de régler des problèmes à l'étranger. D'un autre côté, et si mes idées sont typiques de celles de l'Occidental progressiste ordinaire, je ne pense pas être condescendant dans ma critique. Ce que je reproche à l'Égypte, je le reproche plus souvent encore à la société québécoise. Par ailleurs, je ne peux pas proposer de solutions globales. En voici cependant deux qui sont partielles.

Premièrement, régler le problème de surpopulation peut passer par une émancipation de la femme, seul moyen de lier contrôle des naissances et liberté.

Deuxièmement, la tension ne baissera pas tant que les gens iront à la Mosquée et s'empêcheront de faire l'amour librement. Je sais bien que quand la vie devient vraiment toffe, on a naturellement tendance à se réfugier dans une foi irrationnelle, mais c'est comme essayer de guérir son angoisse avec un menu familial de PFK. Ça devient rapidement un problème indépendant qui s'alimente lui-même.

Ne pas se marier, baiser autrement qu'en secret, parler de sexe (surtout de préservatifs!) en public, comparer son godemiché avec celui du voisin, voilà de bons moyens pour revenir à la paix intérieure. Voilà de bons moyens pour que les gens développent un amour profond pour leur "révolution". Une révolution n'en est pas une si elle n'est pas une période d'émancipation sexuelle totale, et d'anarchie resplendissante.

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[1] C'est de la science.

[2] Il faut dire que ces gens-là débarquent généralement pas de l'autobus sur la rive Ouest de Louxor, parce que fait trop chaud et c'est tellement plus facile de rester à l'air climatisé. Mais s'illes étaient débarqué-e-s, illes auraient pu peut-être voir la tombe de Sennefer, et cesseraient de casser les couilles de tout le monde avec leurs hosties de pyramides plates.
[3]D'autant plus que beaucoup, parmi ces touristes, sont dans la cinquantaine ou à la retraite. Je ne comprendrai jamais la trouille des vieux et vieilles. Il me semble que moi, après avoir passé 30 ans à travailler comme un esclave, j'aurais moins peur de ce qui pourrait m'arriver. Actuellement, la perspective de me faire attribuer un casier judiciaire - et donc de me couper toute perspective d'emploi - me rend doux comme un agneau. Mais un casier judiciaire ne vous enlève pas votre pension. Je vous jure, le fait d'être libéré du travail, moi, ça me rendra incontrôlable. Je suis incontestablement appelé à devenir un vieux crisse.

dimanche 24 avril 2011

Lancement du recueil du Bloc d'Auteurs Anarchistes

Après avoir travaillé pendant presque un an à l'écriture, à la conception et au financement du recueil, l'AWB (Anarchist Writers Bloc, ou le Bloc des Auteurs Anarchistes) lancera finalement son premier volume, intitulé Subversions. Le livre compte 16 textes anarchistes (pour la plupart de la fiction) d'auteur-e-s s'exprimant en anglais et en français. La formule n'est pas encore parfaite mais les nouvelles littéraires, dont plusieurs ont été écrites par des écrivain-e-s déjà publié-e-s ailleurs, sont d'un grand intérêt. Le livre sera distribué aux USA et en Europe par AK Press.

Les lancements québécois auront lieu à Montréal et à Québec, respectivement le 5 mai à la Casa Del Popolo et le 7 mai à L'Agitée. Les évènements prendront la forme de 5 à 7 pendant lesquels il y aura de la musique (notamment, à Montréal, la chorale anar de Pointe-Saint-Charles), des lectures d'extraits tirés de Subversions, de l'alcool et des livres à vendre au coût de 10$ l'exemplaire!

Le livre est d'ailleurs déjà en vente dans toute bonne librairie anarchiste (L'Insoumise à Montréal et la Page Noire à Québec) du Québec au coût d'environ 12$. Mais vous pouvez aussi emprunter le livre à un-e ami-e et le photocopier!

Je reviendrai, une autre fois, plus en profondeur sur le contenu de Subversions.

vendredi 15 avril 2011

Canada, je te crache à la gueule.

Pratiquement tous mes ami-e-s et connaissances qui ont connu l'immigration au Québec me disent la même chose: s'installer ici et tenter de s'intégrer est un calvaire épouvantable. Coûts astronomiques, conditions particulières, discrimination, multiplication des frais d'avocats et d'administration, pertes de dossiers, attente, et pour finir, serment ridicule à une reine qui habite même pas ici (sans doute que si elle immigrait, elle devrait passer par le même processus) et à un texte de loi de con. Même pour les gens ordinaires, les bons petits gars qui n'ont cependant pas beaucoup d'argent, les difficultés sont immenses.

La liberté la plus fondamentale est dans le mouvement. Tout individu doit être libre de s'installer là où il le souhaite, à moins que sa présence à elle seule constitue une agression. Tout individu doit aussi être libre de partir.

Le Canada est comme une grande prison dans laquelle y entrer est considéré comme un privilège. Impossible d'en sortir si vous avez commis un crime léger (comme de la dissidence politique...) et impossible d'y entrer ou d'y rester si on vous trouve un défaut quelconque: passé criminel, procès en attente, désordre de santé ou personne à charge, comme dans le cas de la famille Barlagne. Les risques d'expulsion sont divers: par exemple, si vous avez un emploi au noir parce que vous n'avez pas de permis de travail et que vous devez néanmoins vous nourrir, la dénonciation d'une personne un peu tordue peut vous valoir un retour forcé dans le pays de vos ancêtres. Je ne sais pas si le ministère passe réellement à l'acte dans ces circonstances, mais la menace existe et rend les immigrant-e-s vulnérables et sujet-te-s au chantage. J'aurais quelques anecdotes à raconter sur le sujet, mais ces histoires appartiennent aux personnes qui les ont vécues.

Les lois sur l'immigration sont tout simplement de l'extorsion. Une grande part des nationalistes du Québec et du Canada sont opposé-e-s à la venue d'étrangers/ères, justifiant leur paranoïa par des exemples fumeux de mauvaise intégration. Sans doute jouissent-illes de savoir que les immigrant-e-s voient devant eux se dresser des murs de plus en plus hauts et étanches. Sauf que si on mettait autant d'énergie à intégrer les immigrant-e-s qu'à les empêcher de s'installer définitivement pour des raisons idiotes, je suis pas mal certain qu'à l'instar des nationalistes les plus brutalement cons, ceux-ci mangeraient des roteux (avec de la viande de porc) et de la poutine, utiliseraient des sacres comme adverbes, seraient contre le port du voile mais pour le crucifix à l'Assemblée Nationale et participeraient à l'émeute annuelle de fans ivrognes du Canadien de Montréal.

Mieux encore. Il est certain que:
- Si les nationalistes cessaient de défendre le protectionnisme à la con qui permet paradoxalement aux produits agricoles des pays riches d'envahir le marché des pays pauvres, ravageant les économies locales et les finances des fermes indépendantes;
- Si la propagande arrêtait de dépeindre chaque métropole d'empire comme un paradis tellement meilleur avec une culture tellement supérieure qu'il faut l'imposer à tout le monde;
- Si les "patriotes" des États riches cessaient de défendre la destruction et le viol des pays pauvres à travers des expéditions militaires foireuses;

Eh bien la grosse majorité des immigrant-e-s que ces derniers/ères détestent tant RESTERAIENT dans leur pays d'origine. Parce que oui, et c'est manifeste: ça fait chier plusieurs immigrant-e-s d'être là. Le manquement à l'hospitalité du gouvernement et de la société en général rend plus lourd encore le sentiment d'exil et la mélancolie, sachant que le retour est le plus souvent pratiquement impossible. C'est un double-crime dont est coupable le Canada finalement: celui du déracinement et celui de l'ostracisme. Et dire qu'après on veut imposer une double-peine pour le crime unique d'un délinquant.

jeudi 14 avril 2011

Billet décousu sur les élections

À un certain moment dans notre vie, on finit par choisir de ne plus croire en certaines choses, que ce soit un élément de médecine naturelle, un ésotérisme, un projet, un être surnaturel sorti d'une histoire pour enfants, etc. Chacun de ces sursauts de rationalité fait tomber un pan de l'illusion qui nous entoure continuellement et qui nous met des barrières.

Selon moi, les élections sont un des pans de l'illusion, ni plus ni moins glorieux que le décret d'une monarchie de droit divin. Il est impossible d'être au pouvoir par procuration. Le peuple ne peut pas exercer le pouvoir à travers des représentant-e-s. Mais ça, beaucoup de gens le savent déjà. La plupart des commentaires que j'entends sont de l'ordre de maximes niaiseuses du genre: "En allant voter, j'achète mon droit de chiâler." Cette expression très répandue est la preuve que cynisme n'égale pas toujours lucidité. Elle est nauséabonde car elle cherche à retirer insidieusement le droit d'expression à un grand groupe de citoyen-ne-s jugé-e-s comme immoraux. C'est largement une phrase que les gens aiment dire parce qu'ils trouvent qu'elle est cool, alors qu'en réalité elle est laide jusque dans son champ lexical: depuis quand, en effet, un droit s'achète-t-il?

Par ailleurs, je trouve que ce genre de cynisme, celui qui nous conduit à voter malgré notre désillusion, est comme une carapace vide.

Le désir et la foi

La foi est froide. C'est le moteur des idéologies, de l'aveuglement et de la mort. Le désir, c'est autre chose. C'est la corollaire de la franchise et de l'honnêteté envers soi-même. Il est encore rempli de contradictions mais pas d'incohérences. On discerne d'ailleurs au premier coup d'oeil l'enfant qui désire le Père Noël[1] de celui qui y croit.

Les exalté-e-s qui voient les élections comme une occasion de placer "notre" devant toutes les institutions publiques sont une minorité de naïfs/naïves et d'illuminé-e-s, mais illes parlent plus fort que les autres. La campagne, pour eux c'est un gros party d'un mois et c'est bieeen excitant. Ce sont comme des calinours électoraux. C'est du monde pas parlable.

Mais surtout, ce sont des gens qui m'apparaissent justement être sans désir[2]. C'est la foi qui les anime, d'une fidélité indéfectible pour un parti dont ces hurluberlus adoptent le Programme en entier, sans omettre une seule ligne. Illes le défendent comme des déchaîné-e-s, même si certains des paragraphes les mettent carrément mal à l'aise.

Illes m'écoeurent.

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[1] Je vous défie d'y voir une allusion érotique.
[2] À un point tel qu'arrêté-e-s par la police, illes iraient sans doute jusqu'à se passer eux-mêmes les menottes.