lundi 3 août 2009

Tuer un parasite.

Quelques personnes, suite à la lecture de mon dernier billet, ont été soit choquées, soit intriguées par le rapport que j’entretiens avec le travail. Comme le débat menaçait de devenir interminable (Coeus a écrit un commentaire très pertinent de plus de 700 mots, ça aurait dû figurer sur son propre blogue), j’ai décidé de sortir de ma boîte de commentaires (qui n’est par ailleurs pas très commode) afin de rédiger une réponse à peu près complète.

La nature de l’attachement au travail

Je pense qu’un condamné à la peine capitale, dans l’angoisse de l’attente de son exécution, peut en venir à désirer la mort et que de la même manière, les personnes qui n’ont pas d’emploi et qui meurent de faim ou d’ennui peuvent en arriver à voir une embauche potentielle comme une lumière à suivre au milieu de l’obscurité.

Mais est-ce que ce n’est donc pas davantage l’espérance d’une vie matérielle plus digne qui les motivent, plutôt que l’amour du travail? Veut-on travailler ou sortir de la grisaille quotidienne? Trouver un travail ne vise-t-il pas essentiellement à satisfaire les pressions sociales qui séparent le monde en deux clans (celui des travailleurs/euses, et celui des « oisifs/ives », ou des « parasites »)?

Il se trouve que les périodes durant lesquelles je n’ai pas travaillé (soit une bonne partie de mon enfance) ont également été les plus productives. J’étais RÉELLEMENT plus productif, par exemple, pendant l’été de mes 15 et 16 ans que maintenant : j’écrivais des romans et de la poésie. Maintenant, impossible : les études, jointes au travail, me parasitent l’esprit et me siphonnent tout ce que mon cerveau peut créer de beau. Tout est encadré par cette ignoble institution qu’est le travail, encarcané dans une hiérarchie, harnaché de normes et de contrôles de qualité.

Je ne suis pas trop paresseux pour travailler (de toute façon il y a bien des emplois qui sont pas très difficiles), je suis trop indépendant. J’accepte les critiques, mais devoir accepter l’irrationalité de la conformité me fait carrément dégueuler.

Dans notre société, ne pas avoir de job signifie en chercher une. Or, être en recherche d’emploi, c’est le comble de l’oisiveté. Pendant une période de recherche d’emploi, on a tellement l’esprit occupé qu’on arrive à rien faire d’autre qu’attendre.

Et ce qui me dégoûte le plus, c’est d’être payé pour ce que je fais. La paie, ce n’est pas une récompense, c’est ce qui m’est dû; c’est mon droit de vivre. Pourquoi il faut que je sois considéré comme un monstre si je ne trouve rien à faire en échange? Idéalement, on devrait s’assurer bénévolement de ma subsistance, comme je devrais assurer bénévolement tous les services que j’offre de bon cœur. Je sais que la société du don c’est utopique… mais on jase, là.

La mentalité de l’effort et de l’appréciation de la récompense, je gobe pas ça. La vaste majorité des efforts humains ne sont pas suivis de récompenses : ce sont des échecs matériels, ruinés par les guerres, les dettes, le favoritisme ou le loyer. Et quand il y a récompense, elle est très variable et le plus souvent décevante. C’est donc plus l’illusion de la récompense à venir que la récompense réelle qui nous motive à piocher dans l’espoir de décrocher une promotion qui ne viendra jamais. C’est ce que je désigne par le jeu de la carotte accrochée au bout d’un fil qu’on fait pendre devant le nez d’un âne. L’âne est si obsédé par la carotte qu’il oublie que quelqu’un est monté sur son dos.

Nous fonctionnons de la même manière que l’âne. Notre salaire, la récompense finale, est versé de manière arbitraire, et son augmentation est bien plus une question de rapport de force que de mérite! Pourtant nous sommes obsédé-e-s par le chèque que nous recevons à chaque deux semaines, peu intéressé-e-s par un questionnement sur l’utilité ou la signification des tâches qui nous sont imposées. Le meilleur exemple de ça c’est le fait que les employé-e-s d’une entreprise vont toujours tout faire pour garder leur usine ouverte, même quand le produit de leur travail ne sert à rien. La fermeture d’une usine ou mieux, le remplacement d’employé-e-s par des robots, dans un monde gouverné par le sens pratique, devrait être l’objet de réjouissances. Mais pourtant les employé-e-s sont mécontent-e-s, car ils/elles sont conditionné-e-s par une philosophie absurde et par le pouvoir exclusif que détient le patron sur leur moyen de subsistance. Carotte + bâton.

On pourrait aussi croire que l’être humain a le droit d’aimer le travail quand ce travail l’émancipe. Mais je considère qu’un travail qui émancipe réellement doit comporter plusieurs caractéristiques qui le rapprochent plus du jeu que du travail tel qu’on le connaît dans notre société capitaliste. Coeus nous a parlé du plaisir qu’on peut ressentir dans le service à la clientèle… mais ce n’est pas du travail, ça, c’est de la socialisation.

Le parasitisme

Je n’achète pas cette vieille notion libérale de bon pauvre / mauvais pauvre, qui revient au XXIe siècle sous l’avatar de BS invalide / BS valide. Donc, passons. J’y reviendrai plus tard si on me le demande.

J’aimerais cependant qu’on règle la question une fois pour toutes avec les « BS » : ils/elles ne sont PAS des parasites. Au contraire, en ne travaillant pas, en réduisant la productivité moyenne et en consommant ridiculement peu, ils/elles ralentissent l’économie et sauvent la planète de la faillite écologique causée potentiellement par la surconsommation.

Imaginez-vous si tout le monde travaillait. Je sais que dans une société idéale gérée avec intelligence, 0% de chômage nous permettrait tout simplement de mieux distribuer les tâches afin de répartir l’effort et de le réduire partout là où il y a surcharge. Mais dans notre société illogique et irrationnelle, parce que capitaliste et basée sur cette notion puante qu’est la croissance, 0% de chômage ne permettrait pas à l’ouvrier et à l’ouvrière de souffler un peu. Le surplus de la production causé par l’absence de chômage serait consommé sans que les gens aient la bonne idée de réduire leurs heures de travail... au lieu de s’acheter un deuxième écran plat et un troisième Blackberry.

Les écosystèmes ne pourraient tout simplement pas survivre à cette croissance supplémentaire et à la pression sur leurs ressources causées par la surconsommation.

Car les véritables parasites de la Terre, ce ne sont pas les BS : ce sont les consommateurs/trices. Les plus nocifs parmi ces parasites sont les riches.

7 commentaires:

  1. La planète parvient déjà mal à survivre à nos élans consommateurs...
    Je vois que le travail comme débat revient fréquemment dans cette zone de la blogosphère. Y'aurait-il ici un noeud idéologique important à démolir ?
    Que les assistéEs sociaux puisent à fond dans les caisses de l'État passe bien peu inaperçu. RenduEs où nous en sommes, à s'entre manger comme des immondices, ces prétenduEs parasites ont mieux compris que quiconque la double astuce : puiser dans les ressources communes en toute légalité est critiqué alors que le faire dans l'illégalité, par rusés détournements, passe pour un insigne de réussite ! Que l'on compare un peu leur vol outrancier à celui des évasifs fiscaux, des Grands Chefs et des diverses insanités économiques qui font que plus on s'enrichie, moins on contribue.
    Je considère qu'assurer sa propre survie, au sein d'un groupe aux tâches partagées selon les capacités, est relativement peu coûteux en temps. Devoir travailler 30-40, voire 50 heures par semaine, à produire un produit dont l'utilité est bien incertaine (certains bien payés ont un travail bien peu utile à l'humanité : ils spéculent sur diverses valeurs monétaires) est une farce érigeant en monument le capitalisme et ses valeurs sacrées : travail, famille et télévision.
    À l'image des syndicalistes de la I.W.W., je considère que le geste le plus révolutionnaire d'un travailleur ou d'une travailleuse est de réduire ses heures de travail (pour les féruEs d'étymologie, il y a là la version française moderne du latin tripalium qui signifie torture ) !

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  2. Je suis tout de même surpris par la réaction à ton billet précédent, étant donné la nature de ton blog.

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  3. Je ne sais pas, sûrement que j'ai été un peu plus dur que d'habitude. Plusieurs ont pu se sentir injustement visés, même si de mon côté, je m'attaquais (pour une xième fois) surtout à Facal, Parizeau, Pratte, Dubuc et l'honorable Lucien Bouchard.

    Pour le reste, je suis tout à fait en phase avec ce que dit Steffen.

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  4. Belle série de billets!

    "La fermeture d’une usine ou mieux, le remplacement d’employé-e-s par des robots, dans un monde gouverné par le sens pratique, devrait être l’objet de réjouissances."

    J'aime!

    "Mais dans notre société illogique et irrationnelle, parce que capitaliste et basée sur cette notion puante qu’est la croissance, 0% de chômage ne permettrait pas à l’ouvrier et à l’ouvrière de souffler un peu."

    Il est impossible d'avoir 0% de chômage dans un système capitaliste, sinon le système s'effondre, ce qui serait très bien, par ailleurs! ;)

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  5. Ce passage me frappe tout particulièrement :

    "Maintenant, impossible : les études, jointes au travail, me parasitent l’esprit et me siphonnent tout ce que mon cerveau peut créer de beau. Tout est encadré par cette ignoble institution qu’est le travail, encarcané dans une hiérarchie, harnaché de normes et de contrôles de qualité."

    Quand je dis que ça me frappe, ce n'est pas nécessairement négatif. C'est que tu as mis en mots un malaise qui me gruge depuis un bon moment déjà.

    Tu me fais voir une facette que je n'avais jamais explorée auparavant. Je ne sais pas si j'approuve entièrement ton propos mais je peux te dire que la réflexion qui le porte est plus qu'intéressante.

    Mon hamster mental recommence à courir avec entrain dans sa roue. J'aime ça. :)

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  6. Je suis d'accord avec Noisette sur l'importance que tient ce passage. Étant généralement en accord avec tes idées, je salue une fois de plus ta vision et l'originalité de ton argumentation.

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  7. Je joins ma voix à Steffen et Noisette!

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