dimanche 10 février 2013

Malaise au cabaret.

Le cabaret anarchiste du 8 février fut particulièrement mémorable. Tout d'abord parce que la salle (L'Alizé, cette fois), était pleine: j'ai rarement vu un évènement du Bloc des Auteur-e-s anarchistes attirer autant de gens.  Mais il se distinguait avant tout par son sujet: l'érotisme. C'est que la soirée fut également l'occasion pour Bruno Massé, membre du Bloc, de lancer son deuxième roman érotique, Le jardin des rêves (publié chez Guy Saint-Jean Éditeur). Le Bloc a pensé faire une pierre deux vitres en restant dans le même thème. En ce qui me concerne, j'en étais très heureux. Le résultat global fut également très satisfaisant, à mon avis. La plupart des participant-e-s ont livré des numéros bouillants, touchants, libérateurs par leur douleur et leur douceur, pour paraphraser une des poétesses présentes.

J'ai cependant été assez surpris par certaines performances. Il faut spécifier en premier lieu (et à nouveau) que les cabarets du Bloc des Auteur-e-s Anarchistes sont à micro ouvert. Ce qui signifie que les organisateurs/trices n'ont aucun contrôle sur la qualité ni le contenu. C'est plate? C'est trop long? On ne peut rien y faire. Une performance simplement ennuyante n'est cependant pas affaire à scandale.

Mais comme Arwen l'a d'ailleurs dénoncé à quelques reprises, le milieu anarchiste n'est pas exempt de comportements sexistes. Et c'est également le cas dans les cabarets anarchistes. J'en ai déjà parlé en mars 2012: la soirée, dédiée au féminisme, ne s'était pas déroulée sans accrocs.

Et comme de fait, choisir le thème de l'érotisme était un pari risqué hier soir. Je ne l'ai pas compris tout de suite, et j'ai d'ailleurs été surpris des réserves exprimées par l'équipe d'animation. Mais comme beaucoup de gens dans la salle, j'ai été vexé par un des premiers numéros.

Celui-ci a été interrompu (après ce qui m'a paru une éternité). Il faut spécifier que ce genre d'interruption - temporaire, on l'a laissé terminer rapidement - n'est absolument pas dans la culture des cabarets anarchistes. C'est franchement la première fois que j'assiste à cela. Mais j'appuie totalement cette initiative prise par une amie.
 
En fait, si le numéro avait eu lieu dans n'importe quel autre contexte, devant n'importe quel autre public, jamais il n'aurait été jugé sexiste, même dans le show du CHI, avec tous les projecteurs féministes braqués dessus. Le récit raconté était étonnamment normal. Normalement sexiste, d'un sexisme vécu au quotidien, tellement ordinaire qu'il passe inaperçu. Le conteur lui-même ne s'en est pas rendu compte. Le pauvre, au contraire, avait choisi son histoire en fonction de la place qu'on y accordait au désir féminin. Plusieurs personnes, dans la salle, n'ont d'ailleurs absolument pas compris pourquoi il a été interrompu, et cela leur a déplu énormément.

Je crois que la plupart des gens savaient cependant d'où venait le malaise. Moi, ça m'a sauté aux yeux. Question de contraste: la plupart de mes camarades anarchistes sont des pro-féministes et/ou des féministes très radicaux/ales, et qui, s'illes n'ont pas nécessairement éliminé tous leurs comportements sexistes - c'est aussi mon cas - ont cependant des habitudes qui peuvent paraître anodines, mais qui après comparaison contrastent. Ces gens-là ne vont jamais vous appeler « mamzelle ». Illes ne vont jamais faire appel à une sorte de complicité de genre (du type: « les filles ici comprennent ce que je veux dire »). Illes ne vont jamais considérer une femme, privée de sa « douce moitié », comme incomplète[1]. Illes ne parlent pas non plus de la sexualité entre femmes comme si c'était un fantasme d'hommes hétéros. C'est devenu, chez plusieurs, un réflexe tout à fait naturel: on ne s'en rend pas compte, on ne sent pas qu'illes font un effort pour ne pas paraître sexistes. Et quand je suis parmi eux/elles, je ne m'attends pas à observer certaines formulations ou attitudes énervantes. Et je ne m'attendais donc pas à ça hier non plus.

Je sais que le cas discuté ici est très particulier: la performance consistait en un récit mythologique raconté devant public. Mais racontée aujourd'hui, toute histoire ne peut être que réinterprétée, surtout quand l'objectif est l'élévation des moeurs par l'utilisation d'une morale, et non la transmission de simple culture générale et d'un texte original.

J'appelle maintenant à discuter de la question, si possible avec l'aide de témoins de la scène. Parce que mon avis là-dessus est incomplet: exaspéré, je n'ai pas pris le temps, le 8 février, de bien m'attarder à ce que les autres en pensaient, replié que j'étais sur ma propre vexation.

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[1]  Pas mal le pensent, ou l'ont pensé! « La maison, quand il y a pas d'homme, c'est comme un poêle éteint tout le temps. » disait Gilles Vigneault - il y a fort longtemps, heureusement. Mais l'effet de « Ah! que l'Hiver » est toujours là.

6 commentaires:

  1. La vertu a quand même été largement sauvée. C'est rassurant.

    (Le capcha qu'on me fait entrer pour publier ce commentaire est 913 passcul, je me demande si c'est fait exprès.)

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  2. Tu penses que l'intervention était de trop?

    Ce n'était pas vraiment une question de vertu, mais d'exaspération. Ça arrive souvent et ça énerve pas mal de monde.

    Et ce n'est absolument pas la sexualité qui a vexé les gens. Après, une femme s'est presque mise à poil en criant con! con! con! et tout le monde a bien réagi.

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  3. Bon, le conteur se plaint sur la page Facebook de l'évènement astheure.

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  4. Avoir des propos exaspérants, c'est souvent utile. Et c'est le rôle de l'écrivain de le faire. Qu'il y ait eu réaction montre que ce ne fut pas vain.

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  5. Depuis quand défends-tu l'utilité? Depuis quand l'écrivain a-t-il un rôle à jouer? ;)

    Ce n'est pas parce que j'étais exaspéré que l'individu était exaspérant. Le récit, comme je l'ai dit, était normal, dans le sens de respect de la norme (sexiste) et de la tradition du conte moral. Et ce n'était pas de l'ironie, malgré que quelqu'un l'ait suggéré. Mon texte n'est peut-être pas tout à fait habile - plus je me relis, plus j'ai l'impression de pourfendre la morale avec une autre morale, ce qui n'est pas mon but - mais je te jure que si tu avais été sur place, tu aurais toi-même trouvé un sex-toy, aurais fait irruption sur scène et l'aurais fourré dans la bouche du conteur ésotérique en guise de réponse. Il a été interrompu comme on interrompt ou qu'on hue le discours d'un-e politicien-ne, parce que son discours est une démonstration de pouvoir et non de créativité.

    Mais je comprends ton point.

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  6. Si ce n'était pas de l'ironie, je comprends la réaction.

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