vendredi 26 avril 2013

Être gentil, ça marche.


Le mois dernier, j'ai lu et entendu quatre ou cinq de mes connaissances se plaindre successivement que les femmes, elles aiment pas les gars gentils. Ils ont dit ou écrit ça sur un ton tellement boudeur! Ils étaient comme des enfants qui croient que le monde entier leur en veut, soudainement. Et on aura beau essayer de les raisonner, il n'y a rien à faire. C'est pour eux que j'écris ce billet, même si aucun d'entre eux ne lit mon blogue (et ça, je m'en assure). J'en suis navré pour les non-hétéros.

Pour simplifier et rester dans un exercice de rigueur froide, j'aurais simplement pu vous renvoyer vers l'article de Wikipédia sur le « Nice Guy » qui est ma foi fort intéressant, incluant sur le plan scientifique, avec entre autres des références à Dawkins[1]. Mais j'avais envie d'aller ailleurs en racontant quelques tribulations.

Quand j'étais ado, je me percevais alors comme quelqu'un d'absolument gentil. Je croyais que j'étais toujours en train d'écouter, de faire du renforcement positif, de proposer mon aide. En réalité, j'avais en moi toutes sortes de repoussoirs: si une personne m'approchait, je mordais. Je ne me mettais jamais en colère, mais j'avais un incroyable don pour envoyer chier les gens qui me voulaient du bien ou qui m'aimaient. Je n'avais en bref aucune capacité sociale à recevoir et c'est pour ça que ça ne fonctionnait pas. J'étais incapable de m'intégrer. Ce n'était pas pour rien: à l'école, je vivais un calvaire constant[2]. Mes valeurs et ma manière de voir les relations interpersonnelles ne correspondaient pas non plus aux valeurs encouragées dans mon environnement.

Quand j'étais jeune ado, le syndrome du « nice guy », je l'avais. J'étais un éternel spolié, une victime. Je trouvais que les gars qui réussissaient à séduire étaient des individus bien laids intérieurement. Je n'avais pas tout à fait tort, mais j'ai fait une grossière erreur: je suis tombé dans la simplicité, et j'ai extrapolé à partir de ces schémas. J'ai refusé de faire l'analogie entre l'échec que vivaient plusieurs jeunes femmes et le mien, me limitant parfois à : « La gentillesse n'est jamais récompensée. » et « Les filles, elles aiment juste les connards. Faut être un connard. ». Bref, j'étais un « nice guy » plein d'aigreur, et ça me rendait un peu hostile aux femmes.  Et pourtant, elles aussi se faisaient repousser, par moi entre autres! Si je n'avais pas été aussi minable en tant qu'ado, je l'aurais vu. Et j'aurais vécu des aventures extraordinaires avec plein de gens. Nous sommes dans le même bateau, hommes, femmes, inter, trans, queers ou autres.

Mais voilà que quand je me suis rapproché d'un environnement me correspondant mieux sur le plan émotionnel[3], il s'est passé un phénomène étrange. Toute ma « gentillesse » (du reste totalement ordinaire et naturelle) était rendue au centuple et j'ai même commencé à recevoir des avances de gens (essentiellement des jeunes femmes) à qui je n'avais rien demandé. Qu'est-ce que j'avais fait pour ça: presque rien. Prêté un livre, écouté des histoires, consolé quelqu'un, etc. Mais c'était la gentillesse qui restait une constante dans l'équation. Je ne répondais toujours pas aux standards de beauté de ma polyvalente, je n'étais pas cool, je parlais à personne. Les jeunes femmes d'un certain type me trouvaient attirant parce qu'elles me trouvaient gentil, c'est tout[4]. Du moins, c'est ce qu'elles me disaient, fort maladroitement par ailleurs[5].

Être gentil-le, ça a marché pour moi (quand je l'ai été). Et c'est normal: une telle attitude, ça met l'autre en confiance, ça provoque immédiatement des effets positifs sur la relation. Ça pousse vers la confidence. Après, il est bien plus facile d'entretenir un rapport privilégié. Sauf qu'être gentil-le, c'est sensé être gratuit. Si vous vous attendez toujours à quelque chose en retour, vous êtes vraiment des tabarnaks. D'ailleurs, en ce qui me concerne, je préfère vous avertir, je ne donne jamais rien en retour de quelque chose[6]. Je suis gentil quand ça me tente.

Mais si vous considérez tout de même que la gentillesse est une simple stratégie de séduction (et donc intéressée), souvenez-vous qu'être simplement sexy ne fonctionne pas non plus à 100%. Et on irait jamais dire qu'une femme est dans l'obligation morale de coucher avec un homme du seul fait de ses abdos bien découpés et de sa barbe de cinq jours. Pas la même chose, vous répondez? Eh bien alors, arrêtez de faire comme si.

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[1] Une superstar scientifique dont j'ai plus rien à foutre. Parce que je ne pardonne pas aux superstars des sciences d'être des con-ne-s.
[2] Je reviendrai peut-être plus tard sur quelques expériences assez glauques, juste pour rire, même si c'est pas drôle.
[3] J'avais moins tendance à fréquenter des gens qui catégorisent et pensent en « friendzones », comme on dit en anglais. Mes ami-e-s de l'époque aimaient plutôt jouer sur l'ambiguï entre amour et amitié, et ça me plaisait bien plus qu'une structure binaire qui vise surtout, finalement, à ne jamais se poser de questions et rester dans sa zone de confort.
[4] Peut-être que certains gars aussi, mais ils ne m'auraient jamais dit un truc pareil, surtout pas à Victo. Tant pis.
[5] L'une d'entre elles, parfaitement franche, m'a avoué qu'elle ne me trouvait pas spécialement beau et qu'en fait, j'étais vraiment une tronche. Merci, A.M.
[6] Peut-être que quelqu'un quelque part attend depuis une décennie que je lui retourne une faveur, qui sait? Je m'en crisse.

13 commentaires:

  1. Ça fonctionnerait mieux si la patriarchie était abolie.

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    1. le patriarcat, dis-je. Maudit anglais...

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    2. Évidemment! Ce serait mieux pour tout le monde.

      Mais est-ce que ce serait suffisant? Je me demande quelles sortes de... disons, "moeurs" pourraient survivre au patriarcat. Est-ce que la disparition du patriarcat va par exemple abolir la frontière absolue que beaucoup perçoivent entre ami-e-s et amant-e-s? Est-ce qu'elle va anéantir la tyrannie de la monogamie, et permettre à d'autres modèles tout aussi viables de coexister sans provoquer d'exclusion?

      Néanmoins, cela nous permettra au minimum de voir plus clair et de nous débarrasser de plusieurs biais. Beaucoup de personnes soulignent à grands renforts d'exemples, sur Internet, que les "nice guys" sont en fait, assez souvent, des crétins sexistes d'une grande vulgarité. Pas misogynes par amertume! Sexistes par tradition. Du genre à dire que les femmes doivent rester à la cuisine. Cela dit, ce n'est pas le cas de tout le monde.

      La plupart des commentaires que j'ai trouvés, et qui parlaient du "nice guy" qui se fait "friendzoned" sans arrêt, étaient reliés à la timidité de celui-ci et son incapacité à parler des sentiments qu'il éprouve vraiment. Le sexisme serait ici plutôt accessoire.

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    3. "Est-ce que la disparition du patriarcat va par exemple abolir la frontière absolue que beaucoup perçoivent entre ami-e-s et amant-e-s? Est-ce qu'elle va anéantir la tyrannie de la monogamie, et permettre à d'autres modèles tout aussi viables de coexister sans provoquer d'exclusion?"

      À mon avis, oui dans les deux cas, puisque ce sont des produits du patriarcat.

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  2. Attention, le préfixe "cis" est sexiste, mais ça ne choque pas personnellement.

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    1. Oui? Pourquoi? Au cas où, je vais changer par transgenre.

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    2. Très bien. Le préfixe cis a été créé par un activiste trans pour différencier les diverses identités induites par le genre (gender identity), un concept inadmissible chez plusieurs féministes puisque le genre est un construit social contrairement au sexe biologique (le cas intersexe est particulier). Pour cette raison, illes se font souvent traiter de transphobes par les activistes trans.

      Bref, si vous êtes contre le genrisme, le transgenrisme est inadmissible puisque le transgenrisme nécessite le genrisme.

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    3. http://uppitybiscuit.wordpress.com/2007/01/19/do-not-call-me-cisgender-you-do-not-have-my-permission-to-name-me/

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    4. J'ai un gros inconfort avec ce texte-là.

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    5. Ce n'est un texte parfait, mais ça explique pourquoi ce "cis" peut être mal perçu.

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  3. Ces questions peuvent être franchement complexes et ce qui est valide pour toi ou quelqu'un d'autre pourra difficilement servir de modèle universel.

    J'ai toujours senti que j'étais différent, un peu (beaucoup) dans ma bulle et ça n'a pas changé avec le temps. Je suis juste pas sur la même planète que les gens autour de moi. J'arrive à connecter avec quelques personnes, tout au plus. Je ne sais pas ce que j'ai, bien honnêtement. Veut veut pas c'est plus difficile de trouver une partenaire dans ces temps là. Je fais des efforts, mais les femmes courent en sens inverse.


    Un des problèmes est que les gens ne veulent pas voir les choses en face et moi je pète leur bulle de savon rose et je les déprime. Ce n'est pas mon but, mais je dis ce que je pense et je sais très bien dans quel monde on vie. Tout ça n'est pas très réjouissant.


    Je suis forcé de me replier sur moi-même, mais c'est parce que moi et les relations sociales, ça pose problème. Je souffre de cette solitude, mais bien souvent, c'est pire avec des gens.


    Je suis gentil, mais disons amer et encore plus tourmenté. Mais bon, je crois pas te suprendre là.

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    1. Comme tu dis, ta gentillesse n'a rien à voir avec tes mésaventures. La gentillesse en elle-même, ce n'est pas suffisant, et je n'ai jamais dit le contraire. Ce qui pose problème, c'est plus le fait que t'es déphasé, (pas né à la bonne époque). Tu as ce qu'on a, mais tu veux autre chose. Moi aussi je suis déphasé d'ailleurs. Ça me cause sans arrêt des ennuis.

      Mais ta situation est pas aussi désespérée ou isolée qu'elle ne le paraît à toi.

      Je suis entouré de femmes extraordinaires qui sont dans une situation semblable parce qu'elles ne répondent pas à certains critères généraux. Même que quelques-unes d'entre elles intimident les hommes. Pourquoi? Je sais pas. Trop intelligentes, trop instruites, pas assez ambitieuses, pas assez maquillées, etc. Et forcées d'évoluer dans un milieu où c'est important de correspondre à une certaine image.

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    2. Les femmes les plus patriarcales auront tendance à préférer les cons, les violents, les conformistes et les riches.

      Les femmes les moins patriarcales auront tendance à plus apprécier la gentillesse et à avoir moins peur des pensées/discours cyniques.

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