mardi 23 avril 2013

La victoire de la police sur le pouvoir civil.

Le 23 mars dernier, j'ai publié un billet dans lequel je parlais de perte de légitimité des pouvoirs civils face aux flics. En effet, la vague de cynisme qui frappe le Québec a des effets pervers: les citoyen-ne-s, qui veulent qu'on fasse le ménage, abandonnent les politicien-ne-s au profit des flics, qui ont gagné en légitimité malgré toute leur violence et leurs mensonges.

Je rêvais de pouvoir élaborer sur le sujet, et l'actualité nous a donné de nombreux exemples de ce que je veux avancer. Le fait est que le pouvoir public, au moins à la Ville de Montréal, mais sûrement à de nombreux autres endroits ou paliers, est en train de basculer. Et le mouvement semble de plus en plus rapide. Dans un discours de plus en plus répandu, la police, qui est aux yeux de beaucoup constituée de héros remplis de droiture, est opposée à une classe politique corrompue, pleine de verrues, et proche de la mafia. On l'a bien vu quand le pouvoir civil, représenté par Guy Hébert, a décidé d'affronter Marc Parent, le chef du SPVM, et également quand Applebaum s'est chamaillé avec Yves Francoeur (de la Fraternité) sur l'histoire des horaires de flics. Dans le premier cas cité, avant même qu'on connaisse le fin mot de l'histoire, le public et les médias avaient déjà pris parti: Hébert le mécréant, Parent l'agneau de Dieu. C'était d'ailleurs très grave que Hébert demande la démission de Parent, mais assez banal que la Fraternité exige celle de Hébert. C'est une question de contexte, dira-t-on: Hébert a demandé que Parent décrisse parce que ce dernier était droit (il a dénoncé la collusion), et la Fraternité a demandé la tête de Hébert parce que ce dernier était croche (il a essayé de renvoyer celui qui l'a dénoncé). Mais franchement, la question n'est pas de savoir qui a tort ou raison: la question, c'est de savoir qui gagne et qui perd. Il est sans doute vrai que les politicien-ne-s et technocrates sont les principaux/ales artisan-e-s de leur propre défaite. Mais vous croyez vraiment que Parent est irréprochable? Peut-être pas tant que ça.

En ce qui concerne Applebaum, rappelons qu'il a fait appel au pouvoir provincial, effrayé par la tentative d'intimidation de la part du paramilitaire Yves Francoeur. Si ce dernier, connu pour sa rigide brutalité verbale, a réussi à faire peur au politicien de carrière, ce n'est pas pour rien.

Par ailleurs, le SPVM n'est pas aussi propre que l'uniforme immaculé de son patron. Seulement, il n'y a pas, actuellement, d'enquête publique sur la police pour venir tout salir. Celle-ci s'en tire de toute façon généralement en réglant ses problèmes à l'interne, souvent dans le secret. Ça n'empêche pas quelques informations de passer au travers du filtre (et je ne parle même pas, ici, du profilage, de la répression politique et des meurtres[1]). Mais ça ne semble pas troubler autant les braves gens que nos histoires de trottoir.

Le pouvoir civil ne lutte que faiblement contre le pouvoir policier à Montréal. Je suis tombé sur l'entrevue d'Anarcho-Panda, donnée à CKUT, qui exprime exactement la même inquiétude. Ici, il s'étonne que ce soit le SPVM qui prenne les décisions au sujet de l'accès du public au Conseil de Ville: il a d'ailleurs lui-même été refoulé à l'entrée, apparemment expressément sous l'ordre de la police.

Or, la séance du Conseil traitait entre autres, justement, de l'abrogation possible du règlement P-6, un règlement pour lequel le SPVM a fait marcher son puissant lobby en s'exprimant longuement devant élu-e-s, journalistes, magistrats, etc.

Personne pour y voir un grave conflit d'intérêt? Personne pour condamner publiquement les abus policiers immondes qui ont par ailleurs eu lieu pendant le rassemblement anti-P6?

Si Applebaum et sa bande avaient la moindre conscience de ce qui leur arrive, illes auraient immédiatement appuyé la motion d'abrogation proposée par Projet Montréal, afin d'affaiblir l'impunité policière. Mais le fait est: le pouvoir public ne peut se passer de son bras armé, ne serait-ce que pour censurer et menotter des citoyen-ne-s en colère, même quand ce bras est en train de le forcer à s'asseoir sur sa matraque.

Le pouvoir policier est de plus un des seuls qui puisse répondre à des critiques par des accusations au criminel et des arrestations immédiates: le cas de Jennifer Pawluk, mais aussi de la twitteuse «Frogsarelovely» montrent que ces malades-là ne se gênent plus pour se servir de leurs nouvelles (?) prérogatives. Il faut croire que si auparavant, il y avait quelqu'un, quelque part, pour tenir les chiens en laisse, ce n'est plus le cas aujourd'hui.

Et les attentats (déjoués ou pas[2]) ne sont que de nouvelles pierres ajoutées à la prison qu'on nous bâtit[3]. Et non, ces murailles ne visent pas à protéger. Si elles visaient à protéger quiconque, elles auraient été élevées autour des puissant-e-s, pas autour de nous.

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[1] Que dire par exemple de l'initiation douteuse pendant laquelle des agent-e-s se sont livré-e-s à une agression sexuelle avant de forcer le ptit bleu à conduire en état d'ébriété? Il y a aussi cette histoire glauque de détournement de fonds par un inspecteur du service du renseignement.
[2] Je ressens de la peine pour les familles des mort-e-s, mais aussi un désarroi intense pour les victimes atrocement mutilées. C'est tout ce que j'ai à dire sur le sujet.
[3] « Christian G. Dubois, estime que l’attentat de Boston montre qu’il est important de conserver le règlement P-6. » (Source.) J'imagine que Joanne Marcotte décrirait Dubois comme un « humaniste libéral ».

6 commentaires:

  1. Malheureusement, on délaisse le fond à l'origine de la contestation pour mettre l'accent sur la contestation de l'autoritarisme insécuritaire. On joue ainsi le jeu de nos ennemis...

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  2. En ce qui me concerne, le fond, c'est l'autorité.

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    1. L'autorité derrière les plans d'austérité qui sont des plans d'autorité dans les faits...

      Sauf que nos ennemis ont fait dévier le débat vers la violence des manifestants parce qu'ils n'avaient plus d'arguments factuels contre les étudiants. Et c'est comme ça qu'ils sont en train de gagner.

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    2. C'était une bonne stratégie. Parce que ce faisant, illes nous ont forcé dans des débats qu'on ne pouvait plus éviter en nous crissant des amendes et des accusations au criminel. Difficile de parler d'austérité quand tu es en prison.

      Mais il me semble qu'il y a une question de rapport de force plus que d'argumentation. En décrivant les manifestant-e-s comme violent-e-s (plus violent-e-s que l'an dernier? n'importe quoi), on justifie la répression et on tue le mouvement mieux qu'en détournant simplement l'attention vers un autre débat.

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    3. Vous êtes minoritaire et vous subissez démocratiquement le poids de la majorité qui est contre vous, tout simplement.

      En démocratie, on peut se révolter autant qu'on veut de notre statut minoritaire, mais cela ne changera pas pour autant votre statut de minoritaire. Vous devez construire de l'autonomie et de l'indépendance vis-à-vis l'État plutôt que d'être constamment en mode de réaction.

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