La brasserie Le Corsaire se serait défendue en invoquant le second degré, une stratégie commune à peu près à tous les humoristes sexistes et racistes du Québec. C'est un argument totalement invalide, dans la plupart des cas.
Ce qui est du second degré
Selon Wikipédia, le second degré, en humour, « consiste à dire ou laisser croire le contraire de ce que l'on pense, en particulier par ironie. » Ajoutons que le sens d'une phrase ou d'une action ironique peut être interprété comme simplement différent, et non pas opposé, au premier degré. Mais de manière reconnue, l'objectif est principalement de se moquer de la position adoptée.
Le deuxième degré n'est pas nécessairement intelligent. Il n'est pas nécessairement respectueux, subtil et fin. Il peut être d'une grande méchanceté et vous rentrer dedans comme un train.
Un exemple de second degré: faire semblant d'adopter un discours, le caricaturer pour lui donner des apparences de connerie. J'ai par exemple trouvé ce compte sur Facebook:
L'auteur-e du compte est allé jusqu'à caricaturer la récupération des autochtones dont se rendent souvent coupables les «patriotes» québécois-es, surtout les proches du RRQ. Il/elle a aussi pensé à s'inventer deux diplômes à l'UdeM, comme pour faire chier ceux et celles qui voudraient le dépeindre comme un ignorant pas éduqué.
Ici, on joue sur l'ambiguïté: non seulement on se moque de ceux et celles qui tiennent réellement ce genre de propos, mais aussi des gens qui pourraient prendre celui-ci au sérieux. Un mélange de second degré et de canular!
À l'extérieur du Far Web, Foglia aussi fait beaucoup dans le second degré. On peut entre autres se souvenir d'une chronique de 2009, qui en a scandalisé beaucoup, et dans laquelle il écrivait: « Mais la vraie question que nous pose l'écologie, je vous la pose maintenant : avez-vous bien mis vos pelures de banane dans le bac vert? Et la boîte de petits pois dans le bac bleu? C'est juste ça, l'écologie. Le reste, c'est du communisme. »
Deux jours plus tard, il fallait qu'il explique à ses lecteurs et lectrices que c'était uniquement du second degré : «René Homier-Roy se demandait hier matin si des lecteurs étaient passés à côté de «l'ironie totale» - ce sont ses mots - de ma chronique de jeudi. Vous n'imaginez pas, René. Un record de tous les temps. Plein qui m'ont félicité d'avoir enfin compris. Même Jeff Fillion. Plein d'autres tellement fâchés...»
Je pratique moi-même le second degré sans aucune pudeur. Même quand le fond de mon message est un compliment, il m'arrive de l'utiliser. De plus, c'est une méthode de trollage extraordinaire. Exemple: pour faire marrer un de mes amis, je lui écris ceci:
Il se trouve qu'il a été le seul à comprendre. Je me suis tapé mes pires réponses à vie, incluant: « Fuck toé pis ta race de "..." avec ta face en cartoon! » Et j'espère bien qu'on m'aurait servi ce genre de réponses si j'avais été sincère.
Quand je vois qu'on me prend au sérieux, j'en rajoute. La grossièreté et la stupidité de mes paroles ou messages augmente jusqu'à ce qu'on finisse par comprendre.
Il est parfois difficile de savoir si quelqu'un est sérieux ou non. Pourquoi? Parce qu'on est partout confronté-e-s à la connerie la plus absurde. Ainsi, il est peu probable que Dominic Maurais, malgré son ridicule clownesque, donne dans l'ironie et soit en réalité un gauchiste qui vote pour Québec Solidaire.
Pour que les gens comprennent qu'il s'agit de second degré, d'humour pince-sans-rire ou je-ne-sais-quoi d'autre, il faut quand même laisser quelques signes. Changer le timbre de sa voix fonctionne assez bien. Mais il est possible d'adopter des techniques plus subtiles. Par exemple, dans le message Facebook précédent, mon avatar portait un carré rouge sur la poitrine. Selon moi, c'était un signe suffisant pour qu'on comprenne que je m'attaquais aux gens qui ont l'habitude de tenir ce discours contre moi!
Si on n'arrive pas à faire comprendre à notre auditoire que notre propos est du second degré ce n'est par ailleurs pas nécessairement parce que cet auditoire est con. C'est peut-être aussi parce qu'on manque de talent dans la maîtrise de la subtilité, qui demande un juste équilibre entre le dit et le non-dit.
Je connais beaucoup de militantes féministes (radicales ou pas) qui pratiquent également le second degré sur une base quotidienne. Le mythe stupide voulant qu'elles n'aient pas d'humour est par ailleurs totalement faux. Selon mon expérience personnelle, elles n'en n'ont ni plus ni moins que les autres. Idem pour leur compréhension de l'ironie et du sarcasme. J'aimerais qu'on leur foute la paix un peu sur le sujet.
Ce qui n'est pas du second degré
On en revient au coeur du problème: beaucoup de gens défendent leurs propos offensants en prétendant qu'illes font en fait du second degré, à un tel point que le « second degré » en est venu à décrire à peu près n'importe quoi. C'est pourtant assez rarement le cas. Dans l'histoire de la «Petite Pute», cette défense est assez peu crédible. Il s'agit effectivement d'humour, c'est indéniable. Mais est-ce que les brasseurs souhaitaient par leur geste condamner l'exploitation et la violence sexuelles, souvent liées, dans l'imaginaire collectif, à la prise d'alcool? Ou même de ridiculiser le machisme? Peu probable.
Il en va de même pour la plupart des blagues controversées de Guy Nantel, Mike Ward, JF Mercier, etc. Sans dire que ces derniers ne donnent jamais dans le second degré, nous sommes tout de même en mesure de bien distinguer les formes d'humour, que ça leur plaise ou non.
Quand les humoristes, publicistes, chroniqueurs/euses et autres prétendent au « second degré », il s'agit en fait souvent de simples hyperboles, des exagérations d'archétypes auxquels le public doit adhérer massivement. Il n'y a pas d'ironie là-dedans. Évidemment, ce n'est pas «sérieux». Mais ce n'est pas non plus du second degré.
Les blagues salaces et provocantes (notamment les jokes de bébés morts, de Cédrika Provencher, de viol, de meurtre, etc.) ne sont pas nécessairement non plus du second degré. Elles comptent plutôt sur l'effet de surprise ou sur la violation des tabous, ce qui dans plusieurs cas, est franchement nécessaire. C'est important d'enfoncer des portes verrouillées depuis trop longtemps: mais ce n'est pas nécessairement par l'ironie que ça passe.
Le second degré peut être de mauvais goût, même quand il vise à dénoncer les abus.
Je peux donner quelques exemples concrets. Dans le film Kickass II, une scène de tentative de viol avec pénétration (dans la BD originale, il s'agit d'un viol qui aboutit à la pénétration vaginale) met aux prises l'amoureuse du héros et son adversaire surnommé The Motherfucker. Le méchant en panne d'érection n'arrive cependant pas à "violer" la jeune femme. L'objectif est donc de ridiculiser le rôle du violeur et de dépeindre celui-ci comme un lâche et un homme qui manque de virilité.
Mais ça n'en fait pas une blague de bon goût. Pourquoi? Tout d'abord parce qu'elle est une critique machiste du viol. Elle associe la panne érectile d'un homme non-viril au viol, qu'on pourrait opposer à la virilité assumée et vraie d'une relation consentante, un message totalement hallucinant! Ensuite parce que Night bitch, la personne ayant subi l'agression, prend la responsabilité de cette agression et affirme que c'est totalement de sa faute. Un propos qui n'est jamais explicitement réfuté par la suite. Et il y a plus, plus encore.
Le second exemple de second degré de mauvais goût: le texte de Gab Roy sur Mariloup Wolfe, critiqué ici par Jocelyne Robert. Si plusieurs contestent le deuxième degré dans ce texte, c'est selon moi parce que ce procédé humoristique est devenu le synonyme d'un humour de qualité, opposé à tout ce qui est qualifié de premier degré, autrement dit minable.
Comment oserions-nous en effet qualifier un numéro à ce point médiocre de second degré? Les imbéciles ne font pas dans la haute-voltige! Trois mots seulement suffisent pourtant à prouver le contraire: Mathieu, Bock et Côté. Un personnage de fiction, le père de Perceval dans Kaamelott (que je n'évoque pas ici pour la première fois), illustre également assez bien le fait que la maîtrise du style ne garantit en rien l'intelligence du/de la messager/ère.
Il est clair que Gab Roy s'est mis dans la peau d'un douchebag macho qui rêve d'avoir une relation abusive avec Mme Wolfe. Et qu'il a cherché à ridiculiser ce fantasme à l'aide de son texte. La personnalité de Gab Roy suffit d'ailleurs à comprendre que c'était du deuxième degré, et non pas une simple plaisanterie qui viserait, par sa poésie, à nous faire rire. Et pourtant, ça reste offensant, sexiste, et s'intègre tout à fait bien dans ce qu'on appelle la culture du viol.
Bref: le deuxième degré, c'est pas toujours intelligent.
L'humour comme instrument politique et social
Il est naïf de croire que l'humour n'a pas d'effet sur la société. L'humour est au contraire un instrument puissant, utilisé partout comme tel, incluant dans la propagande nazie des années 30-40. Il sert l'opprimé comme l'oppresseur. Dans la sphère politique, il passe un message longuement réfléchi: il associe un-e opposant-e à une caricature, il utilise l'allégorie pour vulgariser des concepts abstraits, il fait des synthèses. Il dit beaucoup en peu de mots grâce à l'utilisation de référents communs chez le public visé.
Dans la sphère sociale, c'est la même chose. L'humour encourage ou dénonce des normes, fait la promotion d'archétypes, vise à montrer qu'on est pas intimidé-e-s, etc. Son importance ne peut être négligée en aucun cas. Celui ou celle qui détient les clefs de l'humour possède un important levier de pouvoir. Et ça vient avec la même responsabilité que n'importe quelle autre aptitude. En cela, il peut être sujet à des critiques et des dénonciations!