L’enclume représente les marxistes et l’écorce les primitivistes. Une partie du premier groupe, beaucoup mieux enracinée dans le milieu militant il me semble, est entrée dans une croisade épique contre le second groupe, formé de quelques collectifs et individus visiblement disséminés à travers le mouvement anarchiste. L’exercice des premiers : purger les seconds.
Ni Marx, ni maître
Ce devrait être la devise du mouvement anarchiste, Dieu (qui ne dit au reste pas grand-chose) étant moins polluant pour l’esprit que Marx-le-bourgeois. Mon but n’est pas ici de démolir complètement son idéologie, car je sais que des gens bien plus brillants que moi m’humilieraient facilement en reprenant mon raisonnement à l’envers, et de plus, le vieux barbu n’a pas tort sur toute la ligne. Il y a cependant un trait qui me dérange dans cette manière de voir l’évolution des sociétés : son historisme, son positivisme, son déterminisme, ou plus explicitement sa tendance à voir le progrès comme une religion. Or, le progrès n’existe pas, c’est un concept arbitraire qui sert à décrire une série d’améliorations très, très relatives. Ce qu’on gagne dans la tête, on le perd dans les bras, et l’inverse est aussi vrai[1]. Alors je déteste quand on érige le progrès en dogme, comme au XIXe siècle.
Les marxistes libertaires ont d’amusant cette appellation qu’ils et elles se donnent, tiré du nom de famille d’un homme. Ils et elles sont comme les Franciscains, les Darwiniens et les autres, qui ne jurent tous que par je-ne-sais-trop quelle loi prétendument universelle et naturelle. Qu’il est donc absurde et servile de se nommer comme un disciple de quelqu’un en particulier. Timeo hominem unius libri, comme disait Thomas d’Aquin. Pardonnez-moi en passant de citer un saint en latin, hors contexte par-dessus le marché. C’est sans doute salement bourgeois et tellement postmoderne, mais cette phrase s’applique trop à la situation que je veux décrire. Ainsi, j’ai vu trop souvent des gens se servir du Capital et à la rigueur d’un aide-mémoire de Bakounine pour écraser un adversaire qui dialoguait, aidé seulement de ses propres expériences, d’une manière certes peu intellectuelle mais si libre et si honnête ! La manière de débattre concurrente, qui vise à nous convaincre que Marx a pensé à tout, qu’il était sans failles et qu’il était un genre de Jésus II, provoque généralement chez moi un écoulement de bave, lié à une exaspération et un ennui mortels.
Des grognements
Pas besoin de plus pour s’exprimer. Comme si on avait déjà fait autrement. La loi de la jungle, que les primitivistes décrivent avec tant d’idéalisme, elle est encore là, elle fait crever les plus faibles et les fumeurs/fumeuses. Franchement, je n’ai rien de neuf à dire pour critiquer les fanatiques de Tarzan-Zerzan, du moins rien qui n’ait pas déjà été dit par les marxistes ou autres (ou par Arwen, qui parle de ces propos qui « ont de quoi faire bondir n’importe quelle personne saine d’esprit » – en ce qui me concerne, les personnes saines d’esprit me traitent invariablement de gros mongol, sans égard pour ces trisomiques dont j’admire la patience, alors qu’est-ce que j’en ai à foutre qu’ils bondissent comme des singes bien-pensants… je les emmerde!). Pour rassurer les moutons, je vous affirme cependant et sans rougir que je serais prêt à pitcher des briques à ce crétin de Zerzan… mais avec déférence ou simplement gratuitement, pour rire un peu.
Ni l’un ni l’autre
Je suis incapable de bander quand j’aperçois une usine cracher des plats en plastique, ou quand je vois un barrage hydroélectrique inonder une vallée vierge. Je crois que la technologie telle qu’on la conçoit aujourd’hui n’est pas du nouveau savoir, mais seulement la complexification et la miniaturisation d’un savoir remâché et régurgité jusqu’à ce qu’il prenne la texture du vomi. Je crois que nous faisons une erreur en développant cette technologie qu’on ne serait pas en mesure de reproduire en cas de pépin, sans repasser par l’âge de pierre. Pour construire l’ordinateur dont je dispose à présent, il a en effet fallu un autre ordinateur, lui-même conçu à partir d’un autre ordinateur, lui-même conçu à partir d’outils qui ont été conçus à partir d’autres outils et ainsi de suite. Ce n’est pas impressionnant. Selon moi, plusieurs solutions se situent dans la simplicité[2], mais pas dans le rejet du problème. Quant à la civilisation, cet ignoble bouillon de marde qui nous a donné Platon et Gobineau, elle est inapprivoisable et indigeste, je l’admets ; mais promouvoir l’absence de civilisation me semble futile, étant donné que sa disparition totale (avec la raison et l’amère mémoire de l’ancien monde) ne pourrait entraîner que sa renaissance sous exactement la même forme. Et c’est sans compter que j’ai vraiment besoin, au minimum, de mes lunettes, qui sont un bien manufacturé.
Bref : faisons la promotion du savoir plutôt que de la technologie, et de l’imaginaire plutôt que de la civilisation.
En guise de conclusion, j’interdis
… aux anarcho-capitalistes d’être d’accord. Vous êtes des tas de merde et mai ne refleurira que sur vos cadavres.
[1] Par exemple, l’arrivée de l’écrit a tué la tradition orale et par le fait même, le cerveau comme contenant organique de la mémoire collective. Dès lors, plus que des choses immuables, noir sur blanc. La civilisation des droits d’auteur. Maintenant, même les jokes s’envoient par courriel et plus rien ne se raconte. Et malgré toutes ces régressions causées par notre progression, je ne serais pas prêt à abandonner l’écriture, qui me permet d’accéder à un tout nouveau stade de l’abstraction.
[2] Un exemple célèbre, dont la présente narration provient du site http://fautrigoler.free.fr/ : « Quand la NASA a envoyé les premiers astronautes dans l'espace, ils se sont vite aperçus que les stylos ne fonctionnaient pas en absence de gravité. Pour résoudre ce problème, la NASA a commissionné une étude à Andersen Consulting (aujourd'hui Accenture). Après 10 années de travail et 12 millions de dollars, les Américains tenaient dans leurs mains un stylo capable d'écrire dans n'importe quelle position, en absence de gravité et avec une température comprise entre -80 et 300 degrés... Les Russes, eux, ont utilisé des crayons à mine... »
Ni Marx, ni maître
Ce devrait être la devise du mouvement anarchiste, Dieu (qui ne dit au reste pas grand-chose) étant moins polluant pour l’esprit que Marx-le-bourgeois. Mon but n’est pas ici de démolir complètement son idéologie, car je sais que des gens bien plus brillants que moi m’humilieraient facilement en reprenant mon raisonnement à l’envers, et de plus, le vieux barbu n’a pas tort sur toute la ligne. Il y a cependant un trait qui me dérange dans cette manière de voir l’évolution des sociétés : son historisme, son positivisme, son déterminisme, ou plus explicitement sa tendance à voir le progrès comme une religion. Or, le progrès n’existe pas, c’est un concept arbitraire qui sert à décrire une série d’améliorations très, très relatives. Ce qu’on gagne dans la tête, on le perd dans les bras, et l’inverse est aussi vrai[1]. Alors je déteste quand on érige le progrès en dogme, comme au XIXe siècle.
Les marxistes libertaires ont d’amusant cette appellation qu’ils et elles se donnent, tiré du nom de famille d’un homme. Ils et elles sont comme les Franciscains, les Darwiniens et les autres, qui ne jurent tous que par je-ne-sais-trop quelle loi prétendument universelle et naturelle. Qu’il est donc absurde et servile de se nommer comme un disciple de quelqu’un en particulier. Timeo hominem unius libri, comme disait Thomas d’Aquin. Pardonnez-moi en passant de citer un saint en latin, hors contexte par-dessus le marché. C’est sans doute salement bourgeois et tellement postmoderne, mais cette phrase s’applique trop à la situation que je veux décrire. Ainsi, j’ai vu trop souvent des gens se servir du Capital et à la rigueur d’un aide-mémoire de Bakounine pour écraser un adversaire qui dialoguait, aidé seulement de ses propres expériences, d’une manière certes peu intellectuelle mais si libre et si honnête ! La manière de débattre concurrente, qui vise à nous convaincre que Marx a pensé à tout, qu’il était sans failles et qu’il était un genre de Jésus II, provoque généralement chez moi un écoulement de bave, lié à une exaspération et un ennui mortels.
Des grognements
Pas besoin de plus pour s’exprimer. Comme si on avait déjà fait autrement. La loi de la jungle, que les primitivistes décrivent avec tant d’idéalisme, elle est encore là, elle fait crever les plus faibles et les fumeurs/fumeuses. Franchement, je n’ai rien de neuf à dire pour critiquer les fanatiques de Tarzan-Zerzan, du moins rien qui n’ait pas déjà été dit par les marxistes ou autres (ou par Arwen, qui parle de ces propos qui « ont de quoi faire bondir n’importe quelle personne saine d’esprit » – en ce qui me concerne, les personnes saines d’esprit me traitent invariablement de gros mongol, sans égard pour ces trisomiques dont j’admire la patience, alors qu’est-ce que j’en ai à foutre qu’ils bondissent comme des singes bien-pensants… je les emmerde!). Pour rassurer les moutons, je vous affirme cependant et sans rougir que je serais prêt à pitcher des briques à ce crétin de Zerzan… mais avec déférence ou simplement gratuitement, pour rire un peu.
Ni l’un ni l’autre
Je suis incapable de bander quand j’aperçois une usine cracher des plats en plastique, ou quand je vois un barrage hydroélectrique inonder une vallée vierge. Je crois que la technologie telle qu’on la conçoit aujourd’hui n’est pas du nouveau savoir, mais seulement la complexification et la miniaturisation d’un savoir remâché et régurgité jusqu’à ce qu’il prenne la texture du vomi. Je crois que nous faisons une erreur en développant cette technologie qu’on ne serait pas en mesure de reproduire en cas de pépin, sans repasser par l’âge de pierre. Pour construire l’ordinateur dont je dispose à présent, il a en effet fallu un autre ordinateur, lui-même conçu à partir d’un autre ordinateur, lui-même conçu à partir d’outils qui ont été conçus à partir d’autres outils et ainsi de suite. Ce n’est pas impressionnant. Selon moi, plusieurs solutions se situent dans la simplicité[2], mais pas dans le rejet du problème. Quant à la civilisation, cet ignoble bouillon de marde qui nous a donné Platon et Gobineau, elle est inapprivoisable et indigeste, je l’admets ; mais promouvoir l’absence de civilisation me semble futile, étant donné que sa disparition totale (avec la raison et l’amère mémoire de l’ancien monde) ne pourrait entraîner que sa renaissance sous exactement la même forme. Et c’est sans compter que j’ai vraiment besoin, au minimum, de mes lunettes, qui sont un bien manufacturé.
Bref : faisons la promotion du savoir plutôt que de la technologie, et de l’imaginaire plutôt que de la civilisation.
En guise de conclusion, j’interdis
… aux anarcho-capitalistes d’être d’accord. Vous êtes des tas de merde et mai ne refleurira que sur vos cadavres.
[1] Par exemple, l’arrivée de l’écrit a tué la tradition orale et par le fait même, le cerveau comme contenant organique de la mémoire collective. Dès lors, plus que des choses immuables, noir sur blanc. La civilisation des droits d’auteur. Maintenant, même les jokes s’envoient par courriel et plus rien ne se raconte. Et malgré toutes ces régressions causées par notre progression, je ne serais pas prêt à abandonner l’écriture, qui me permet d’accéder à un tout nouveau stade de l’abstraction.
[2] Un exemple célèbre, dont la présente narration provient du site http://fautrigoler.free.fr/ : « Quand la NASA a envoyé les premiers astronautes dans l'espace, ils se sont vite aperçus que les stylos ne fonctionnaient pas en absence de gravité. Pour résoudre ce problème, la NASA a commissionné une étude à Andersen Consulting (aujourd'hui Accenture). Après 10 années de travail et 12 millions de dollars, les Américains tenaient dans leurs mains un stylo capable d'écrire dans n'importe quelle position, en absence de gravité et avec une température comprise entre -80 et 300 degrés... Les Russes, eux, ont utilisé des crayons à mine... »