jeudi 29 janvier 2009

Le 250e de la bataille des Plaines d'Abraham.

Pour faire court, le gouvernement fédéral, par le biais d'un organisme étrange, la Commission des champs de bataille nationaux, a décidé qu'elle organiserait une reconstitution à Québec de la bataille des Plaines d'Abraham pour fêter le 250e anniversaire de la défaite de Montcalm, avec 3000 figurants*, beaucoup de sous et des discours de ministres.

Les nationalistes québécois-es ont promis de réagir bruyamment à cette reconstitution prétendument historique, refusant qu'on fête dans la capitale la bataille symbolisant la défaite du peuple canadien ainsi que son asservissement à la couronne anglaise. Chiâler serait un geste louable si c'était pour les bonnes raisons.

En effet, la monarchie française punissait, tuait, torturait, réprimait et violait à peu près autant que la monarchie anglaise. La Nouvelle-France n'était pas indépendante. La nostalgie de son régime autoritaire ne devrait pas accabler les nationalistes, à moins que ce soient tous de sales fascistes royalistes de merde (mais je ne le crois pas). La simple perte du Canada aux mains des Anglais ne signifie donc rien, et les nationalistes gesticulent dans le vide. Qu'ils cessent donc de brandir leurs testicules en promettant de manière puérile une vengeance sanglante.

Toutefois, la commission responsable de l'évènement, qui est de loin plus malhonnête que les nationalistes québécois-es, ne compte pas non plus présenter la reconstitution pour des raisons intelligentes. Comme le reste des reconstitutions de batailles rangées, faites partout à travers l'Occident, celle-ci se limitera sans doute au bête affrontement principal durant lequel des soldats se tireront gaiement des poireaux plein la gueule (selon les sources historiques, ça ne devrait pas durer plus que 25 minutes), les morts se relevant à la fin en riant et en saluant la foule. L'effet sur les spectateurs et spectatrices: la fierté, l'excitation, l'envie. Les enfants voudront tous être des Highlanders plus tard, pour faire fuir des soldats vers leurs retranchements, ou bien des tireurs d'élite autochtones, bien cachés dans les bois, crevant des officiers qui jappent leurs ordres comme des chiens.

Cette reconstitution manquera inévitablement de RIGUEUR. Voici ce qu'on devrait montrer aux gens naïfs assistant au spectacle:

Les troupes se placent l'une face à l'autre, stressées. Des miliciens pissent dans leur brayes, d'autres pissent dans le canon de leur fusil pour le nettoyer. Un gamin vêtu de l'habit trop grand des militaires se tient les tripes en pleurant. Il a reçu le premier coup de baïonnette de l'affrontement et demande sa mère. Sa mère n'est pas au courant, elle est dans un autre pays et va attendre en vain son retour sans qu'on lui annonce jamais le décès inutile de son fils. Après une durée indéterminée, une armée fonce sur l'autre et est arrêtée violemment par un mur de balles. Les hommes tombent, agités de spasmes, s'étouffant dans leur sang ou désarticulés. Le vacarme est terrible. La boue s'engouffre dans les plaies des blessés. Les gens ont peur. Une des deux armées fait demi-tour et s'enfuit, poursuivie par des cons brandissant des sabres. D'autres cons les attendent et les accueillent. Des cadavres s'empilent. Les deux généraux tombent. C'est fini?

Non. Plusieurs heures passent encore, laissant des morts et des blessés pourrir sur place. Les râles, peu à peu, s'éteignent. Des brancards emportent quelques éclopés dont les tripes pendent jusqu'à terre. Ils mourront tous avant d'avoir revu leur famille. D'autres soldats enfoncent leurs baïonnettes dans la gorge de blessés qui meurent en un long gargouillis, puis pillent leurs bottes et leurs munitions. La nuit tombée, l'odeur du salpêtre fait place à celui des excréments, du sang et de la mort. Quelques vieillards et quelques femmes vêtus de hardes sales, peut-être, ont réussi à traverser les remparts et cherchent en pleurant le corps d'un frère, d'un fils, d'un père ou d'un mari. Tout n'est que souffrance, larmes, désespoir. La ville elle-même n'est plus qu'un tas de cendres fumantes.

Le spectacle devra durer jusqu'à l'hiver. On verra des soldats amaigris et mal rasés autour desquels mendieront quelques guenillous. Une femme, dans un coin, échangera son cul contre un morceau de pain, mais on pourra aussi choisir une fillette ou un garçonnet pour cette scène, ce sera plus réaliste.

Ça pue, même si c'est l'hiver. Les gens sont laids et malades, plein de poux, sales, agonisants comme des lépreux. Les religieuses vont nu-tête. Les enfants pieds-nus dans la neige brunie par la merde, la gadoue et d'autres choses immondes... Puis le rideau tombe enfin, par manque de budget.

De End.

Voilà comment devrait être reconstituée la célèbre et glorieuse Bataille des Plaines d'Abraham. De manière réaliste. Avec toutes les laideurs de la guerre. Ses horreurs. Ses blessures. La guerre n'est pas autre chose que des gens qui pleurent en souhaitant les pires malheurs à ceux que leurs chefs détraqués ont désigné comme étant des "ennemis". La guerre n'est rien d'autre que des gens qui croient qu'ils font le bien en égorgeant et en violant des innocent-e-s, et en riant de les voir mourir dans l'impuissance.

La guerre, ce n'est pas une reconstitution bidon avec des charges à blanc, commanditée par des maudits enfants de chiennes fiers de leurs chiennes de batailles inutiles qui ont forgé leur État répressif.

***

À lire pour en apprendre plus sur les horreurs et la stupidité de la guerre en Nouvelle-France: LE PEUPLE, L'ETAT ET LA GUERRE AU CANADA SOUS LE REGIME FRANCAIS, de Louise Dechêne, publié chez Boréal.

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*Les figurants choisis seront sans doute presque tous des hommes, par "soucis de réalisme". J'en parlais à une de mes amies féministes, l'autre jour, qui m'a répondu de manière catégorique que les femmes devraient aussi avoir le droit de porter l'uniforme pendant la reconstitution, en autant qu'elles soient en mesure de cacher leurs traits féminins. J'étais tout à fait d'accord: j'ai même ajouté que si un jour on reconstituait une émeute de bonnes soeurs, je revêtirais volontiers un saint habit, après m'être rasé de près, épilé les sourcils et maquillé. Elle m'a regardé d'un air violent en me disant que ce n'était pas la même chose. C'est trop injuste.

7 commentaires:

  1. "En effet, la monarchie française punissait, tuait, torturait, réprimait et violait à peu près autant que la monarchie anglaise"

    Tout de même, les Français commis moins de génocides sur les amérindiens.

    Mais pour le reste, je suis entièrement d'accord avec ce billet!

    "J'étais tout à fait d'accord: j'ai même ajouté que si un jour on reconstituait une émeute de bonnes soeurs, je revêtirais volontiers un saint habit, après m'être rasé de près, épilé les sourcils et maquillé. Elle m'a regardé d'un air violent en me disant que ce n'était pas la même chose. C'est trop injuste."

    J'appelle ça du fémi-favoritisme!

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  2. les Français ONT commis moins de génocides sur les amérindiens.

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  3. Oui, en effet. La colonie française s'appuyait sur les Amérindiens pour défendre le territoire. Il fallait donc les ménager. Ce n'était pas le cas des les colons anglais, qui représentaient une majorité écrasante. J'ai supprimé une partie de mon message, parce que je le trouvais déjà suffisamment long. Mais j'y faisais mention de la querelle historiographique qui fait rage depuis les années soixantes (au moins) et qui cherche à savoir si la Conquête a été bonne pour le peuple canadien français. Je trouve étrange qu'on se dispute sur ce point sans jamais se demander si la Conquête fut bonne ou mauvaise pour les autochtones. Bon, je crois que le sujet a été traité par quelques historien-ne-s (il faudrait que je revérifie) mais ça ne fait pas partie de l'imaginaire populaire québécois, qui ne fait généralement que stigmatiser les victimes canadiennes-françaises de la guerre. On oublie qu'il y a eu plusieurs conflits anglo-amérindiens après la défaite française (autres que celui avec Pontiac). Des conflits causés par l'expansionnisme des colonies et par le racisme. Aux États-Unis, à peu près seulement les Quakers peuvent se vanter d'avoir eu des relations pacifiques avec les autochtones. Les autres se sont lancés, souvent, dans des guerres d'extermination sanglantes. On connaît l'histoire.

    On peut cependant reprocher aux Français d'avoir exterminé les Renards ainsi que quelques autres nations autochtones, ennemies des peuples des Grands-Lacs. Ils ont aussi tenté de détruire l'Iroquoisie par de nombreuses reprises, mais ont lamentablement échoué, arrivant toujours dans des villages vidés de leurs habitants.

    J'ai déjà mentionné le livre de Dechêne, mais celui de Richard White, Middleground, est très intéressant aussi. Et bon, j'ai promis de ne pas trop discuter d'histoire sur mon blogue.

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  4. «Elle m'a regardé d'un air violent en me disant que ce n'était pas la même chose.»

    Comme le disait si bien Orwell : «Nous sommes tous égaux, mais certains sont plus égaux que d'autres.»

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  5. Après réflexion, elle a fini par accepter le concept. Des fois, il faut forcer les gens à faire une petit peu d'exercice intellectuel...

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  6. @ Anarchopragmatiste, je vois mal en quoi commettre «moins de génocides» est mieux. À moins que l'aspect pragmatique (bleu) de ton drapeau soit un utilitarisme déguisé.

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  7. Salut Steffen! Dis donc, il y a longtemps que tu as publié quelque chose sur ton blogue.

    ***

    À propos des Français, leurs exactions fort nombreuses sont décrites de manière quand même assez objective par Louise Dechêne dans le livre que j'ai mentionné (c'est une brique), même si celui-ci n'en fait pas son sujet principal.

    Et je suis d'accord avec Steffen, avoir commis un ou deux génocides de moins que l'Angleterre n'est pas suffisant pour disculper l'Empire français de ses fautes.

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