Le décès soudain de Nelly Arcan a été un choc; j'aime les récits d'autofiction parce que je trouve qu'ils manquent réellement de pudeur. Car si connaître des vérités sur quelqu'un est très révélateur, connaître ses mensonges est atteindre un degré d'intimité encore plus grand. Nelly Arcan était quelque chose comme une porte-étendard de ce genre littéraire. Et comme elle était une porte-étendard qui se vendait bien, sa disparition a retenu beaucoup d'attention.
Mais voilà les hommages funèbres troublés par le décès du non moins célèbre Pierre Falardeau, ce nationaliste violent qui prenait plaisir à insulter les morts. "Salut pourriture", c'est ce qu'il a servi à Claude Ryan après la mort de celui-ci. Les chroniqueurs des grands médias n'ont pas encore ressorti de la poussière cette phrase-choc, à part de manière trompeusement subtile: peut-être ont-ils reçu des instructions, ou peut-être ont-ils trouvé qu'un pareil titre pour un de leurs articles manquerait cruellement d'originalité. Mais ailleurs que dans la presse professionnelle ça se déchaîne. Les "salut pourriture" fusent de partout, par milliers. Ces lâches s'imaginent-ils lui remettre la monnaie de sa pièce? Falardeau est mort. Il s'en crisse. Il est trop tard. Falardeau était un homme d'une vulgarité phénoménale, voire unique. Lors d'entrevues, il s'attaquait même souvent aux journalistes. Il a en outre traité David Suzuki de japonouille et chiâlé contre le Congrès juif canadien. C'est que Pierre Falardeau était un folkloriste anglophobe et régionaliste. Il n'acceptait pas que les critiques viennent de l'extérieur (lire: du Canada).
Mais il y avait quelque chose de beau et de profondément naïf dans les positions extrêmes qu'il prenait. C'est peut-être pour ça qu'à seize ans, j'étais très impressionné par ses discours, me déplaçant même une fois jusqu'à Trois-Rivières pour en écouter un. Pierre Falardeau avait aussi accepté de devenir "personne ressource" pour une recherche au cégep sur l'art engagé que j'avais décidé de mener avec deux amies. Avec ma collègue et moi, il avait été d'une amabilité et d'une patience admirables. Pierre Falardeau parlait de manière à ce que n'importe qui (de familier avec le joual) soit en mesure de le comprendre. Pour cette raison c'était choquant. Il disait n*** au lieu de dolichocéphale ou, comme l'écrirait Babacar Sall, mélanoderme. Ses propos ne revêtaient pas le lustre opaque de l'anthropologie vaguement raciste de certains "savant-e-s" et chroniqueurs/euses vendu-e-s. Ils étaient compris parce qu'ils étaient sensibles[1]. Aurait-il aussi autant parlé si on l'avait laissé faire en paix ses films? Plusieurs de ses projets sont tombés à l'eau - refus de subvention. Je soupçonne l'ostracisme politique. Et pourtant, le vide politique et social de certaines oeuvres subventionnées est beaucoup plus subversif. Et pourtant, n'en déplaise aux admirateurs béats et admiratrices béates de Robert Lepage (le grand artiste) et de Denys Arcand (l'hostie de bourgeois), Falardeau avait quelque chose dans ses films de plus proche du peuple. Qui ne s’embarrassait pas des snobberies tellement appréciées des critiques. Qui était bien plus proche de l'esprit de Mon Oncle Antoine ou de l'Âge de la machine. Avec des vrais personnages.
De savoir que tout ça disparaîtra avec Falardeau, que c'est son oeuvre de pamphlétaire qui survivra (au moins à court terme), ou plutôt l'analyse de son oeuvre pamphlétaire par des crétin-e-s sans intelligence, provoque en moi un fort mécontentement. En fin de compte, ce seront les limaces méprisantes mais polies de Power Corporation qui auront le dernier mot. Salut pourriture. On va s'ennuyer de toi.
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[1]On dira dans les milieux patriotes que Patrick Bourgeois, cet immonde polémiste nationaliste, sera le digne successeur de Falardeau, en porteur unique de son héritage: foutaise. Bourgeois n'a pas d'âme, et c'est précisément pour ça qu'il cherchera à s'emparer de celle des autres.