vendredi 4 décembre 2009

Gérontocratie et éducation

Alors que je terminais mon secondaire cinq, j'écrivais ce paragraphe dans le rapport de mon projet personnel (sorte de travail final au Programme d'Éducation International):

"Si j’avais pu, j’aurais, tel un serpent, craché du venin contre la société actuelle et ses failles : l’iniquité, la manipulation des informations, etc. Évidemment, on n’aurait pas lu mon livre jusqu’au bout. On m’aurait traité de marginal, de militant agressif et aveugle ou d’intellectuel manqué. Et mon message ne se serait pas rendu. Mais, en employant un univers fictif, je peux faire en toute impunité la synthèse de notre monde en employant des exemples et des illustrations littéraires. "

Marginal, militant agressif? Vraiment? Plus je me relis, plus je me rends compte de l'incroyable pression conformisante que nous subissions tous et toutes à l'école secondaire et comment moi-même j'ai été affecté par cette pression. Maintenant, je n'ai pas peur de me faire traiter de militant agressif; je m'en délecte même. En quoi étais-je différent à cette époque?

Je me souviens qu'on avait censuré un de mes premiers très bons textes au journal étudiant (le Mille-pattes) parce que j'avais appelé celui-ci le Mille-Plate et que j'avais enjoint gaiement les lecteurs et lectrices à s'en servir comme papier-cul au lieu de venir se plaindre dans un langage monosyllabique que mes chroniques étaient remplies... d'OPINIONS![1] J'avais ensuite cloué le dernier clou dans mon cercueil journalistique en m'attaquant au bal des finissants. "C'était pas mauvais ton article, mais il s'attaquait à une activité organisée et financée par l'établissement. La direction ne l'a pas laissé passer." Voilà comment "l'adulte responsable" avait réagi face à ma charge à fond de train contre un évènement qui, pourtant, était d'une grossièreté à faire pâlir les bons bourgeois.

Un camarade et moi avions aussi été censurés à l'intercom (nous annoncions les activités de l'asso à chaque semaine) parce que nous avions fait de l'humour. La direction nous avait ensuite gratifiés d'un sermon de la mort dans la salle de conférence de l'école.

Il paraît que c'est pire en Ontario: peut-être vous souvenez-vous du jeune écrivain de Cornwall qui avait passé quelques trente(?) jours en prison simplement parce qu'il avait écrit de la fiction. Des camarades avaient freaké en lisant sa nouvelle littéraire et la police avait fouillé sa chambre à la recherche des plans d'une bombe.

Mes opinions n'étaient pas marginales (encore), je n'étais pas un "militant agressif": on n'acceptait tout simplement pas le débat à l'école, ou quand il était accepté il fallait qu'il soit encadré et approuvé dans chaque échange, de sorte qu'il reste toujours confortablement installé dans les normes...

Les militaires venaient recruter des jeunes brutes naïves à chaque mois. "Mets ton nom là-dessus, ça t'engage à rien" qu'y disaient. Les enseignant-e-s ne semblaient pas y voir de problème. Si j'avais alors été prof de français je n'aurais pas manqué d'insulter avec grâce ces planqués. D'un autre côté, je ne suis pas étonné. Il y a sans aucun doute une majorité de pommes pourrites dans les facultés d'enseignement: plusieurs feraient d'ailleurs de bon-ne-s candidat-e-s aux auditions de Loft Story. Des hommes qui aiment le hockey et qui font rouler leurs biceps, des filles-caniches qui, coordos dans des camps de jour, tyranisaient les jeunes moniteurs/trices à coups de sacoches et d'airs supérieurs. Dans ces conditions les possibilités sont grandes de ne rencontrer, au cours d'un cheminement scolaire complet, que trois ou quatre profs dispensant un savoir vraiment émancipatoire.

Ajoutons à ça l'attitude de plus en plus débilement zélée de l'élite baby-boomer blasée qui dit jusque dans le Devoir que la jeunesse est décadente (ma blonde leur répondrait en riant que Socrate le prétendait déjà il y a plus de deux mille ans).

À ce sujet, voilà que, passant au vieux centre commercial de Victoriaville, il y a quelques mois, je tombe sur cette pancarte:

"INTERDIT AUX ÉTUDIANTS
Sur les heures de cours".
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Nous sommes dans une société vieillissante, une société de vieux dans laquelle on attend des jeunes qu'ils le soient le moins longtemps possible. Voilà pourquoi on essaie à tout prix de les rendre cons, grabataires, dociles, séniles et fermés à toute originalité. Voilà pourquoi je n'étais pas la même personne quand j'avais seize ans. J'avais peur et j'étais écrasé. J'étais jeune; je voulais être libre mais je devais être vieux.
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[1] Alerte! Cet individu PENSE!

8 commentaires:

  1. J'y pense.

    Les baby-boomers ont foutu la planète de travers ; nous ne faisons rien pour améliorer les choses (quand j'écris rien, c'est qu'il n'y a pas d'impact concret notable qui se produit en temps réel) ; les prochains nous accuserons de n'avoir rien fait et en voudront sérieusement après nous pour notre laxisme.

    Et ça, j'ai pas du tout hâte.

    Puis, câlisse que je déteste ces gérontocrates pourris qui osent prendre la jeunesse pour des imbéciles alors qu'ils faisaient pire que nous présentement en minant et détruisant le rêve d'une société nouvelle.

    À être prof ou en âge d'être un « sage », bon sang que j'encouragerai les jeunes à se révolter, à prendre les armes, à ne jamais lâcher leurs rêves (si réalistes dans la possibilité et communistes dans la façon vivre). Lui priver de parole, c'est le marteler et l'empêcher de s'épanouir.

    Sti qu'on était aliénés plus jeunes, c'est dégueulasse. Je me souviens quand je disais « communisme » : ça puait la contre-argumentation du « tout le monde sur le même salaire » ou « bon sur papier, mauvais dans la vie » (deux propos totalement erronés). On osait croire qu'en parlant de la sorte (communisme ! Révolution ! Injustice !) on était marginal et rebelle.

    À se regarder sur le passé, c'était tellement rien ce qu'on faisait et disait ... t'as sûrement déjà eu unE prof qui disait que « le communisme c'est utopique » ou bien « le gouvernement décidera quand ton grille-pain sera réparé ou remplacé ! »

    Tant de désinformation, de répression, d'encadrement bourgeois et de méconception de la réalité ... On se faisait vraiment lavé le cerveau, et encore aujourd'hui ça se fait.

    Une chose à faire : ALLEZ VOUS FAIRE FOUTRE.

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  2. Il y a un autre problème que je n'ai qu'évoqué: le contrôle social par les pairs. Je pense que c'est celui-là qui m'a fait le plus mal au secondaire.

    J'avais un autre problème: comme tu dis j'aurais bien aimé me faire foutre, mais personne ne voulait de mon cul.

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  3. Hmm.

    Je me relis et je remarque plusieurs fautes de frappes et de mots/lapsus (dont « faire » à la place de « dire »). Je pense que j'étais trop fatigué et je n'ai pas pris la peine de réviser mon commentaire. Tant pis.

    Haha.

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  4. « de sorte qu'il reste toujours confortablement installé dans les normes... »

    Cet extrait de l'article, c'est la définition pure et simple du secondaire.

    Je suis en plein dans ma bénie dernière année de ce truc, la face dans cette merde à chaque jour et cet article est véridiquement fabuleux.

    Le secondaire,
    Ça se résume à « tout ce que tu fait qui est pas conforme, c'est ta crise d'adolescence et tu va finir par vieillir, ça va passer, tu va bientôt être intégré à notre clan de merdes pas heureuses mais normales.. »

    Bref, article magique.

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  5. Salut Luna! Tu arrives à point: je me demandais justement ce que les gens du secondaire pensaient de ça. Je suis très heureux d'avoir un avis de ta part (surtout qu'il va dans le même sens que moi).

    La crise d'adolescence... C'est tellement trop vrai ce que tu dis là-dessus.

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  6. À chaque jour j'hallucine un peu plus...

    Dans le Gymnasium où je travaille, (école secondaire allemande, mais où seulement ceux et celles qui vont pouvoir aller à l'université peuvent entrer, les autres sont dans d'autres genre d'écoles secondaire. Tous et toutes sont classés dès la 5ème année du primaire!!!) les plus vieux et vieilles (notre cegep) essayent d'écraser les plus jeunes qui sont différants à grand coup de "tu va voir quand tu va grandir", "ben là t'es influencé par des idéologies qui n'ont rien à voir avec la réalité" ou "t'es trop influencable, t'as pas appris à réflechir par toi-même".

    Pis sti on parle de jeunes de 19 ans qui parlent à des jeunes de 15 ans!!!

    Ca me fait capoter sérieux.

    La dernière fois dans mon atelier quand une plus vieille a sorti ca a une plus jeune (on parlait de frais de scolarité à l'université) j'ai pas pu me retenir...

    "Et toi tu n'es influencée par rien, pas pas tes parents? Pas par tes amis? Pas par le fait que tu sois une finissante? Pas par ce qu'ils disent dans les journaux? Pas par le fait que tu habites dans un pays du G8? Pas par le fait que ta famille ait assez d'argent pour payer tes études?

    Argh! Ca l'a 19 ans et pour eux être mature c'est faire partie de la pensée dominante. "Elle domine donc elle doit avoir raison!"

    Merci MM pour cette belle thérapie^^

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  7. La manière qu'ont les Allemands de classer par castes leur enfants est en effet troublante. J'avais eu un cours là-dessus quand j'ai fait un peu d'allemand il y a trois ans à l'université. Les cheveux m'ont dressé sur la tête.

    En tout cas, bien répondu, j'adore ta répartie. Ça fait partie de la thérapie aussi.

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