jeudi 10 décembre 2009

Quoiqu'en dise ma verge, je ne suis pas un garçon.

Il fallait bien cet incident (repris chez Renart, Lagacé, Asselin, le Tviste, Notre Terre québécoise, Pour une école libre, plusieurs forums politiques) pour faire sortir de leurs gonds les défenseurs invétérés de la tradition, du "gros bon sens" et des bonnes vieilles valeurs conservatrices et aussi pour condamner cette maudite réforme qui est tellement un recul face à l'école d'avant, celle où on répétait inlassablement les mêmes conneries pour les apprendre par coeur et où on recevait la strappe au moindre faux-pas[1].

Il y a de drôles de coïncidences: t'alleure j'écrivais un billet sur le féminisme, et un autre t'alleure j'écrivais sur l'éducation; maintenant je vais mélanger les deux.

La réaction générale face à la présence d'une question sur l'identité sexuelle dans le cours de religion post-réforme me dégoûte: elle n'est pas mieux que la pensée de cet espèce de fou d'Yvon Dallaire qui croit que l'ambiguïté sexuelle est une déviance. Grossièrement, on dit qu'il faut éviter de fucker les jeunes dans leur identité[2], que leur poser des questions c'est mal, ou que ceux-ci ne sont pas assez mongols pour ne pas connaître leur sexe - ce qui est une absurdité puisqu'on parle ici d'identité sexuelle, et non de genre.

J'ai lu l'explication de Gougeon (citée par Asselin), l'auteur du livre en question, et cela ne m'a pas vraiment convaincu de rien. Donc, ce passage serait en fait une simple blague, un détail visant à faire réagir l'élève? Rien à foutre de la question après tout, c'est la réaction qui compte.

On hurle à l'hérésie dès qu'il est question de l'identité sexuelle. Surtout quand on en parle à l'école. Il ne faut surtout pas faire réfléchir les jeunes sur leur identité, sur comment ils se sentent! On risquerait de leur mettre des idées dans la tête... ou de leur faire découvrir quelque chose sur eux-mêmes qui ne soit pas "agréable" à nos standards socio-culturels.

Les gens qui croient qu'on ne peut pas avoir une identité sexuelle différente de notre genre vivent dans le passé ou sont fortement influencés par des idées patriarcales et essentialistes. En cela, le débat qui a entouré l'incriminant choix de réponse a eu du bon: il nous a permis de voir que plusieurs leaders d'opinion (et les suiveurs d'opinion) n'étaient pas ouverts au point d'accepter que nos écoles "produisent" des transgenres ou des gens qui comme moi, ne ressentent pas d'affiliation à un sexe ou à l'autre[3]. Et pourtant! L'ambiguïté dans l'identité sexuelle était socialement acceptée, autrefois, dans d'autres civilisations. Cette acceptation était même généralisée chez plusieurs nations amérindiennes. Les two-spirits, ça vous dit quelque chose?

Cette histoire montre une fois de plus que même des gens qu'on considère généralement comme éclairés ne sont souvent même pas en mesure de laisser tomber leurs vieilles idées nauséabondes et de déconstruire une fois pour toutes leurs paradigmes dégueulasses et contre-émancipatoires. Parce que nier que l'enfant peut avoir une identité sexuelle indéterminée ou inverse à son genre biologique, c'est réellement répressif.

Alors suffit les clichés. Je ne suis pas un garçon parce que j'ai une verge. Et une femme à barbe peut être belle.

Mise à jour: Le plus dommage là-dedans c'est que, convaincu-e-s de l'absence de sens critique chez les jeunes, on leur aura jamais demandé leur avis.

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[1] Une femme passée chez les Soeurs de Sainte-Anne dans les années cinquante me conta, il y a un an de cela, qu'elle se souvenait encore de la douleur qu'elle avait ressentie quand une religieuse en colère lui avait donné la claque de sa vie simplement parce qu'elle avait levé le bras pour saluer sa petite voisine alors qu'elle était en rang avec ses camarades de classe. Pas bouger!
[2] Cette loque humaine de Denise Bombardier parle du "viol moral" des enfants. "C'est un âge où on ne met pas, on n'introduit dans la tête des enfants un tel relativisme. [...] C'est le politiquement correct [le responsable]." Au contraire, je dirais que c'est violer moralement l'enfant que de lui imposer un choix de réponse impossible, et que c'est le politiquement correct qui empêche Mme Bombardier d'ouvrir les yeux sur l'identité sexuelle des jeunes de 12 ans ou de leur refuser un sens critique. Le politiquement correct a toujours traité les jeunes comme des animaux. (L'extrait a été trouvé ici.) Comme on peut s'y attendre, Bombardier a la réaction la mieux formatée et la plus caractéristique - pour ne pas dire prévisible.
[3] Finalement des ambigus "fonctionnels" qui ne se mettent pas de jupes en public. ... Là je sens que les gens qui me connaissent vont rire de moi. Notez toutefois que je suis parfaitement au courant que j'ai l'air normalement masculin. Mais je ne fais pas pousser le poil exprès. Et cela ne change rien à ce que je ressens à l'intérieur.

1 commentaire:

  1. Ceci est une copie de mon commentaire sur le blogue de Renart (http://renartleveille.wordpress.com/2009/12/10/daniel-gougeon-mels-ethique-culture-religieuse/).

    Quand je veux parler d'un homme (qui a un pénis entre les jambes) sans avoir toujours référence à des organes génitaux, j'utilise le terme "mâle". ;-)

    Je pense en effet que changer de sexe définitivement et chirurgicalement, peu importe comment on se sent à l'intérieur, est un long cheminement. Mais les gens n'ont pas besoin de passer au bistouri pour décider de leur identité. L'identité ne se limite pas à une série de détails biologiques: c'est un ensemble de comportements et de sentiments, de réactions face aux évènements. Ma coloc, sociologue, était surprise d'apprendre il y a quelques temps que bien que les hormones puissent provoquer des changements comportementaux, l'inverse est aussi vrai: des comportements peuvent infléchir nos hormones. Ce qu'il faut conclure, selon moi, c'est que l'identité sexuelle est largement une construction culturelle et sociale. Pas le genre! L'identité.

    En cela, la question du cahier d'exercice d'ECR n'est pas aussi choquante qu'elle en a l'air. Par contre, nous serions en droit de nous demander s'il ne peut y avoir que deux identités sexuelles, et que ceux et celles qui hésitent n'ont tout simplement pas encore choisi (l'exercice dit "je ne sais pas ENCORE"). Ne pourrions-nous pas tout simplement avoir une identité sexuelle variable, ou indéterminée?

    Peut-être que simplement, l'identité sexuelle telle qu'encore comprise aujourd'hui devrait disparaître de notre société!

    Dans tous les cas, c'est en effet mal formulé et sans doute sorti d'un esprit naïf et moins prudent - ou plus butché - qu'il n'y paraît. La question suivante, comme je l'ai noté sur mon blogue, reprend la théorie des humeurs et utilise plusieurs mots qui ne sont plus du tout répandus dans le français courant du XXIe siècle. On dirait en bref que chaque question de ce petit exercice demande au moins vingt minutes d'explications. Or ce n'est pas le but. C'est juste un petit questionnaire poche sur "tes caractéristiques".

    Pas fort, l'auteur.

    Les chromosomes (la nature!) eux-mêmes nous jouent des tours sur l'identification de notre sexe. Il existe par exemple des femmes XY. Comme le disait la belette lachinoise, la bipolarité absolue des sexes est un mythe (http://cestuncoupdebelette.wordpress.com/2009/03/28/en-reprise-la-bipolarite-absolue-des-sexes-est-un-mythe/).

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