samedi 8 février 2014
La nature autoritaire et conservatrice de l'éducation.
Il serait selon moi faux d'attribuer le caractère contrôlant de certaines réformes à du progressisme, pour de nombreuses raisons. C'est le cas de l'éducation qui m'intéresse ici.
Ces changements, souvent décrits comme une manière de reprendre le contrôle d'une jeunesse en perdition, ont des traits profondément conformistes et conservateurs. Il s'agit de retrouver la discipline d'antan, d'imposer le respect de l'autorité et de mettre fin à l'hypersexualisation des jeunes filles. Ce genre de discours se retrouve partout dans les médias écrits ou radiophoniques, et a quelquefois mené à des abus sordides, comme en 2010 à Outremont, et en 2013 dans les Laurentides, deux cas parmi de nombreux autres, qui ne sont pas documentés.
Ces phénomènes sont reliés au fait qu'on ne considère pas les jeunes comme des humains à part entière et doué-e-s d'une intelligence développée. À ce sujet, Alain Dubuc avait suggéré, en 2012, que c'était la condition neurologique inférieure des jeunes (il parlait notamment « de lacunes dans l'exercice du jugement ») qui les avait poussé-e-s à prendre l'impulsive décision d'entrer en grève étudiante. Un de mes collègues étudiant en enseignement de l'histoire, à l'UdeM, avait pour sa part appris dans un cours, vers 2007, que les adolescent-e-s étaient biologiquement incapables de faire l'usage d'esprit critique avant 16-17 ans, et que pour cette raison, il fallait se contenter de leur faire apprendre tout par coeur. Il est bien entendu allé répéter cette foutaise un peu partout, comme un perroquet[1]. Peut-être aurait-il été surpris d'apprendre qu'Alain Dubuc considère qu'il n'avait lui-même pas encore l'âge de prendre une décision rationnelle.
Les jeunes représentent une caste inférieure d'être humains, au Québec, et un peu partout dans le monde. Les discours favorables aux jeunes sont marginaux et presque tout le monde participe à leur destruction morale, par une forme de bizutage acharné et généralisé, qui vise à anéantir, en eux, toute forme d'originalité et de désir. La plupart des critiques aigries de la réforme scolaire en sont un bon exemple, et je ne suis pas certain que que les beuglements de Normand Baillargeon (avec ses appels à Arendt) à ce sujet soient une exception. Et c'est comme ça depuis toujours. On veut retourner à un idéal classique, à une vraie culture de l'effort.
Et cela passe aussi par l'absence d'individualité. On gomme les différences par l'adoption d'un code vestimentaire strict. Tout ce qui représente une violation à ce code est un « abus » (de liberté d'expression?) conduisant tout droit à des conséquences terribles. Eh quoi? Il est évident que les vêtements ont une conséquence sur la psychée. Une jeune femme habillée des chevilles jusqu'au cou n'aura pas un comportement dissipé. Impossible. Et le gars assis derrière elle n'aura pas de mauvaises pensées.
À la limite, ça peut se défendre, si on a la matière grise assez lousse. Mais on m'a dit qu'il y a quelques années, au Collège Jean-Eudes de Montréal, on interdisait aux gars de porter les cheveux longs. J'ignore si c'est toujours le cas aujourd'hui, mais ça ne m'étonnerait pas. Quel comportement cherche-t-on ainsi à modifier chez les adolescents? N'y a-t-il pas là une forme assez obscène de pression à la conformité?
Un autre faux progrès: l'histoire obligatoire
Je passe plusieurs heures par semaine à défendre mon point de vue sur la question. J'ai déjà écrit un billet là-dessus. Je n'ai absolument pas changé de point de vue, si ce n'est que pour le radicaliser. Ce nouveau programme d'histoire québécoise au cégep ne sert qu'un objectif: augmenter encore l'uniformité, faire entrer les jeunes dans un moule intellectuel commode, conforme aux attentes, voire plus facile à manipuler par l'utilisation de référents culturels communs (c'est-à-dire: le nationalisme). Je me demandais quel cours on sacrifierait pour faire entrer l'histoire (politique) de force dans les cégeps: il se trouve que ce sont les cours optionnels qui subiront le choc. Notez bien: pas question de modifier le tronc commun. Il s'agit plutôt de l'augmenter, aux dépens des choix que l'étudiant-e pourrait faire lors de son inscription. Parce que l'État sait bien mieux que nous quels cours on doit suivre.
Nous y participons
Comme des foules de hooligans dont le cerveau est réduit à une disquette floppy, nous encourageons ces réformes conformistes, conservatrices et autoritaires. Quotidiennement, nous exigeons plus de règles débiles, sous le couvert de n'importe quel principe con, que ce soit la neutralité (laissez-moi rire), la connaissance de faits, l'éducation à la citoyenneté, le respect de nos valeurs et de la démocratie parlementaire, le bien commun, la décence, etc. Il ne s'agit pas d'une sombre machination de l'État contre nous, planifiée en secret dans les bureaux de la NSA. C'est ce que nous réclamons pour tout le monde. Plus de chaînes. Des chaînes mieux polies et qui disent s'il-vous-plaît et qui se cachent derrière un masque.
__________________
[1] Salut Mathieu.
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Je dirais qu'il s'agit d'un mélange entre une sombre machination et un peuple de zombies qui suit machinalement la route tracée d'avance par autrui.
RépondreSupprimerMais honnêtement quelles sont les options pour ceux et celles qui veulent vivre voir même survivre sans reproduire le système lui-même? La marge de manœuvre me semble bien mince.
Il est sans doute possible de dégager un peu partout des espaces de liberté et parvenir à ne pas l'encourager. Mais se dégager totalement du système, à part par la fuite - et cela est assez difficile - je sais pas.
SupprimerDeux autres histoires:
RépondreSupprimerUne très similaire. Un intervenant dit que cette intervention est courante.
http://tvanouvelles.ca/lcn/infos/faitsdivers/archives/2015/02/20150216-172656.html
En supplément:
http://ici.radio-canada.ca/regions/abitibi/2014/06/16/002-jeunes-epicerie-iga.shtml
2013: fouille à nu d'une trentaine d'élèves à cause d'un cellulaire.
RépondreSupprimerhttp://www.ledevoir.com/societe/education/432137/bolduc-dit-oui-a-une-fouille-a-nu-a-l-ecole-mais-il-faut-que-ce-soit-tres-respectueux