Cette lettre a été envoyée il y a quelques semaines à Patrick Lagacé. C'est une réponse à son article d'ado qu'il a publié dans La Presse le lendemain de la manif du 15 mars dernier. Il y dénonçait la "violence" de manifestant-e-s s'étant attaqué-e-s à un petit restaurant sympathique, et ponctuait son texte d'ironies bon marché. Dans ma réponse, j'ai fait mon possible pour paraître sérieux, respectueux et nuancé, allant jusqu'à camoufler mes émotions et une partie de mes opinions. Résultat: aucune réaction, aucune réponse, aucun commentaire. Apparemment, je n'ai pas réussi à le convaincre. Alors tiens, je publie ça ici. J'aurai pas perdu mon temps.
C'est quand même paradoxal que monsieur Lagacé se soit permis de faire ces commentaires sans s'être présenté à une manif qui se déroulait à deux minutes de chez lui, alors qu'il s'est rendu jusqu'en Palestine pour pouvoir donner un avis "sérieux" sur le conflit israélo-arabe[1]. Bref.
"Mon histoire ressemble à toutes les autres et ne vous intéresse pas.[2] Toutefois si je ne peux pas répondre à toutes vos interrogations, j'en ai quand même vu assez pour savoir dans quelles circonstances des manifestant-e-s ont fracassé la vitrine du Pizza Ben. Je ne cherche pas du tout à les excuser. De toute façon, en essayant je manquerais nécessairement d'objectivité.
Des agents infiltrés étaient présents en grand nombre dans la manifestation. Je ne sais pas s'ils se sont livrés à des activités de provocation. Je sais par contre qu'ils se sont livrés à l'arrestation de plusieurs personnes, selon toute vraisemblance identifiées comme représentant un danger potentiel. Deux d'entre elles se sont fait piéger après semble-t-il avoir dérobé un bouclier de la SPVM. L'une d'elles était de toute évidence mineure, et l'autre, je n'en ai aucune idée. Les policiers les ont traînées dans un bloc, où les jeunes ont été, selon quelques témoins rencontrés plus tard, battus. D'autres agents infiltrés se sont réfugiés, paraît-il (mais ça m'apparaît moins clair), dans le commerce voisin.
Cet établissement, c'était Pizza Ben.
C'est alors que les policiers s'y étaient cachés que les projectiles ont fusé, fracassant les vitrines. Les jeunes ont réagi par colère, parce que deux de leurs chums s'étaient fait épingler sauvagement. Ils ne pensaient sans doute pas au capitalisme quand ils ont jeté des pierres contre les façades du restaurant et de son voisin.
Quant aux policiers, c'est peut-être par peur de représailles violentes qu'ils se sont réfugiés dans cet édifice[3]. Je me refuse encore à interpréter leur geste comme une tentative crapuleuse de camoufler les preuves du mauvais traitement qu'ils souhaitaient infliger à leurs proies fraîchement cueillies[3]. C'est cependant la version qui circule dans le milieu.
Je n'étais pas un témoin direct de la scène. Ce que je dis ne vaut donc pas grand-chose sur le plan journalistique. Mais si vous ne l'avez pas encore fait, je vous conseille de visionner ce vidéo sur Youtube, tourné juste au moment où le restaurant en question a été vandalisé. On voit presque tout de l'évènement malheureux. Je n'avais pas repensé à votre article avant que le souvenir de l'évocation par certaines personnes d'une quelconque pizzeria ne me revienne à l'esprit par le biais de ce court extrait.
Je ne sais pas encore ce qui s'est passé avec les vitres de l'UQÀM, du café Vienne[4] et celles des voitures civiles de Sainte-Catherine, mais il est bien certain que chaque méfait a une histoire qui lui est propre, plus ou moins justifiable. Celle du Pizza Ben ne se résume pas à un acte de vandalisme gratuit, même si le geste reste totalement répréhensible[3].
J'espère que mon courriel vous sera utile et qu'il fasse autre chose que polluer votre boîte de réception.
Bien à vous,
(C'est signé.)
_______
[1] Délire qui vaut bien une note de bas de page: en fait, Lagacé devrait selon moi laisser tomber sa pensée du passé décomposé réactionnaire pour adopter la participation et la présence... dans le présent. On m'objecterait que Lagacé deviendrait ainsi Lagaçant et qu'il perdrait sans doute sa job... Mais bof, il trouverait bien quelque chose d'autre à TQS.
[2] J'ai passé l'intro parce que ça commençait à devenir trop long. En gros, je parlais de tous mes diplômes et de toutes les autres raisons qui faisaient de moi un homme respectable et crédible selon les critères culturels de Lagacé. Rien de très édifiant.
[3] Regardez comme je suis nuancé!!!
[4] C'est même pas vrai. Je sais ce qui s'est passé avec la vitrine du café Vienne. Elle a été fracassée par un projectile lancé par la police. Si je feins l'ignorance ici, c'est simplement par ironie. Monsieur Lagacé est journaliste. S'il n'a pas compris l'allusion c'est qu'il a mal fait sa job en s'informant tout croche.
jeudi 9 avril 2009
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Libellés
anarchie
(48)
arts et culture
(51)
brutalité policière
(98)
capitalisme
(11)
censure
(3)
chroniques de la station Berri-UQÀM
(2)
Chroniques de Saint-Michel
(1)
Chroniques de Villeray
(1)
comment l'anarchie est-elle possible
(8)
conflit israélo-arabe
(4)
CSA
(7)
défense intellectuelle
(42)
divers
(23)
droite
(53)
économie
(15)
éducation
(47)
égypte
(8)
élections
(30)
environnement
(10)
évènement
(41)
fascismes
(14)
féminisme
(29)
fuck you
(1)
G20
(26)
gauche
(30)
grève étudiante
(71)
indépendance
(6)
international
(41)
introspection
(17)
lettre d'insultes
(3)
LGBT
(2)
logement
(2)
loi et ordre
(96)
manifestation
(90)
manifeste
(4)
médias
(65)
merde
(18)
militarisme
(11)
nationalisme
(26)
nouvelle
(1)
opinion
(1)
pauvreté et marginaux
(2)
Petit guide de l'extrême-gauche
(3)
politique
(4)
Premières nations
(2)
privatisations
(6)
Que-sont-mes-amis-devenus
(29)
racisme
(23)
religion
(21)
riches
(9)
santé
(15)
sexualité
(15)
tomate noire
(1)
travail
(19)
tribulations
(38)
Victo
(4)
Bien que je sois majoritairement d'accord avec ton point de vue, je veux ici jouer l'avocat du diable, pour le simple plaisir de remettre en doute les idées de tout le monde... Cependant, je n'entends pas faire ici un discours qui se veut implacable, juste soulever un petit point qui m'a "flashé" dans l'esprit en me levant ce matin.
RépondreSupprimerCette manifestation était, à la base, pour protester contre une forme de martyrisation (si ce mot existe), je pense qu'on peut s'entendre là-dessus. (Entendons-nous ici que je vais utiliser le mot "martyr" dans le sens de "personne persécutée sans possibilité de défense ni de représaille"...)
Or, des gestes comme ceux-ci, même s'ils sont commis avec raison (quoique je dirais plus "avec émotion" que "avec raison"), n'enlèvent-ils pas justement ce statut de martyr ? Je pense aux martyrs tels que décrits par la bible (quoique je n'encourage personne à faire de même), leur but était un peu le même : sensibiliser les gens à leur cause, tout en prônant un message de non-violence, même en face des massacres les plus hideux. Ils ont eu la force de rester sereins en se faisant bouffer par des lions.
Bon, je répète que je n'encourage pas ce comportement, je voulais seulement invoquer l'image. Mais il reste que la manifestation avait des allures de martyr, mais que par des gestes concrètement violents, commis par une minorité, elle a renoncé globalement à son statut qui aurait permis par la suite à ses défenseurs de se "plaindre" et de se défendre par l'argument du pacifisme.
Le problème, plusieurs personnes l'ont soulevé, est que dans cette manifestation qui aurait dû être "peaceful", se sont glissés des fauteurs de trouble, et la plupart n'avaient pas été "invités" à la base. Je vais donc réitérer ici une question qui n'a pas trouvé de réponse satisfaisante sur trois autres blogues (qui a été totalement ignorée en fait) : n'existe-t-il pas un moyen de faire entendre la voix collective avec le même poids que cette manif, sans pour autant donner l'occasion parfaite à des baby-punks incultes et sans envergure de faire une casse inhéremment indésirable ?
Je n'ai pas de solution à proposer ; je ne connais pas le système et ses rouages, mais franchement, je serais un peu déçu de me faire dire par des gens sympathiques à la cause et qui parfois connaissent le système mieux que le système ne se connaît lui-même, que ledit système est tellement "foolproof" qu'il n'y a pas d'autre moyen que cette démonstration qui est malheureusement vue tantôt comme du terrorisme à la petite semaine, tantôt comme un party d'universitaires déchaînés. De telles manifestations se tirent presque invariablement dans le pied et attirent plus de haine que de sympathie. Les gains ne compensent plus les déficits, simple calcul économique... Non ? Il me semble fortement en tout cas. Si c'est le cas, ne peut-on pas envisager les solutions sous un autre angle ?
Je te laisse sur cette petite idée, encore une fois j'ai hâte de lire les réponses qui vont fuser ; à date, à quelques exceptions imbéciles près, j'aime bien ce débat...
Ton commentaire mériterait une étude très approfondie, parce que tu en couvres très large.
RépondreSupprimerEn ce qui concerne le statut de martyrs: je ne pense pas que c'est tellement courant dans les manifs. C'est certain que quelques personnes qui n'ont rien à perdre font exprès de se faire arrêter, mais généralement, ce n'est pas l'objectif. Avoir un casier judiciaire, c'est très, très cher payé pour acquérir un certain statut (interne au mouvement, par ailleurs) de "martyr". Je pense que la violence est un symptôme de la colère, c'est tout. Quand t'es en colère, tu penses pas aux relations publiques. Oui, la manif s'est un peu tirée dans le pied en s'attirant des sermons de la part des leaders d'opinion (après, la non-adhésion du public était acquise, mais je pense pas qu'on puisse parler de haine).
Mais ça ne se passe pas toujours ainsi. Parlons de Montebello: ce fut une manif fucking violente, des deux côtés, mais les médias s'en souviennent comme une manif pacifique dans laquelle les agents provocateurs ont joué un rôle important. Pourtant, je peux t'assurer que les caillasses volaient par dizaines, même si aucun policier n'a été blessé gravement. La couverture médiatique de l'évènement en tant que tel (parce que finalement personne n'a parlé du PSP) aurait pu être très différente.
Il y a des "fauteurs/euses de trouble" dans chaque manif, CHAQUE MANIF, mais ils/elles n'arrivent pas toujours à mettre la marde. L'occasion de le faire, elle vient seulement quand il y a un effet d'entraînement (ça c'est quand même des gens pacifiques ou des passant-e-s se mettent à pitcher des roches): cet effet d'entraînement est la plupart du temps lié à la répression policière, avec quelques exceptions comme l'émeute de victoire du Canadien de Montréal il y a un an.