jeudi 27 août 2009

Mes sphères les plus agréables...

Renart L'éveillé, dans son texte d'hier, nous présentait une critique assez étrange des anarchistes (et plus accessoirement une critique de l'anarchisme, et pratiquement pas de critique de l'anarchie). Cette critique me semble affectée par plusieurs idées reçues. Elle est d'autant plus contrariante que la photo choisie par l'auteur pour figurer sous le titre du billet est celle d'un homme qui dégueule.

Bakouchaïev a déjà écrit un commentaire fort pertinent là-dessus sur son blogue, et aussi je ne vais répondre qu'à cette partie du texte: "La pensée gravite dans des sphères bien plus agréables que les simples considérations domestiques, pour ne nommer que celles-là, et leur monde s’en trouve changé : le problème c’est que l’écart entre ce nouveau monde et celui effectif est énorme, d’où le déficit de liberté individuelle qu’on nous rabâche de toutes les manières."

Je ne vois pas en quoi le discours des anars évite les considérations domestiques. Il me semble que Proudhon, déjà au XIXe siècle, traitait de la chose domestique. Il a justement écrit un bouquin là-dessus, qui fait la promotion du mutuellisme. Chomsky a aussi parlé à plusieurs reprises du cadre qu'il voulait proposer à la société pour remplacer le capitalisme industriel. Ce ne sont que deux auteurs (j'en connais peu anyway) mais il y en a une pléthore d'autres. Du reste, les exemples de la Commune de Paris et des collectivités anarchistes espagnoles ayant surgi de nulle part pendant la guerre civile suffisent, je crois, à montrer que des anarchistes ont en effet fait grand cas des considérations domestiques. La vérité, c'est que les considérations domestiques sont au centre du discours anarchiste, justement.

Chez les blogueurs anars, il y a Bakouchaïev qui a parlé d'économie participative à plusieurs reprises, Anarchopragmatiste qui a discuté d'anarcho-mutualisme avec son pote Tremblay. Steffen, de la ZLÉA, a parlé de sa vision concrète d'un monde libertaire. En ce qui me concerne, je suis en train d'écrire une longue série de billets qui s'intitule: "Comment l'anarchie est-elle possible". Même si je n'ai pas encore parlé en termes sérieux du mode de réponse aux besoins élémentaires (il n'y a que les fous pour être sérieux), j'ai clairement affiché mon intérêt à ce chapitre en rédigeant mon anale analyse du travail.

La pensée des anars est la plupart du temps très terre-à-terre, contrairement à ce que plusieurs semblent prétendre. La plupart des anars se moquent des concepts ridicules et illusoires telles que l'ordre public, la décence, la morale et le contrat social. Ils/elles se moquent de Dieu. Et il y en a même, parmi les anars, qui n'étant pas marxistes, rejettent les idées de lutte de classes. Comment, dès lors, peut-on les accuser d'avoir la tête dans les nuages?

La logique des théoricien-ne-s anarchistes peut souvent sembler plus lourde que celle des autres, mais c'est simplement parce que ce n'est pas elle qui est la norme ici-bas. Si nous vivions au milieu d'un monde anarchiste et que vous essayiez de faire gober aux habitant-e-s incrédules l'idée de contrat social ou de consubstantiation, ou encore celle de la double nature du Christ, personne pigerait rien et on dirait que ce sont des sornettes de pelleteux de nuages. Locke, Hobbes, Rousseau? Pfff.

Il est donc d'autant plus probable que ce sont les autres qui aient la tête dans les nuages, en appuyant le statu quo au sein d'un système absurde. La famine qui sévit au sein des États capitalistes est réellement un signe que ces autres n'ont pas plus à branler des considérations domestiques, sinon des leurs propres, puisqu'aucun élément dans leur mode de pensée n'arrive à trouver assez de concrétude dans la réalité pour nourrir avec succès toute la population terrienne.

Sommes-nous resté-e-s pogné-e-s dans des sphères agréables? Que veut-on dire par là? Les sphères agréables de l'esprit humain, il me semble que ça a toujours été Dieu, la Nation et le Sport. Les réponses faciles et l'évacuation expéditive du questionnement à travers le divertissement. Ce genre de choses. En quoi donc l'anarchisme gravite-t-il seulement dans les sphères agréables?

Renart parle d'écart entre monde effectif et "nouveau monde". Il dit que cet écart est grand; moi je pense que the objects in the mirror are closer than they appear. Les jardins collectifs (pour ne pas dire communistes), les cafés-coops, les foires de troc, les parties de soccer improvisées et l'appui massif des organismes sociaux au CSA montrent que les gens ne sont pas étrangers ou particulièrement hostiles à des modes d'organisation spontanée sans chefs, sans hiérarchie et étonnament proches de la vision utopiste qu'ont plusieurs de l'anarcho-syndicalisme. Les nombreux exemples d'auto-gestion à petite échelle sont aussi des preuves que techniquement, supprimer le pouvoir un peu partout, c'est viable.

8 commentaires:

  1. Mon opinion compte pour celle d'un gars qui ne concentre pas son regard seulement sur l'anarchie, mais qui la voit quand même. Je me dis que ça peut donner un coup de main : je suis carrément le public cible et pourtant je suis pas mal rebuté...

    Cependant, si c'est plus réconfortant de croire que je suis dans le tort, c'est votre liberté!

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  2. Je ne sais pas si vous entrez dans ce public-cible des anarchistes, mais si vous êtes satisfait de votre condition (les apparences le suggèrent), c'est normal que des idées de révolte et de changement radical ne s'installent pas facilement en vous.

    "si c'est plus réconfortant de croire que je suis dans le tort, c'est votre liberté!"

    Ceci me semble être une invitation à clore le débat. Je ne l'accepterai pas tant que vous n'aurez pas mieux élaboré votre analyse. Voyez-vous, je suis très intéressé par les critiques constructives. Celles que vous avez apportées dans votre texte et dans vos commentaires me sont insuffisantes.

    Qu'entendez-vous par la rigidité, par exemple? Quelles sont les considérations autres que domestiques que les anars mettent de côté? Qu'est-ce pour vous que la liberté, et comment l'anarchie la condamne-t-elle en voulant la servir?

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  3. "Renart L'éveillé, dans son texte d'hier, nous présentait une critique assez étrange des anarchistes (et plus accessoirement une critique de l'anarchisme, et pratiquement pas de critique de l'anarchie)."

    En fait, il s'agit surtout d'une critique contre moi-même.

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  4. David,

    je pensais bien sûr à toi et à quelques autres, même des libertariens. Tu n'as pas le monopole de la pensée anarchiste qui se manifeste dans la blogosphère, quand même!

    Mouton Marron,

    je reviendrai là-dessus, quand j'aurai un moment.

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  5. Effectivement, je n'ai pas le monopole de la pensée anarchiste, alors il est encore moins justifié de discréditer les anarchistes en général en se servant presque exclusivement de ma pensée!

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  6. David,

    si on enlève les conneries comme le parentage, l'antiprocréation et l'extinctionnisme, tu partages beaucoup de réflexes de pensée, tu n'es pas si original...

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  7. Sauf que ces soi-disant "conneries" sont en majeure partie la fondation de ton texte!

    Et en passant, tu as raison, d'un point de vue étatiste, ce sont des conneries! Mais d'un point de vue anarchiste, dans le contexte actuel, la parentalité et la procréation sont invalides.

    Ma réponse:

    http://anarchopragmatisme.wordpress.com/2009/08/26/odifier-lpourquoi-la-parentalite-et-la-procreation-sont-invalides-partie-ii-reponse/

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  8. Correction:

    http://anarchopragmatisme.wordpress.com/2009/08/28/odifier-lpourquoi-la-parentalite-et-la-procreation-sont-invalides-partie-ii-reponse/

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