mardi 7 décembre 2010

Les manifs: un peu de gestion de crise.

La manifestation du six décembre a été plus que tranquille. Quelques agitateurs/trices sont parvenu-e-s à plusieurs reprises à réchauffer un peu la foule: mais leurs gestes restèrent isolés. Des activistes ont aussi tenté de pénétrer dans la salle de conférence, sans succès: l'escouade antiémeute les attendaient à l'intérieur.

Mais pendant une dizaine de minutes, la soupe était proche de l'ébullition. Nous étions devant la barrière du Hilton et nous frappions dessus joyeusement pendant que des balles de neige fusaient vers les flics (et vers nous: j'ai dû en recevoir trois en arrière de la tête) et que les slogans devenaient de plus en plus drôles.

J'allais me dire: "ça y est, c'est parti", mais au même moment, j'ai commencé à me sentir poussé dans le dos. Je me suis retourné pour me rendre compte qu'une foule très dense s'était formée entre la rue et notre petit groupe. Impossible, ou presque, de bouger. En sautillant un peu, j'ai aussi remarqué qu'une rangée de policiers (certes clairsemée) en armure bloquait la rue à l'ouest et qu'aucun groupe ne s'était formé à cet endroit-là pour empêcher une charge par le flanc.

J'ai donc pensé, à la lumière de cet évènement qui aurait pu mal tourner, que proposer ici une discussion sur les situations d'urgence dans les manifs serait utile, surtout avec ce qui s'en vient. Le but n'est pas d'inciter à l'émeute ou quoi que ce soit "d'illégal", mais d'informer et/ou de débattre sur des situations dans lesquelles des groupes peuvent se retrouver de bon ou mal gré. Par ailleurs, comme le prouve l'exemple du G20 de Toronto, toutes les situations présentées ici surviennent souvent dans le cadre de manifestations légales.

Dans un rassemblement

Se tenir devant l'escouade antiémeute ne représente en rien une offense à la loi, ni même une action subversive. 95% du temps, les antiémeutes ne sont utiles qu'en tant que force dissuasive. Quand les choses vont bien, et/ou qu'un obstacle physique vous sépare des policiers (les forçant à ralentir leur marche, comme une barrière style nid-de-poule-en-réparation par exemple), il n'y a pas de crainte à avoir.

Dans une situation où un rassemblement assiège une place ou reste immobile, il faut cependant s'assurer impérativement de plusieurs choses.

1. Des voies d'évacuation sont accessibles:

Quand le rassemblement devient plus houleux, il est important de permettre en tout temps à tout individu de quitter les lieux. Ne bloquez donc pas, par votre présence, les accès de manière étanche. Des blessé-e-s, des incommodé-e-s, des déshydraté-e-s, des gens intoxiqués, il y en a toujours à évacuer, même quand il y a pas de violence.

2. La foule n'est pas trop dense:

Il suffit d'une grenade lacrymogène ou d'un peu de poivre de cayenne pour semer la panique au milieu d'une assemblée. Si la foule est trop dense, c'est l'intoxication garantie pour ceux et celles qui sont au premier rang. La panique étant particulièrement contagieuse dans ces circonstances, les risques de blessures par piétinement sont aussi très élevés. Beaucoup d'activistes ont le réflexe de se masser densément devant une rangée de flics afin de briser la force de charge de celle-ci voire de la pousser (une action qui ne se solde pas toujours par un décret "d'attrouppement illégal"), mais je me questionne sincèrement sur la pertinence de se constituer un mur de quinze personnes d'épaisseur. Et c'est sans compter le fait que je n'ai jamais vu une rangée de flics se briser après qu'on ait poussé dessus de cette manière. Lors de "poussées", j'ai surtout vu du monde revenir en arrière avec une clavicule pétée.

Quand une grenade de lacrymos éclate, les gens qui sont à proximité ont tendance à courir pour s'éloigner du périmètre contaminé. Les gens qui ne se sentent pas en danger restent sur place. C'est une grave erreur: en restant immobiles, ils empêchent les victimes potentielles de se mettre à l'abri. C'est donc une affaire de civisme et de solidarité que de s'éloigner lentement pour dégager de l'espace quand le gaz se répand, même si vous ne risquez pas a priori d'être atteint-e. Par ailleurs, les lacrymos ne se répandent pas à la vitesse de la lumière. Si vous êtes déjà à trois ou quatre mètres de la grenade, NE PRENEZ PAS LE RISQUE DE VOUS METTRE À COURIR. Vous allez augmenter la panique et peut-être bousculer quelqu'un.

Bref, quand vous voyez qu'un attroupement s'est formé contre une rangée de flics, je vous conseille de rester en retrait et ne pas vous joindre à la masse. Vous pouvez jouer un autre rôle. N'oubliez pas, aussi, que contrairement aux forces policières, l'avantage d'une masse manifestante est sa mobilité et sa versatilité.

3. Tous les angles sont couverts:

Ce comportement est presque systématiquement adopté lors des rassemblements. À Montebello (en 2007) par exemple, le front nord (la 323, je crois) était gardé efficacement par un regroupement de syndicalistes, de personnes plus âgées et de quelques modéré-e-s. C'est à cet endroit que les fameux agents provocateurs avaient débattu passionément avec les jeunes anars et David Coles[1]. Mais le 6 décembre, ce n'était pas le cas. En fait, aucun angle n'était couvert. Dans une situation semblable, je suggère à quiconque s'en rend compte de convaincre (en gueulant) une dizaine de personnes d'occuper le tronçon de rue vulnérable.

4. Les hauteurs sont occupées par des allié-e-s:

L'altitude comporte plusieurs avantages: meilleure visibilité, meilleure force de poussée, confort psychologique. Au printemps 2006 (il me semble), l'ASSÉ avait organisé une manifestation qui avait failli mal tourner. Les marcheurs/euses souhaitaient monter sur Sherbrooke, mais les flics considéraient que comme c'était une voie d'urgence - c'est souvent l'excuse employée - la rue ne devait pas être bloquée. Ils nous ont donc barré la route alors que nous montions sur Kimberly (ou Jeanne-Mance). Leur déploiement s'est fait dans la surprise totale, parce que nous étions à ce moment-là en bas de la pente et qu'il était impossible d'être au courant de leur présence. Quelques radicaux/ales ont alors eu la mauvaise idée de camper sur leur positions en situation foutrement défavorable, laissant par ailleurs les paniers à salade se disposer en contrebas. Plusieurs projectiles furent lancés sans succès: l'angle de lancer est abominable en bas d'une pente, la force du jet est affaiblie et il est courant qu'un-e camarade placé-e plus haut soit frappé-e par l'objet volant non-identifié. On est pas à Austerlitz non plus. Il n'y a pas de possibilité de contournement dans une rue de quinze mètres de large. Les flics eux-mêmes cherchent presque toujours à occuper les hauteurs. C'est pas pour rien.

Une position basse est intenable, et c'est dangereux d'y rester dans toute manif. En effet, il arrive assez souvent que l'Escouade charge sans provocation lors d'une manif pacifique. Et descendre une côte en courant au beau milieu d'une foule, c'est comme dangereux.

Voilà tout ce qui me passe par l'esprit ce soir. Je vous suggère de compléter ou contredire avec des commentaires pertinents qui ne proposent pas, bien entendu, de recourir à des stratégies agressives (et qui pourraient donc me mettre dans la marde en tant que blogueur).

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[1] Soit dit en passant, ce sont bel et bien les activistes anarchistes qui ont identifié et chassé les infiltrés, les enjoignant à retrouver leurs confrères. Les vieux syndicalistes, traités en héros dans les médias et présents sur la ligne ont presque tout fait foirer en tentant d'affronter les porcs, déclenchant quasiment une bagarre.

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