samedi 4 décembre 2010

Mon conte de Noël - Saint Frère André

Cette histoire de famille n'a à ma connaissance jamais été racontée en public. Je la tiens de ma mère qui la tient de sa mère.

***

Un cabinet de docteur, un jour à la fin des années vingt ou au début des années trente. Mon arrière-grand-mère se fait examiner. Le médecin, solennel, lui annonce qu'elle ne devrait plus avoir d'enfants. Le danger pour sa santé est beaucoup trop grand.

Mais mon arrière-grand-mère est une femme très pieuse. Elle a entendu de nombreuses fois le curé appeler au respect du devoir conjugal. Elle cherche donc un deuxième avis, car elle n'est pas confortable avec le fait de n'avoir donné deux enfants. Soit à cause de la pression sociale, soit à cause de son mari, soit parce qu'elle aime les enfants. Soit parce que la contraception, c'est péché.

Elle parvient à obtenir un entretien avec le Frère André, qui à l'époque est respecté de tous et de toutes. Il est d'un âge noble. On entend parler de dizaines de miracles. Le miracle lui-même semble graviter autour de sa personne, la sagesse émaner de sa bouche. Il connaît des milliers de gens; il en a conseillé cent mille. Il a une longue expérience de la vie.

Mon arrière-grand-mère le rencontre. Elle lui demande ce qu'elle devrait faire. La réponse exacte du Saint, je ne la connais pas. Tous les témoins directs sont morts depuis longtemps, sauf peut-être une vieille tante qui était alors toute jeune. Mais voilà la phrase rapportée qui s'est transmise de bouche à oreille sur trois générations: "Ce serait dommage qu'une femme aussi jeune s'arrête aussi vite."

Quelques mois plus tard, mon arrière-grand-mère est morte en donnant naissance à ma grand-mère. Aux funérailles, il y a quelques dizaines de personnes, et parmi elles deux enfants tristes et un bébé qui ne connaîtra jamais l'amour maternel.

Moins de dix ans plus tard, le Frère André meurt à son tour. Devant sa dépouille paradent presque un million de personnes.

En quelque sorte, ma grand-mère fut comme beaucoup d'autres un enfant de Saint André Bessette. Quasi-orpheline, elle a été élevée par les bonnes soeurs après que sa mère ait suivi le conseil foireux du vieux religieux. Sans lui, elle ne serait pas née, et moi non plus. Ne suis-je donc pas moi-même un véritable miracle?

Mais comme ma grand-mère, je n'ai aucune reconnaissance pour ce vieil escroc. Même que je lui chie dans la gueule, à ce saint de comédie plate du TNM. Je souille sa crisse de soutane à la mémoire des femmes qui sont mortes à cause de lui. Voilà quelque chose que ma grand-mère, trop bien élevée, n'aurait jamais osé vouloir faire. Quoique.

3 commentaires:

  1. Je comprends ton point de vue et c'est vrai que c'est vraiment dégeulasse, d'autant plus qu'on traite un tel homme comme un saint.

    En même temps je te trouve pas mal sympathique, donc je suis quand même heureux que ton arrière grand-mère ait enfanté (moi qui remet pourtant en question le pourquoi de la reproduction humaine à perpétuité). Je suppose que c'est égoiste de ma part, mais bon.

    Je ne devrais pas être là moi non plus et ce pour plusieurs raisons, dont une que je me rappèlle t'avoir compté. Ma mère est un accident. Plus banale comme histoire, mais ce n'est qu'une partie de l'histoire. Le tout mis bout à bout ne fait aucun sens et relèverait de la science-fiction, si ce n'était pas vrai.

    Mais j'ai fait ma part pour la cause de la dénatalité: ma mère voulait trois enfants. Elle m'a eue et a changé d'idée. :) Apparament j'étais déjà un petit crisse à l'époque, même si je me suis calmé par la suite.

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