mercredi 11 mai 2011

Mariage forcé

Cette histoire, somme toute assez courte, m'a été racontée dans un restaurant par un Québécois d'origine arabe installé pour quelques temps au Caire. Là, chiâlez pas, je raconte de mémoire et je rafistole un peu. Les citations ne sont pas directes.

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Les yeux du chauffeur de taxi étaient d'étroites fentes. Son gabarit d'ancien boxeur et ses traits forts lui donnaient l'air d'une brute épaisse et terrible. Un des clients souffla aux autres, en français: "c'est clair qu'il ne nous fera pas la discussion, lui." Le passager en question aimait pouvoir discerner rapidement dans des expressions très simples et subtiles les traits de personnalité des gens qu'il rencontrait sur son chemin. Un truc qu'il avait appris quand il était agent de bord. L'impression que lui donnait le chauffeur était celui d'un homme peu affable et peu porté à l'émotion.

La première partie du voyage se passa dans un silence relatif. La radio jouait une chanson d'amour en arabe, dont les paroles convenues ne sortaient pas vraiment de l'ordinaire. Mais cette chanson, dont la plupart des passagers comprenaient d'ailleurs les paroles, semblait émouvoir le chauffeur. Elle avait comme déclenché quelque impossible mécanisme chez lui. Les passagers n'eurent pas à risquer de question.

"Cette chanson, voyez-vous, me rappelle mon premier amour".
Consternation dans le taxi. Ou plutôt, étonnement amusé. Faut pas exagérer.

Le chauffeur attendit quelques instants, les yeux toujours fixés sur la route, avant de raconter sa dernière rencontre avec elle.

"J'étais jeune à cette époque. Quand sa famille l'a forcée à marier quelqu'un d'autre que moi, elle m'a été en quelque sorte enlevée: elle était confinée chez elle et la voir m'était formellement interdit par son père. Mais un jour, j'ai réussi à convaincre sa mère de me laisser la voir une dernière fois. Quelques jours plus tard, je passais en taxi devant chez elle. Sa mère l'avait fait sortir sur le balcon, au deuxième étage. Je l'ai vue se pencher légèrement au-dessus de la rambarde. Je l'ai saluée et puis je suis reparti. C'est la dernière fois que j'ai vu son visage. Aujourd'hui, j'ai deux enfants, une femme que j'aime mais je regrette toujours ce moment où j'ai dû me faire violence pour me résigner à ne pas l'emmener avec moi."

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Ça me rappelle drôlement qu'un livre, Taxi, raconte justement plusieurs anecdotes vécues par des chauffeurs du Caire. Je ne l'ai pas encore lu, je ne sais pas si mon histoire est inspirée de ça, je ne sais pas non plus si celle-ci est véridique. Je sais juste qu'elle est quétaine dans son romantisme émotif exagéré. Mais j'avais quand même envie de la transmettre parce qu'elle décrit une institution toujours vivante en Égypte.

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