vendredi 20 mai 2011

La révolution dont tout le monde parle.

Eh bien, je ne la vois pas. Les choses ont crissement pas changé en Égypte. L'armée est toujours omniprésente, la population pauvre et affamée puis les enfants quêtent dans les rues. Les jeunes sortent presque quotidiennement pour protéger leur révolution, et plusieurs journalistes emploient le terme "contre-révolutionnaires" pour décrire les agitateurs sectaires (par exemple les Salafistes), mais c'est un vernis.

Plusieurs Égyptiens m'ont dit: "Attends et reviens dans 18 mois, tu ne reconnaîtras plus rien." J'espère qu'ils ont raison mais je ne partage pas leur enthousiasme. C'est évident que l'Égypte change à un rythme infernal. Mais c'est de même depuis longtemps. Tiens, ils sont en train de dégager l'allée de Criosphynx[1] entre le temple de Louxor et le temple de Karnak, deux immenses complexes religieux qui attirent des millions de touristes chaque année. C'est un véritable gâchis, ils ont dû raser la moitié de la ville pour le faire (le métro de Laval, c'est rien!) et le pire c'est que sur le plan archéologique, eh bien on apprendra peut-être rien du tout.

Partout, les maisons poussent comme des champignons. Les villes gagnent du terrain sur les champs quotidiennement. Le Caire est un dédale de nouvelles rues aux édifices déjà délabrés.

Il y a deux chaînes de télé qui ont émergé depuis la fin du mois de janvier. Sans doute plusieurs journaux aussi. Les gens tentent de profiter de leur nouvelle limité d'expression. Je comparerais leur situation à quelqu'un qui est passé d'Internet par téléphone à un modem 56k alors que ses voisins peuvent télécharger des films entiers en quelques minutes.

N'empêche, il ne faut pas être trop dur. C'est un peu con de dire que le renversement de Moubarak fut une révolution: allumez câlisse, il y a des tanks dans les rues, LES MILITAIRES SONT AU POUVOIR! Mais d'un autre côté, même si les Égyptien-ne-s ne savent pas trop ce qu'illes veulent et que la critique du système a été sublimée en partie par la critique d'une petite clique élitiste qui se servait du système[2], la révolte populaire, par son absence de grands leaders, par sa spontanéité et par son timing parfait, est un exellent exemple qui tend à démontrer que non, la foule, même quand elle est sous-éduquée, n'agit pas nécessairement comme une poule pas de tête.

Note sur la religion: la révolution égyptienne n'est peut-être pas religieuse, mais elle est cependant faite en grande partie par des gens très, très religieux, Coptes inclus. Les slogans sont teintés par la religion, le plus vaste regroupement révolutionnaire hebdomadaire se fait à la Prière du vendredi, et les leaders religieux (je parle bien du clergé et non des organismes politiques) ont joué un grand rôle - qu'il soit limité à son aspect social ou pas - dans la mobilisation.

De plus, comme je l'ai dit dans un autre billet, l'Égypte est vraiment très, très conservatrice sur le plan des moeurs religieuses. Seule l'élite du Caire - ça inclue la jeunesse dorée qui se tient dans les terrasses et les boîtes de nuit - semble échapper totalement à cette pression gigantesque. Une des seules différences incontestables entre avant et après la révolution, observée par des collègues, fut peut-être d'augmenter la liberté de cette petite élite. J'ai par exemple vu à quelques reprises des couples musulmans - avec femme voilée - se minoucher en public, ce qui est excessivement rare en Égypte. Apparemment, ce serait un gain de la révolution qui ne serait cependant pas en lien avec le départ de Moubarak. C'est une liberté qu'on a prise quand on en a vu l'opportunité.

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[1] C'est une grande avenue urbaine avec des statues de chaque côté.
[2] Ce genre de réaction ne peut que provoquer la répétition de la même histoire ad nauseam. Maintenant, j'entends presque quotidiennement des gens dire que les intellectuels s'affairent à inventer de nouvelles avenues, mais je ne le sens pas du tout sur le terrain. Je ne sens pas que les gens s'organisent. Selon moi, illes sont encore en mode "survie" et les nouvelles structures qui émergent, comme plusieurs syndicats, ne semblent pas être destinées à mener les gens vers l'émancipation totale et concrète, mais plutôt à établir une culture de contestation. La révolution, selon moi, ne se dirige donc pas vers un renouveau du pouvoir, mais plutôt vers l'apparition de l'opposition.

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