Je dois avouer que cette nouvelle me rend assez confus. Des « anarchistes » servant dans l'armée américaine auraient assassiné un jeune homme et son amoureuse après que celui-ci ait apparemment pris la décision de quitter leur groupe de « milice ».
Leur projet risquant d'être éventé? Faire sauter un barrage, empoisonner l'industrie de la pomiculture et assassiner Obama. Ils avaient déjà, paraît-il, acheté pour plus de 80 000$ de matériel, notamment des armes à feu automatiques, dans l'objectif de servir leur sombre dessein.
Leur nom: le F.E.A.R., « Forever Enduring Always Ready ».
J'ai trouvé assez peu de signes rattachant les quatre militaires à l'anarchisme. Les médias intéressés à l'histoire, essentiellement anglophones, parlent cependant unanimement d'anarchistes. La preuve évoquée: les tatouages rappelant le « symbole de l'anarchie [1]». Je n'ai toujours pas trouvé de photos l'attestant, toutefois. Si vous en trouvez, prières de diffuser.
Par ailleurs, leurs plans d'attaques visant le gouvernement et la déstabilisation de l'industrie devaient permettre de « redonner le gouvernement au peuple », car, selon un des membres du groupe, « le gouvernement a besoin de changements ». Voilà pourquoi ils souhaitaient renverser ce gouvernement (le terme utilisé ici en anglais est overthrow).
Les informations sont fragmentaires dans tous les articles jusqu'à maintenant rapportés. Cela dit, l'interrogatoire d'un des membres du groupe (Michael Burnett), qui a témoigné contre ses ex-compères, est particulièrement étrange. Un court vidéo est disponible ici. Tout d'abord, notons que le militaire accusé apparaît en tenue militaire, drapeau américain à l'épaule. Un accident? Peut-être. Toutefois, alors que l'officier de justice lui demande si son groupe visait à déclencher une révolution, Burnett a acquiescé avant d'ajouter : « patriotism ». Il aurait aussi été mis en contact avec ce que son camarade appelait le « Book about true patriots ». Le même individu utilisait un article de revue sur un jeu vidéo évoquant la prise de pouvoir, aux États-Unis, des forces armées. C'est le patriotisme et le rêve de faire un putsch militaire qui motivait ces anarchistes? Ah bon.
Le recruteur du groupe, Isaac Aguigui, et qui semblait en quelque sorte le leader de la milice, est un personnage sinistre. Après la mort suspecte (selon certains médias) de sa femme, qui était alors enceinte, il utilise les fonds de l'assurance-vie (500 000$) afin de procurer des armes à son organisation. Ce serait peut-être également lui qui aurait ouvert le feu sur Roarke (récemment sorti de l'armée) et sur l'amoureuse de celui-ci. Crime hideux s'il en est, commis sans doute dans la peur que leur ancien camarade ne se livre à la délation.
Il y a quelque chose de troublant dans le passé de Aguigui: il aurait été membre actif du Parti Républicain. Il aurait entre autres servi de « page » à la Convention républicaine de 2008, bien que l'identité du page partageant le même nom et les mêmes traits de visage que l'assassin n'ait pas encore été confirmée. Il aurait aussi représenté l'État de Washington dans le cadre d'une activité nommée « American Legion Boys Nation », un genre de simulation de session parlementaire. Ce programme est porteur d'un projet profondément nationaliste.
Au moment du double-assassinat, Aguigui était-il toujours membre du Parti Républicain? Avait-il gardé des convictions conservatrices[2]?
Il est pertinent de rappeler, en tout cas, que l'une des principales caractéristiques des anarchistes est l'antinationalisme et l'antipatriotisme. Le libellé de l'accusation peut affirmer ce qu'il veut, ce ne sont pas les idéaux de Kropotkine, de Bakounine, d'Élisée Reclus, de Stirner, de Lhermina et compagnie qui ont inspiré les assassinats et la conspiration. Le nom même de F.E.A.R. ne sonne pas très anarchiste. A-t-on affaire ici, plutôt, à une dénomination générale de la part des procureurs? Comme quoi toute attaque visant à instaurer un climat d'instabilité serait un attentat anarchiste? Par ailleurs, il est possible que l'association de l'anarchisme et du F.E.A.R. serait née d'une appréciation fictive de l'anarchisme. C'est-à-dire, en termes compréhensibles: les membres de la milice auraient voulu avoir l'air badass, alors il auraient adopté un nom épeurant et des tatous à la symbolique féroce... de réputation[3].
Il faut aussi mentionner que HateWatch, qui se spécialise dans la surveillance des organisations d'extrême-droite et qui a commenté rapidement le drame, ne fait pas le rapprochement entre anarchisme et tatouage « ressemblant au symbole de l'anarchie ». Ce rapprochement semble tirer ses origines de l'ignorance de procureurs ou de leur terminologie confuse, reprise ensuite par les médias.
Le vaste complot imaginé par les membres du F.E.A.R. ne devrait pas non plus éclipser les véritables victimes (connues et confirmées) des militaires arrêtés : Michael Roark et sa partenaire, Tiffany York, âgée seulement de 17 ans. Obama est bien vivant, lui, qu'il ait été visé ou non par des plan chimériques.
Ajout: Anne Archet remarque, dans un commentaire ci-dessous, que le plan du FEAR pourrait avoir un lien avec le célèbre roman d'extrême-droite, The Turner Diaries, qui a joué un rôle dans l'inspiration de plusieurs attentats antérieurs. The Turner Diaries raconte et glorifie l'histoire de suprémacistes blancs qui, après avoir déclenché une révolution raciste et commis plusieurs attentats contre un gouvernement de gauche, participent à une guerre nucléaire qui anéantit les trois-quarts de la planète. Les similitudes sont importantes entre le projet du FEAR et le roman, mais j'attends de nouvelles informations avant de faire une connexion directe.
______________
[1] « He [Isaac Aguigui] used the Army to recruit militia members, who wore distinctive tattoos that resemble an anarchy symbol » Source.
[2]«"When Obama outlined his health-care plan, 17-year-old Isaac Aguigui of Cashmere said, 'That makes absolutely no
sense.' "» Source.
[3] Bien plus question ici, finalement, de Sons of Anarchy que de Chomsky.
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Je suis loin d'être une experte en la martière, mais ça sonne comme une milice d'extrême droite formée des têtes brûlées qui ont trop lu les Turner Diaries.
RépondreSupprimerWilliam L. Pierce... Je l'avais oublié, celui-là.
RépondreSupprimerEn effet, il y a d'importantes similitudes. Le roman propagandiste propose le même type de destruction à grande échelle et d'attaques anti-système.
Merci pour le rappel.
D'ailleurs, plusieurs observateurs/trices et blogueurs/euses anglophones font l'association. Je vais ajouter une mention dans une mise à jour subséquente de l'article.
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