mercredi 3 juillet 2013

Pourquoi je déteste certaines émissions historiques à Radio-Canada.

Au risque de paraître snob et d'en choquer plusieurs, je dois avouer que j'évite généralement les émissions de radio traitant spécifiquement de sujets historiques et anthropologiques au Québec. Plus particulièrement, j'évite les émissions de Serge Bouchard: ce n'est pas un secret, je l'ai dit il y a plusieurs mois. J'avais promis de consacrer un billet sur le sujet - on me l'a par la suite rappelé à plusieurs reprises. Comme il est malheureusement difficile de naviguer à travers les sources radiophoniques, je n'ai pas encore pu produire de recherche exhaustive. En revanche, à l'aide de plusieurs exemples et d'une comparaison avec d'autres types de podcasts, je souhaite pouvoir montrer les failles importantes dans la réalisation de ces émissions radio-canadiennes.

Le mythe de l'historien et du vieux sage au Québec

Nous avons, au Québec, une indécrottable tendance à détester les intellectuel-le-s, et de leur préférer quelques figures de grands sages âgés. Parmi eux, bien entendu, quelques historiens et anthropologues (et quelquefois sociologues) ont une place de choix, mais ils ne sont pas seuls. Pensons seulement à Jacques Languirand et Hubert Reeves, dont la crédibilité dépasse largement leurs sphères de compétences. Ils sont philosophes, observateurs, analystes, des hommes érudits qui sont écoutés quand ils sonnent l'alarme sur un phénomène inquiétant. Ils peuvent dire n'importe quelle connerie, les gens les écoutent avec un air imbécile et rempli d'admiration béate.

Il me semble parfois qu'on fait assez peu de place, ici, à d'autres personnes que ce type de sages à la science infuse et à l'expérience centenaire. Ce que nous appelons souvent (et peut-être à tort) l'élite intellectuelle, au Québec, est une gérontocratie masculine. Personne n'est écouté de la même façon que ceux-là, personne ne peut se donner le droit de dire comme eux des monologues de plusieurs heures à la radio et de renouveler l'expérience à chaque semaine (mis à part les animateurs de la radio-poubelle). Et l'avenir ne promet pas de changements brusques. Serge Bouchard et André Champagne seront assurément un jour remplacés par Mathieu Bock-Côté, Éric Bédard et compagnie. Sans surprise, et malgré l'abondance de femmes sociologues et d'historiennes d'un grand talent, c'est le même type d'hommes bien conformes et souvent conservateurs qui formeront les bases de l'establishment. Les femmes de radio sont plutôt reléguées au rôle d'intervieweuses - elles ont du pouvoir mais pas d'autorité. Elles posent des questions mais ne possèdent pas de réponses.

En bref: pas de place, à la radio, pour l'histoire culturelle et sociale, ni pour les femmes « sages », ni vraiment pour les idées jeunes.

Serge Bouchard et l'histoire à Radio-Can

Serge Bouchard fait partie du groupe d'hommes à la crédibilité immortelle. Loin des chantiers de recherche et des laboratoires, loin du terrain, il peut se permettre de déballer l'histoire de ce que lui et ses recherchistes jugent important. Il est extrêmement rare que son émission soit motivée par la publication récente d'études - ou quand ça arrive, il le mentionne peu ou pas - et il est impossible de savoir si son émission n'est que le pâle résumé d'une seule source: la plupart du temps, il ne fait que parler d'un sujet sans s'arrêter, ne donnant la parole à presque personne. Dans «les Remarquables oublié-e-s», les invité-e-s sont rares, les citations d'auteur-e-s aussi. Il faut souvent se fier à la seule autorité de Serge Bouchard, à son savoir encyclopédique et surtout à ses choix parfois douteux en matière de références. Le fait est: Bouchard ne sait pas tout. On ne peut être spécialiste (et c'est le cas en histoire comme ailleurs) de tous les personnages, de tous les thèmes. Bouchard en donne pourtant l'impression.

Mais quand on est payé-e grassement, quand on a une équipe de recherchistes avec nous, il est essentiel de lire beaucoup, et surtout de lire des articles et livres diversifiés. Or, dans les bibliographies fournies sur le site de les Remarquables Oubliés, non seulement on rencontre un nombre anormalement élevé de trucs écrits par Denis Vaugeois, mais la plupart des références sont datées ou de mauvaise qualité. Plusieurs liens sont maintenant brisés (ce ne serait pas le cas si les sites vers lesquels menaient les liens étaient scientifiques) et se limitent à des synthèses minables, parfois produites par des non-scientifiques souvent très biaisé-e-s[1]. Ce genre de bibliographies, dont les références sont d'ailleurs souvent partielles (pas de nombre de pages, souvent pas de date de publication, ou pas de nom d'édition) n'est même pas digne d'un travail de première année de cégep.

Prenons l'exemple de Sacajawea. N'importe quel-le chercheur-e en histoire, si on lui donnait le mandat de faire une recherche rapide sur elle, aurait le réflexe de consulter immédiatement deux moteurs de recherche: celui de sa bibliothèque universitaire et un autre, plus direct, menant vers des articles numérisés et disponibles en ligne. En quelques minutes, on peut donc trouver des dizaines de titres. Par exemple, avec Jstor et le site de la bibliothèque de l'UQAM. On peut se rendre compte qu'il s'est écrit des choses bien plus récentes sur Sacajawea et son contexte que les livres de Denfenbach (1929) et de Herbard (1933).  J'en profite pour vous faire remarquer que le nombre incroyable de références montre assez bien que Sacajawea ne fait pas partie des « oubliées » dans la tête de tout le monde, ni Jeanne Mance, à laquelle Serge Bouchard consacre aussi une émission (apparemment un collage de résumés de deux ou trois livres, comme les autres).

Serge Bouchard ne joue pas le rôle qu'il se donne dans cette émission, celui d'une espèce de justicier de l'histoire qui en montre « l'envers ». Il fait comme on a toujours fait pour soi-disant élever le public à l'amour de la Nation: des biographies clinquantes et criardes d'aventuriers/ères, avec en prime un générique tout droit sorti d'un film de Ridley Scott. Ça fait des années que les historien-ne-s ne font plus ça. L'art de la biographie lui-même ne correspond plus à cela. Vouloir nous faire connaître tous et toutes les héros et héroïnes de la colonisation, d'Étienne Brûlé à Marie-Josèphe-Angélique, c'était à la mode dans les manuels scolaires... des années cinquante, dans lesquels on passait plus de pages à montrer les exploits formidables de Dollar-des-Ormeaux que de parler de l'industrialisation ou de mouvements migratoires. C'était des biographies idéalisées, peu critiques, peu analytiques. C'est exactement ce que Serge Bouchard fait dans son émission.

On me dira que c'est une émission de vulgarisation, et que je devrais peut-être faire preuve de compréhension. Mais le fait est: quand on vulgarise la science, ce n'est généralement avec une métho vieille de soixante ans. Les journalistes scientifiques qui essaient d'expliquer l'atome à des non-initié-e-s ne vont en général pas se limiter au modèle de Thomson. Pourquoi? Parce que nous n'en sommes plus là et que tout le monde parle du boson de Higgs depuis des mois. Pourquoi devrait-on tolérer, en sciences sociales, que les vulgarisateurs/trices, de un, passent outre le travail récent des chercheurs/res, mais en plus, accaparent personnellement autant d'attention, se présentant presque comme les seul-e-s interlocuteurs/trices fiables avec qui parler d'anthropo, d'histoire et de socio?

L'autre principale émission de Bouchard, «Les Chemins de travers», m'énerve encore plus, malgré l'absence de plate biographie cette fois. Il passe une heure entière à parler tout seul avant d'interroger finalement des invité-e-s, parfois assez mal choisi-e-s en deuxième heure. Dans son émission sur «le scotch, whisky et cie», à cours d'inspiration musicale - peut-être que les recherchistes devraient fouiller davantage! - il a même eu le front de faire jouer «la Tribu de Dana» et de se plaindre, plus tard, qu'on « ne donne pas assez d'importance à la traite des fourrures dans l'histoire du Canada ».

Sans commentaires.

Les autres

Les autres émissions de radio traitant d'histoire, à la Première Chaîne, sont à peine mieux, excluant les documentaires, qui sont souvent bien réalisés.  «C'est une autre histoire» est aussi nettement supérieure aux autres: Jean-François Nadeau ne fait pas semblant d'être LE spécialiste, il pose des questions à ses invité-e-s, qui sont présenté-e-s comme les interlocuteurs/trices crédibles et qui sont souvent les auteur-e-s des ouvrages dont Serge Bouchard, ailleurs, ne ferait que «s'inspirer».

En revanche, Histoires d'objets est une vraie blague qui traite plus de faits divers que de l'histoire matérielle. C'est tout à fait adapté à la tangente de divertissement que semble prendre SRC depuis un bout de temps[2]. Par ailleurs, la présentation de l'émission, sur le site web, est ridicule. En voici un exemple:

«Un historien dit tout sur la monnaie de carte. »

Ah ouais? Quel historien?

«Un criminologue parle de l'énorme marché des cartes de crédit volées.»

Quel criminoloooooogue?

 L'émission ne manque pourtant pas de nommer les reporters, et toutes leurs activités ludiques:

«Marie-Michèle Giguère suit un cours d'orienteering, un sport très en vogue dans plusieurs parties du monde. Le but : gagner une course en pleine forêt armé simplement d'une boussole et d'une carte géographique.»

Note aux lecteurs/trices intéressé-e-s: quand tu fais une émission de radio, tu nommes tes invité-e-s sur ton site web.

Quant à la première de «C'est toujours la même histoire», ce fut relativement décevant. On a invité les mêmes historiens que d'hab, et on a traité du sujet avec une totale absence de profondeur. Peut-être cependant que ça peut s'améliorer.

Ailleurs

Il y a des podcasts d'historien-ne-s partout dans le monde, mais il est facile de comparer les émissions de SRC avec «Le Salon Noir», «La Fabrique de l'histoire» et «Les lundis de l'histoire» à France Culture.  Une émission plus vulgarisée est également diffusée à France Inter. Dans tous les cas, l'accent est mis sur l'invité-e, même quand l'animateur (c'est généralement un homme) est un monument vivant comme Jacques le Goff. Même quand le sujet touche directement à l'époque étudiée par l'animateur. Les sujets d'émissions touchent aux recherches actuelles. Les interlocuteurs/trices (et des femmes invitées, il y en a beaucoup cette fois) sont des spécialistes du sujet traité. Toujours. On peut penser que cela peut amener des complications: en effet, ne parler que de recherches actuelles suppose qu'on limite le nombre de thématiques. Pourtant, les émissions susnommées traitent de toutes les époques, de toutes les régions du monde. On n'y retrouve pas la même étroitesse d'esprit qu'à Radio-Can, où l'accent est mis presque uniquement sur l'histoire du Québec/Canada.

Avec le nombre de profs d'histoire, au Québec, et de thésards/ardes provenant de tous les champs, il serait possible de nous payer des émissions d'histoire rigoureuses, intéressantes et au contenu diversifié, qui ne mettent pas en vedette qu'un seul et unique vieux raconteur adoptant toujours la même et plate approche.

_________________

[1] Dont un lien par exemple vers nul autre que l'Autjournal!
[2] Message aux décideurs/euses de Radio-Can: vos niaiseries sont aussi divertissantes que des jokes de pets.

8 commentaires:

  1. Juste critique.

    Merci de me faire découvrir cette émission de France Culture.

    Quelques podcasts intéressants sur Québec: https://sites.google.com/site/capsulesradio/page-2

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  2. -« il a même eu le front de faire jouer «la Tribu de Dana» et de se plaindre, plus tard, qu'on « ne donne pas assez d'importance à la traite des fourrures dans l'histoire du Canada ».

    Lol.

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  3. "Pensons seulement à Jacques Languirand et Hubert Reeves, dont la crédibilité dépasse largement leurs sphères de compétences. Ils sont philosophes, observateurs, analystes, des hommes érudits qui sont écoutés quand ils sonnent l'alarme sur un phénomène inquiétant. Ils peuvent dire n'importe quelle connerie, les gens les écoutent avec un air imbécile et rempli d'admiration béate."

    Je place Jacquard et Chomsky dans la même catégorie.

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  4. Ça se peux-tu que leur batard de site 2000ans.com soit défectueux 90% du temps?

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  5. Il semble bien que beaucoup de podcasts (dont plusieurs semblent très, très intéressants) ne fonctionnent pas, effectivement. Sur mon ordi, quand je clique sur "play", ça fait "file not found".

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