Je viens de faire un peu de ménage dans mes documents et je suis tombé par hasard sur ce texte écrit alors que je commençais mon bacc, il y a quelques années, et que mes sympathies anarchistes étaient encore à l'état larvaire (autrement dit, j'étais encore au PQ). C'est tiré d'un courriel envoyé à un marxiste libertaire quelconque qui ne voyait pas d'intérêt dans l'indépendance. Le problème de cette argumentation, comme l'a intelligemment remarqué une de mes amies, est que je n'ai que peu d'exemples pour illustrer toute cette théorie pas très évidente. Mes conceptions de "nation" et de "peuple" ont également évolué depuis. Il va donc de soi que je ne suis plus d'accord avec ces quelques lignes.
Considérez ce texte comme une réponse à Anarcho-Pragmatiste, qui dans son dernier billet, nous renvoie à son antique essai: Vive la séparation du Québec.
***
Je soutiens l'indépendance pour plusieurs raisons qui répondraient peut-être à quelques-unes de vos interrogations - je ne prétends toutefois pas détenir la vérité, et je n'ai pas de certitudes profondes à cet égard.
Sociologiquement, anthropologiquement, historiquement, prenez les mots que vous voulez, le peuple québécois existe en tant qu'entité plus ou moins cohérente. Ce n'est hélas pas une illusion: les Québécois-e-s forment un groupe, une collectivité possédant une culture unifiée, même s'il y a des disparités régionales ou même individuelles (celles-ci sont relativement peu importantes en comparaison d'autres peuples[1]).
Et si on ne prend pas en considération les points de vue les plus anarchistes (que je partage aussi souvent), on peut reconnaître facilement l'importance pour un peuple de se gouverner lui-même, avec ses propres institutions qui répondent à ses besoins, et qui représentent au mieux la mentalité, l'espace moral et la culture en général du peuple en question.
Il est d'importance plus majeure encore qu'un organe de gouvernement absentéiste ne vienne pas prendre de décisions affectant directement la vie des membres de ce peuple. C'est ce que fait Ottawa, présentement, avec les peuples québécois, autochtones et canadiens-anglais. C'est ainsi parce que pour ne pas avoir trop recours à l'oppression, le gouvernement règne par COMPROMIS; il rend donc insatisfaite l'entière population. Dans ce cas précis, il ne peut donc exister de véritable démocratie. Les minorités seront toujours écrasées ou assimilées, même au sein d'un régime centralisé et utopique: la simple différence de culture des différents peuples peut faire d'une loi utile ici une loi répressive ailleurs. Au-delà de la culture, les disparités dans le climat, la densité de la population et d'autres facteurs de ce genre peuvent rendre impossible la gestion d'un État trop diversifié et trop étendu.
De plus, la vassalisation du groupe québécois à la fédération canadienne en fait implicitement un sous-groupe qui ne peut traiter d'égal à égal avec les autres groupes. Il en résulte des informations fausses sur notre situation, des informations colportées partout et qui peuvent devenir des dangers. Par exemple, notre appartenance au Canada (favorable aux politiques belliqueuses) nous expose à des attaques de la part de groupes terroristes, malgré le fait que nous ne l'ayons pas cherché. Éventuellement, des sanctions imposées au Canada peuvent nous affecter également dans des situations anodines, comme dans l'histoire de la vache folle et du bois-d'oeuvre. Tout ça parce que nous ne sommes pas perçu-e-s comme une entité indépendante.
Je pourrais aussi rajouter à ces arguments très prudents la mauvaise couverture médiatique que subit le Québec à travers le monde sans possibilité de contre-attaque. Si les bombes des Basques paraissent aux yeux des étrangers-ères comme des actes de liberté, les lois linguistiques du Québec sont des décrets racistes et dignes d'Hitler.
Il y a aussi l'oppression qu'a subi le Québec par le passé et qui semble encore avoir des effets négatifs sur ses politiques publiques. Au moindre nouveau "trouble" politique, il est à craindre que de nouvelles mesures soient prises contre les citoyen-ne-s par la décision unilatérale de dirigeant-e-s qui, pour maintenir la stabilité, préfèrent présentement adopter une attitude conciliante. Ce ne serait pas le cas dans un Québec souverain, où l'oppression policière pourrait perdurer, mais pas la peur des french separatists, qui justifie souvent des violations de domiciles par les forces policières, par exemple.
Maintenant, pour ce qui est de l'appartenance au monde des travailleurs et travailleuses, j'applaudis[2]. Mais appartenir à un monde de travailleurs et travailleuses, ça ne signifie pas que tous et toutes habitent dans un même pays avec un seul gouvernement central qui fait des routes de la même largeur partout. Ils et elles peuvent s'entraider malgré les différences de langue, de culture, de religion... et de pays.
Je crois finalement que la situation présente condamne le combat pour une meilleure liberté (la vraie, pas la liberté de commerce) et une émancipation des citoyen-ne-s du Québec et du Canada. Comme c'est le compromis qui règle la donne et que les pouvoirs constitutionnels sont divisés, c'est un tiers parti qui commande réellement: le milieu des affaires (dixit: les bourgeois-e-s[3])! Il bénéficie royalement des déchirements et du manque d'autogouvernance des peuples d'Amérique du Nord. Puisque l'intérêt des collectivités citoyennes ne peut plus être directement pris en considération, c'est le poids du gros capital qui fait pencher la balance. Ce n'est pas pour rien que le milieu des affaires du Québec est presque entièrement fédéraliste, et que les partis fédéralistes sont systématiquement les plus à droite. L'indépendance du Québec permettrait aux collectivités de se réorganiser et de ravir le pouvoir aux grandes entreprises - si elles en ont la volonté. Ce ne sera jamais le cas dans un Canada uni, puisqu'il n'existe virtuellement pas de consensus au sein des peuples tant qu'ils ne sont pas autogérés[4].
Aussi, j'ai des raisons de penser que l'indépendance du Québec est un préalable à une révolution sociale. Et puis il faut bien l'admettre, la frontière de la langue nous isole en isolant une grande majorité de la population, même si elle n'isole pas nécessairement les militant-e-s.
Sinon, je n'ai rien à foutre de la Nation québécoise. J'ai à foutre, par contre, de la Nation canadienne: elle me fait peur. Le Canada, c'est encore presque cool quand ses citoyen-ne-s savent pas trop qui ils/elles sont. Attendez que le Canada anglais se reforge un nationalisme concret, nous allons passer un très mauvais quart d'heure.
__________
[1] "celles-ci" renvoie à "disparités régionales", et non "individuelles". Bien entendu, je n'étais pas assez con pour croire que les disparités individuelles sont moins grandes au Québec qu'ailleurs dans le monde. C'était une erreur de syntaxe.
[2] On m'objectait en effet que le but du socialisme, soit la collaboration entre travailleurs/euses de tous les pays, rendait futiles tous les débats sur l'identité nationale, et que la séparation entraînerait la division et l'éclatement de la classe ouvrière canadienne, qui devait s'identifier au monde des travailleurs/euses plutôt qu'au monde des Québécois-es.
[3] Adoption d'un champ lexical marxiste pour plaire à mon interlocuteur.
[4] Je ne suis pas certain de ce que j'ai voulu dire, mais ça m'apparaît douteux.
jeudi 11 décembre 2008
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Très intéressant! Merci!
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