mardi 15 février 2011

laïcité et tradition.

Je souhaite avec ce billet réagir au texte de Renart Léveillé et à un débat d'actualité.

J'ai peut-être une position atypique chez les progressistes en général: je ne suis en effet pas en faveur du retrait du crucifix de l'Assemblée nationale. Je ne suis pas non plus contre parce qu'en fait, je m'en fiche complètement.

Je pense que beaucoup de gens se sentent touchés par le sujet parce qu'ils sont attachés aux institutions parlementaires québécoises. Ils se sentent représentés par leur démocratie et par leur État: ils ne veulent donc pas que l'Assemblée Nationale soit peuplée de symboles faisant référence à des valeurs avec lesquelles ils ne se sentent pas confortables. Si vous êtes vraiment futé-e-s, vous avez déjà compris, dans la première phrase de ce paragraphe, le propos essentiel du texte.

Parce qu'au fond, les gens qui exigent la disparition des signes religieux dans le Salon sont encore des traditionalistes: le parlementarisme, bourré de protocole idiot, lourd, inefficace, antidémocratique et con, c'est aussi une tradition. Renart ne passe pas loin de l'affirmer dans son texte en s'attaquant à l'esthétique: "le style de décoration pompeux qui prévaut à cette Assemblée pourrait bien disparaître pour laisser place à quelque chose de plus en phase avec notre époque." Mais il faut selon moi creuser encore plus profond.

Vouloir préserver ce système absurde me semble hasardeux et motivé par une pensée plus ou moins conservatrice. Il est normal que les député-e-s, les principaux/ales bénéficiaires de ce système (c'est lui qui les paie à gâcher notre vie), en viennent à ne rien vouloir changer. Mais les citoyen-ne-s ordinaires, qui sont victimes plutôt que participant-e-s à l'exercice de la démocratie parlementaire ne devraient pas l'encourager. Je me souviens de mon grand-père qui disait soigner son ulcère avec un p'tit coup de gin, alors que c'était justement l'alcool qui lui incendiait l'estomac. Les citoyen-ne-s qui soutiennent ce système sont un peu semblables. Or, le conservatisme, c'est souvent quand on s'obstine par habitude à faire quelque chose qui est contre son intérêt.

Je ne me considère pas comme un vrai réformiste[1], mais cela ne m'empêche pas de me réjouir de voir survenir des réformes favorables au quotidien. En revanche, je ne sais pas ce que le fait de décrocher le crucifix d'un quelconque mur m'amène. On pourrait tenir un grand discours sur l'importance de l'imaginaire: comme quoi la présence du Christ en chambre augmenterait la schizophrénie de plusieurs en les encourageant dans leur délire[2], qu'une victoire symbolique sur le symbolisme détruit le symbole, ou que sais-je. Ça se tiendrait tout à fait, mais j'aimerais pour le moment en rester à l'essentiel: un crucifix, ça se mange-tu?

Je travaille quotidiennement avec des symboles religieux. Sur mon mur, j'ai un calendrier maya et plusieurs affiches avec le logo d'une association d'études consistant en une sorte de sphinx assyrien. Ce sont des symboles religieux, mais j'en ai rien à foutre. Même que j'ai un cierge de Jésus, une statuette de Bienheureuse Mère Marie-Anne Blondin et que c'est pire sur mon frigo, qui est couvert de trucs religieux que je rapporte du métro, et dont la star était auparavant un Jésus mormon avec une cape de superhéros semblant recevoir une fellation d'un disciple. Mais j'en ai rien à foutre parce que ces objets-là ont perdu jusqu'à leur substance spirituelle.

De même, le crucifix m'indiffère: il ne me choque pas davantage que les pyramides d'Égypte choquent les Cairotes (et pourtant ce sont des symboles religieux)[3]. Ça fait partie d'un passé révolu.

Et je comprends que l'Assemblée Nationale n'est pas un musée, mais j'attends avec impatience le jour où on le videra pour en faire un. On pourrait aussi réserver une coup' de bureaux pour en faire un centre de distribution de chaussures usagées.

_______

[1] Ni comme un vrai révolutionnaire, c'est-à-dire son opposé.

[2] Genre, il se trouve que ces gens-là parleraient à Jésus dans leurs rêves, et que pof, quand ils arrivent au bureau il est devant leurs yeux et il leur fait un grand signe de la main.
[3]À la limite, ça fait même un peu Giacommeti: je pense peut-être un jour m'en procurer un pour le pendre au-dessus d'une porte de salle de bain, tiens ce serait joli.


Annexe 1


Pour en finir avec la tradition

Je hais la plupart des traditions. Je me suis attaqué à l'une d'entre elles (la condamnation de l'adultère) dans un de mes textes précédents. Le même schéma de pensée s'applique pour à peu près toutes les traditions:

Question 1: Pourquoi agit-on ainsi?
Rép. 1: Parce qu'on agit ainsi depuis 1814.

Question 2: Pourquoi agissait-on ainsi en 1814?
Rép. 2:
- parce que c'était avantageux à l'époque;
- parce que c'était cool et à la mode;
- parce que quelqu'un l'a décidé ainsi pour se donner de l'importance, même si c'est pas rationnel.

Question 3: Est-ce que ces conditions tiennent encore aujourd'hui?
Rép. 3: seulement la condition 3, mais le dude en question a crevé il y a plus d'un siècle.

Conclusion:
OUI au sirop d'érable et à la tisane à la camomille.
NON au mariage.

Un réexamen plus ou moins semblable devrait selon moi être subi par toutes les traditions quotidiennement.

3 commentaires:

  1. Tu as bien lu entre les lignes de mon billet. Je foutrais tout ce système par terre pour tout recommencer, mais il faut bien commencer quelque part...

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  2. J'aime tellement ton annexe!

    Pour ce qui est du crucifix à l'Assemblée nationale, je me retrouve à mi-chemin entre la position de Louise Beaudoin (qui dit que les catholiques ne devraient pas être les seuls à renoncer à leurs symboles religieux au nom de la laïcité) et celle de Françoise David qui demande le retrait pur et simple.

    Sinon, je comprends tout à fait ta position et j'y adhère jusqu'à un certain point car on le sait, mon coeur et ma tête s'obstinent encore sur ces questions. Mais je suis très sympathique à l'argumentaire anarchiste. :)

    Pour revenir à ton annexe, je trouve ça intéressant que tu aies choisi l'adultère comme exemple parce que j'en parlais récemment avec une amie. Elle se fâchait quand elle parlait à d'autres gens qui prônaient la fidélité à tout prix sans autre argument que : "Ben là, parce que c'est de même."

    Souvent, les gens ne s'arrêtent pas à réfléchir un tant soi peu sur ce qu'ils prônent. C'est désolant et c'est peut-être pour ça que tout va si mal. Les convictions, à tous les niveaux, sont des choses qui se perdent.

    Toujours un plaisir de lire votre plume soit dit en passant. :)

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  3. Renart: moi, je recommencerais de zéro.

    Noisette: position intéressante de Louise Beaudoin en effet. Et ma plume te remercie de la lire.

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