Je voudrais commencer ce billet par un avertissement: faites bien attention à la manière avec laquelle vous comprendrez ce billet. Navré aussi de ne pas ajouter de notes de bas de page pour renvoyer à plein de références scientifiques.
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Rien ne nous prouve hors de tout doute que les relations hommes-femmes, dans toutes les sociétés dites primitives, penchaient nettement en faveur des hommes. Plusieurs anthropologues et historien-ne-s se ont étudié la question. Mais il y a déjà plusieurs siècles, le premier regard des Français nouvellement arrivés au Canada permit de constater que les femmes autochtones avaient un grand pouvoir sur leur propre destinée, pouvant coucher avec qui elles le souhaitaient et abordant la question du divorce avec une liberté qui ferait pâlir d'envie les trois-quarts des femmes mal prises du globe.
Apparemment, la tyrannie de l'homme sur la femme s'installe dès les premiers signes, dans une société, de l'arrivée d'un système complexe et hiérarchisé. Cette domination, selon moi, est directement liée à la masse musculaire et au profit que les hommes ont pu tirer de la division genrée des tâches. Dans des exceptions qui ne nous intéresseront pas dans ce billet, la religion, ennemie séculaire de la condition de la femme, lui a paradoxalement permis de garder un statut imposant par le biais d'idéologie spirituelle mettant l'accent sur la force de la fertilité féminine.
Les conservateurs/trices ont raison sur un point: il y a presque toujours eu des rôles genrés à travers l'histoire, et ce même dans les sociétés les plus "primitives". En revanche, ils/elles ont complètement tort quand ils/elles affirment que ces rôles sont naturels: puisque ce ne furent jamais les mêmes! Par exemple, chez plusieurs peuples d'Afrique centrale, les femmes furent pendant longtemps les principales pourvoyeuses en nourriture. Idem pour les nations semi-sédentaires de langue iroquoise. Les seuls rôles qui ne changent presque pas, c'est celui de la guerre pour l'homme, et l'éducation des enfants en bas âge pour la femme. Inutile de dire que ces rôles perdent leur sens en temps de paix, c'est-à-dire presque toujours.
Cette distribution, qui dans le contexte actuel est absolument ridicule, n'était pas nécessairement un signe de la domination absolue de l'homme sur la femme: pour reprendre mon exemple préféré, chez les Iroquois, c'était les hommes qui se battaient mais les femmes qui décidaient d'entrer en guerre.
De la même manière, l'absence de réciprocité dans la fidélité n'était pas nécessairement un signe de la domination totale de l'homme sur la femme. J'explique ce que j'entends par absence de réciprocité: c'est le fait de punir seulement l'adultère de la femme. En ce qui concerne les premières sociétés, cette pratique est on-ne-peut-plus logique: en effet, l'adultère de l'homme ne réduit pas de facto le pouvoir de reproduction de la femme, c'est-à-dire que même si l'homme peut aller voir ailleurs, sa femme légitime pouvait toujours tomber enceinte de lui à tout moment. L'inverse n'est pas vrai. L'infidélité féminine réduisait le pouvoir de reproduction de son époux légitime: si l'adultère était suffisamment fréquent, le mâle pouvait même se retrouver à élever plusieurs enfants dont il n'était pas le géniteur. Ajoutons à ça le nombre élevé de morts en couches[1].
Bref, sur le plan strictement reproductif et biologique, l'infidélité masculine avait autrefois moins de conséquences sur la transmission des gènes de sa propre femme que l'inverse. Il est aussi possible que le compromis de non-réciprocité ait été arraché aux femmes à l'intérieur de sociétés qui n'étaient que légèrement machistes.
L'évolution des sociétés devait gêner davantage la liberté sexuelle des femmes, au gré du pouvoir (sans doute) grandissant de l'homme. En Grèce antique, une femme ne peut pas empêcher son époux d'aller voir une maîtresse: la seule faute de l'homme pouvant justifier un divorce est le fait de faire entrer la maîtresse à de nombreuses reprises dans la maison conjugale, et/ou le fait de ne plus entretenir l'épouse légitime afin de payer des caprices à l'amante.
L'autre obstacle à l'infidélité féminine est paradoxalement une mesure égalitaire (entre hommes) et non généralisée arrachée sans doute après des millénaires de violence et de domination des (hommes) forts sur les faibles: la monogamie. À ce propos, plusieurs sociobiologistes croient dur comme fer que les humains sont naturellement monogames[2]. Possible, mais le fait est que la polygamie et le cocufiage sont trop répandus pour que l'ambition compétitive des individus n'ait pas à de nombreuses reprises défié ce qu'on appelle de manière erronée et biaisée la nature humaine.
En général, la fidélité féminine résiste comme valeur centrale tout d'abord parce que la femme est l'esclave du mode de reproduction, ensuite par nécessité de survie - l'homme devient l'unique pourvoyeur - et finalement, avec l'arrivée des femmes sur le marché du travail, en raison du statut social d'un couple.
La situation reste sensiblement la même à travers les époques, en bref: l'homme peut courir les jupons et la femme doit rester sage. On peut penser qu'avec l'arrivée du féminisme, cette fidélité aurait dû tomber immédiatement comme un vieux rideau souillé: or le hasard fit qu'une majorité de femmes exigèrent plutôt de leur compagnon que celui-ci restât également fidèle.
Empêcher les femmes d'aller voir ailleurs pour protéger son patrimoine génétique, c'était pitoyable[3], mais logique; les restreindre pour conserver la paix sociale et l'ordre familial, c'était compréhensible en admettant que c'était une solution brutale née dans un monde brutal; mais conserver ces contraintes dans la société actuelle[4], avec la contraception, la haute espérance de vie et l'éclatement des familles, ça ne répond à aucune nécessité. Conserver les mêmes standards dans une société postcapitaliste (dans le sens où on va avoir évacué l'ancien monde par les chiottes) serait également complètement dénué de logique. Voilà pourquoi les vieilles règles sont nulles.
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[1] Lire Histoire de l'adultère, de Bonnet et Tocqueville. Geoffrey Miller a aussi tenté de parler des conséquences évolutives de l'adultère, mais je vous conseille de ne pas boire en même temps que de lire son livre: vous risquez de vous étouffer.
[2] Pour une critique constructive des sociobiologistes, je vous conseille fortement le livre de Daniel Lord Smail, On Deep History of the Brain. Mise à jour: voilà un article intéressant sur l'histoire du couple.
[3] De mon point de vue, les gens qui ressentent aujourd'hui une forte volonté d'autoreproduction sont mûrs pour une thérapie. C'est plus de la connerie pure qu'une inclination naturelle et biologique. Même chose pour la jalousie, quoique ce soit peut-être un peu moins stupide si elle naît d'une sensation d'abandon et de carence plutôt que d'une volonté de contrôle.
[4] Elle est tout de même restée brutale.
mardi 10 août 2010
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Un de tes meilleurs! Chapeau!
RépondreSupprimerCependant, aujourd'hui les femmes "trompent" (sic) aussi souvent que les hommes, mais c'est plus tabou pour les femmes.
Intéressant, bien que j'ai dû le lire deux fois.
RépondreSupprimerMais quand tu parles des «vieilles règles», tu cibles quoi en particulier?
Je pense que l'on peut concevoir ques des personnes choisissent de vivre en couple et décident de ne pas aller voir ailleurs.
Mais bien que je ne crois pas aux couples ouverts, ça me semble préférable aux couples soi-disant fermés, mais où l'un ou l'autre trompe sa ou son partenaire. C'est hypocrite en crisse.
Je ne suis pas contre le fait de vivre une relation amoureuse avec seulement une personne. Moi d'ailleurs, je suis en couple et je m'accommode du fait que ma blonde veuille qu'on vive ça à deux.
RépondreSupprimerJe trouve cependant que dans plusieurs cas, cette structure est faible et motivée par rien, sauf un inconfort social. Ce qui conduit en effet les membres d'un couple à se jouer dans le dos et à se mentir, souvent par peur et par jalousie.
Il y a pas mal de gens qui vivent une relation ouverte mais qui n'y sont pas prêts. Logique: les gens qui essaient de nouvelles affaires ont tendance à être... disons un peu plus flamboyant-e-s que la moyenne. Comparez leurs relations ouvertes avec leurs relations fermées: les unes et les autres sont la plupart du temps aussi foireuses.
Mais il y a vraiment des couples du genre qui fonctionnent très bien.
David: les femmes, je pense, ont toujours "trompé" énormément, mais je ne sais pas si le phénomène a pris de l'ampleur avec le féminisme.
RépondreSupprimerPardon, je devrais dire "l'amélioration de la condition des femmes". Je me rends compte que si ce que j'écris ne me choque pas du tout, plusieurs pourraient comprendre le contraire de ce que j'avance, genre "c'est à cause du féminisme si ma femme a un amant!"
RépondreSupprimerAucun problème avec ce que tu dis ici. Le vrai féminisme valorise les relations transparentes et le polyamour.
RépondreSupprimerÉvidemment, on ne parle pas du fémi-favoritisme ici...
""c'est à cause du féminisme si ma femme a un amant!" "
RépondreSupprimerEt même si c'était le cas, ne serait-ce pas une bonne chose, du point de vue du vrai féminisme?
Ça dépend des raisons qui pousse la femme en question à avoir un amant. Si elle va voir ailleurs parce que son conjoint est sans intérêt mais que pour une raison matérielle ou sociale, elle ne veut pas rompre, je pense pas que c'est un signe d'émancipation, surtout si elle lui ment ou lui cache cette autre union.
RépondreSupprimerCe qui est aussi dommage, c'est que ce schéma de jalousie/possessivité/exclusivité se reproduit partout ou il y a du sentiment amoureux: la relation-type se répand plus vite que le H1N1, polluant les couples homosexuels et les "best friends forever".
"Ça dépend des raisons qui pousse la femme en question à avoir un amant. Si elle va voir ailleurs parce que son conjoint est sans intérêt mais que pour une raison matérielle ou sociale, elle ne veut pas rompre, je pense pas que c'est un signe d'émancipation, surtout si elle lui ment ou lui cache cette autre union."
RépondreSupprimerOui, bien sûr! Mais si c'est fait sans se cacher, c'est une autre histoire.
Hey, lisez ça.
RépondreSupprimerhttp://www.ledevoir.com/societe/science-et-technologie/128255/l-entrevue-la-monogamie-plus-pratique
Je commenterai si j'ai le temps.