Je suis de retour depuis quelques jours déjà. J'ai vécu une expérience de l'Égypte complètement différente de la première. C'est sans doute dû à plusieurs facteurs: comme j'ai davantage vécu que voyagé là-bas, j'ai pu apprécier le pays au quotidien, sans la frénésie constante des déplacements. Tu parles à quelqu'un dans la rue ou dans un café et tu finis ta discussion par "à demain" et non par "inch'allah".
Tout le monde se foutait un peu de ma gueule avec mon semblant d'arabe classique: quand je disais ce que je croyais pouvoir traduire par "ça va?", ils semblaient comprendre quelque chose comme "Mais comment cela va-t-il mon cher ami?". Mes efforts ont été cependant fortement appréciés.
Travailler là-bas (pas payé - c'est comme ça que ça marche maintenant), aller à l'épicerie, croiser le même monde à chaque jour, aller souper chez une connaissance d'un tel a une signification totalement différente que de visiter des sites et souks exsangues qui sont organisés comme Disneyland. Et surtout, se les voir moins imposés, ne pas avoir à déserter, ne pas être systématiquement escorté: ça change de l'ordinaire.
Je ne sais pas si c'est parce que le pays change. Je pense que non. À l'extérieur du Caire, et cela même si des traces subsistent (ils ont éclaté les vitrines d'un centre des congrès à Louxor, messemble qu'y a eu des morts) on ne (nous) parle jamais de la révolution. Qu'à la télé, où c'est le sujet unique. Faut dire, auparavant il n'y en avait que pour Moubarak. Les journalistes ne sont pas habitué-e-s de parler des fleurs d'hibiscus et de la chatte de madame Farouk qu'a eu cinq chatons.
Les gens ont d'autres préoccupations. H... vient d'avoir un troisième marmot. Oui oui, de la femme qu'il n'aime pas, qu'il a mariée à 17 ans parce que ses parents, parce que la fortune de l'autre. Il adore ses enfants mais ressent clairement une vive amertume. J'en ai glissé un mot à A...: il m'a dit vlà pourquoi le mariage me dégoûte, j'aime mieux rester tout seul avec ma felouque. Puis, plus bas: quand même, j'aurais voulu une autre vie que celle que j'ai. J'ai rien. Je lui réponds que selon la loi du marché, comme les banlieusards de Memphis payent 3000$ pour voir la montagne thébaine, et que lui ça coûte rien, eh bien ça veut dire qu'il possède 3000$ de plus qu'un banlieusard de Memphis qui n'a rien.
A... rit. Les Égyptien-ne-s ont le sens de l'ironie.
Pas d'escorte militaire pour aller à Abidjou. Les gens regardent le minibus passer du coin de l'oeil. Paraît qu'autrefois, ils se mettaient de chaque côté de la rue et chahutaient le convoi protégé en criant des insultes et en lançant des pierres. Le temple était protégé par des guérites et des barbelés. Il n'y a plus rien maintenant. Deux gamins qui vendent des poupées de paille. Le vieux mur d'enceinte en briques crues qu'on voit sur la photo. Une partie de la peur s'est engourdie. Je pense que ça ne durera pas longtemps, mais en attendant, c'est toujours ça de gagné.
À Louxor, ils ont décidé de sacrer un quartier par terre, en plein centre-ville, pour dégager une allée (pardon, une tranchée) de statues de sphinx de 3 km environ. Les travaux sont en cours. La ville est défigurée. Je suis en câlisse. Ne me demandez pas où ils ont mis tout le monde. Soit dit en passant, le ministre des Antiquités, c'est le même que sous Moubarak. Comme tous les petits gouverneurs corrompus et autoritaires des départements.
Quand je suis revenu, c'est à peine si on m'a fouillé. Les douaniers français, égyptiens et québécois étaient d'une indifférence totale (sauf devant une femme voilée à qui on a fait des misères, as usual).
***
À la fin mai, le Mouvement socialiste libertaire est né en Égypte. Je voulais leur refiler un livre, mais je n'étais déjà plus au Caire quand l'organisation a été fondée. Cela dit, je leur souhaite bonne chance. Leurs propositions sont bonnes parce qu'elles sont accompagnées d'une analyse très lucide et qui surtout sort du cadre habituel ultra-nationaliste et bêtement réfo de la plupart des révolutionnaires égyptiens.
lundi 27 juin 2011
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