mardi 28 juin 2011

G20, un an plus tard.

Bon, je m'excuse en partant si plusieurs trouvent mon analyse trop foucaldienne.

Mais au bout du compte, excluant de nombreuses bavures bien sûr, cette répression fut largement un jeu psychologique. Il fallait casser intérieurement les manifestant-e-s, d'où les menaces, d'où les petits coups de genoux, d'où les commentaires sexistes. Parce que l'incarcération en tant que telle n'est pas bien traumatisante. Il faisait froid, c'était humide, on avait pas d'eau propre, etc. C'était inconfortable mais en ce qui me concerne, je préfère ça à l'école primaire, dans laquelle comme tout le monde j'ai passé six ans à me faire écraser et discipliner. Et une salle d'attente de clinique ou d'hôpital, quand t'es malade et que tout le personnel semble s'en crisser, c'est pas non plus la joie.

Mais l'école primaire, c'est le lot de tout le monde. Quand on se lève le matin pour prendre l'autobus, on ne repasse pas les derniers jours dans notre tête pour essayer de trouver ce qu'on a fait de mal pour se retrouver là. Idem pour la salle d'attente. La prison, c'est autre chose et ça ne fait rire personne.

Nous sommes formaté-e-s pour avoir peur de la prison et pour ostraciser ceux et celles qui y font un passage. Quand par un hasard affreux on y est enfermé-e, et que par-dessus tout on est battu-e et menacé-e, c'est donc tout un système de valeurs et un système identitaire qui s'effondre. Ces systèmes sont basés sur le fait que lorsqu'on est un-e bon-ne citoyen-ne, il ne peut en théorie rien nous arriver.

Sans doute que la façon la plus facile de ne pas passer par cet effondrement violent, c'est de ne pas avoir ce système de valeurs. Est-ce que cela nous met à l'abri des dépressions et traumatismes potentiellement causés par une arrestation aussi brutale qu'injustifiée? Je ne sais pas.

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Il y a ce gars qui faisait son jogging dans la cellule d'attente. Cette cage avait été montée devant la sortie. Les flics vous jetaient là en attendant de réunir vos affaires et de terminer la paperasse. Quand j'ai quitté mes amis - au départ, quand les chiens m'ont demandé de sortir, j'ai failli répondre "non", mais j'avais trop peur qu'ils m'écoutent - pour aller dans cette dernière cellule, je ne savais pas trop comment je me sentais. Une policière me tenait par le bras et fut aussi étonnée que moi de voir le jeune courir en cercle comme si de rien n'était. "Is this regular?" dit-elle en pointant John Doe du doigt. L'autre a arrêté de courir quand je suis arrivé. Il m'a dit qu'il avait jeté ses cartes dans une bouche d'égouts après qu'on eut encerclé son groupe. Sur lui, il n'avait donc plus que ses clefs et un peu d'argent. Il a refusé de s'identifier en prison. Les flics l'ont brassé un peu, l'ont menacé. Il n'a pas cédé. Dans la cellule, il m'a demandé mon opinion sur le BB. Je suis resté évasif, juste au cas où. Il est sorti en même temps que moi, après une dizaine d'heures d'incarcération.

Les flics n'ont sans doute toujours aucune idée de qui c'est. Moi non plus.

Et il y a ce gars rencontré dans un autre contexte. Un de ceux qui a fracassé une vitrine. Je lui ai demandé ce qu'il avait ressenti en faisant ça. "Je me suis senti vivre. T'as pas idée." Rien à voir avec les sensations fortes des montagnes russes ou de la course automobile. C'est une sensation de liberté totale, le sentiment que tu échappes au contrôle et à la peur. Le poing que tu serrais depuis longtemps pour retenir ta colère s'ouvre.

Le dernier, c'est un jeune adulte arrêté en même temps que moi. Sitôt enfermé, il s'agite, il arrache un pan de la toilette chimique. La police arrive avec un verre d'eau. Il le leur lance au visage. Idem pour le sandwich[1]. Les flics sont revenus avec un bâton. Ils lui ont dit qu'ils allaient le battre s'il ne se calmait pas. Il s'en foutait. Ils sont revenus avec du gros ruban à gommer. Ils lui ont dit qu'ils allaient l'attacher avec s'il continuait de faire du tapage. Il ne les croyait plus. Tout ce qu'il croyait, c'est qu'il n'avait plus rien à perdre. Finalement, il n'est resté que huit heures en prison, incontrôlable du début à la fin.

***

Depuis, les exemples de brutalité policière se sont multipliés à leur rythme habituel, à un tel point que l'on ne parle plus vraiment du G-20 que comme une des nombreuses fois où les autorités ont bafoué nos droits. C'est une perception que je partage absolument. Chaque nouvelle bavure m'apparaît pire que la précédente. Après la dernière marche du COBP, plusieurs de mes ami-e-s ont été détenu-e-s dans des conditions totalement insultantes. La marche du premier mai a également été l'occasion de plusieurs abus. Mais c'est peu en comparaison de la brutalité quotidienne des porcs et des autres représentant-e-s des autorités à l'égard de la population.

Et c'est presque obscène d'ériger la répression du G-20 en drame humain alors que des milliers de personnes sont assassinées par les dictatures des pays arabes.
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[1] Dire que je leur avais répondu merci, par réflexe. Après avoir appris son histoire j'ai instantanément eu honte.

2 commentaires:

  1. Ça vous apprendra à ne pas porter des chandails des Canucks! ;)

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  2. Les émeutes sportives sont en effet une leçon pour l'avenir. Elles montrent que le gouvernement n'est pas prêt à faire face à une agitation spontanée menée par des imbéciles. Et quand ça arrive, le gouvernement reste encore persuadé que des anarchistes sont mêlé-e-s à l'histoire.

    Quoique connaissant les flics de Toronto, je pense que j'aurais plutôt porté un chandail des Jays ou des Maple Leafs. Porter un chandail de "foreigner" aurait suffi à leur donner une excuse pour m'arrêter.

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