Je n'avais pas besoin de beaucoup de lucidité pour dire, il y a quelques mois:
« C'est un peu con de dire que le renversement de Moubarak fut une révolution: allumez câlisse, il y a des tanks dans les rues, LES MILITAIRES SONT AU POUVOIR! »
Maintenant que ça a recommencé à péter, parce que les militaires (représentés par la police) sont plus lents à rendre le pouvoir au peuple qu'à mettre le doigt sur la gâchette et sous la jupe des Égyptiennes qui ont le culot de contester, plusieurs commentateurs/trices, ahuri-e-s, décident de garder le silence. Le « printemps arabe » n'a définitivement plus la cote, malgré les nouvelles qui nous parviennent encore assez souvent.
Beaucoup se taisent et attendent, même des universitaires et des spécialistes[1] qui n'en croient pas leurs oreilles parce qu'illes avaient été pris dans l'élan d'enthousiasme révolutionnaire des jeunes arabes (le silence n'est pas total: on nous présente quelques analyses de temps en temps, notamment ici, mais ça date d'un mois). Les plus chiant-e-s sont ceux et celles qui ont admiré le mouvement en disant tout haut: «Regardez comme ils sont chouettes, ils veulent devenir comme nous! » Quand les mêmes contestations surviennent ici, justement parce qu'on cherche à devenir «comme nous», ces commentateurs/trices deviennent soudainement aussi impoli-e-s que des mini-Moubarak.
La fin de la dictature Moubarak et Ben Ali[2] (on parlera pas de la chute de Kadhafi, parce que sincèrement je connais rien à la Libye) ne fait que laisser plus de place à d'autres tendances tout aussi totalitaires qui étaient écrasées de peine et de misère par l'ancienne élite. En Égypte, c'était l'armée ; en Tunisie, la religion[3]. Je n'irai pas bêtement dire que «la nature a horreur du vide», parce que la nature, eh ben ça existe pas. Mais disons que sous la dictature, il est possible de passer outre un problème en mettant le problème en prison.
Maintenant, il y a une résurgence de problèmes, dont la pourriture a entretemps atteint le coeur de la pomme. Dans chaque cas, l'origine de la contamination est une confiance aveugle et stupide envers des fous irrationnels et avides. Je refuse de croire que les jeunes révolutionnaires, ceux et celles qui ont tout donné pour la liberté, ont été les premiers/ères à accepter de nouveau leur sujétion. Mais pour une personne qui parvient à comprendre un peu les mécanismes du pouvoir, il y a dix personnes qui n'apprennent rien et qui d'ailleurs, contrairement à ce qu'elles en disent, n'étaient pas là à Tahrir en février 2011[4].
Même si tout n'est pas encore terminé, nous pouvons déjà conclure de l'expérience égyptienne que 800 morts, ce n'était pas assez pour renverser la dictature. Vous pensiez que c'était terminé, le meurtre et la répression? Pantoute. Kin, vlà un petit 22 morts pour vous le rappeler. Si c'était si facile après tout, on vivrait dans les jardins d'Éden depuis 1917.
***
Message à A...
En mai, tu m'as dit reviens dans 18 mois, tu vas voir, rien ne sera comme avant. Les enfants ne quêteront plus dans les rues, ce sera la démocratie et tout et tout. Mais l'échéance approche. Quand je reviendrai (inch'Horus), il restera plus que six mois. Je sais que je ne serai pas épaté.
Ce que je ne sais pas, c'est si toi tu auras changé. Tu disais avoir confiance en l'armée égyptienne. Tu disais que c'était la meilleure du monde, qu'elle était « correcte », invaincue et qu'elle agissait toujours de manière loyale. Tu as vanté les mérites de la Nation et tu disais plus ou moins que tu comptais sur la gloire du drapeau égyptien pour amener la démocratie et la liberté au pays.
D'accord, pour une fois j'ai osé rien dire, parce que je vis pas en Égypte et que non, moi non plus (et contrairement à toi) je n'étais pas sur Tahrir en février. Et surtout parce que tu me donnais un lift. Je me justifie parfois mon silence en disant que tu étais trop obstiné, et qu'il valait mieux que tu te rendes compte tout seul de l'évidence de toute façon. Je me dis aussi que peut-être que tu ne croyais pas vraiment à tout ça, que c'était une question de fierté. Je comprends parce que si jamais tu viens à Montréal un jour, je ne te parlerai pas non plus des anciennes raffineries de l'Est, de l'autoroute métropolitaine, des gangs de rue et de l'hélicoptère TVA.
_________
[1] Vous n'entendrez que rarement les spécialistes du monde arabe dire que le nationalisme est un problème en Égypte. Ni aucun-e commentateur/trice d'aucune autre sorte. Pourquoi? Par ce que la connexion ne se fait même pas dans leur cerveau tellement on leur a vanté la Nation. Très peu reconnaissent que le nationalisme fait partie des facteurs clefs de l'échec d'un projet collectif. Et c'est certainement pas ici au Québec qu'on va trouver des masses pour l'affirmer.
[2] L'ex-dictateur de la... Ça commence par un T. Plusieurs l'ont oublié celui-là depuis qu'on en est revenu-e-s aux vraies nouvelles.
[3] La religion en Tunisie, j'y reviendrai. Répétons aussi que la religion est bien plus présente en Égypte. C'est juste qu'actuellement, c'est encore l'armée qui est au pouvoir.
[4] Merci A... pour m'avoir signalé cette tendance.
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