Je prends quelques minutes de mon temps libre (de toute façon mes profs sont en grève) pour défendre l'importance des manifestations. La présence d'anarchistes à ce genre d'évènements a été condamnée par Anarcho-Pragmatisme et par Anne Archet.
Reprenons les propos d'Anne: "«La manifestation est louable, mais ce sont les casseurs qui sapent sa légitimité, ragnagna scrogneugneu. » Comme de raison, les média ont tort, car en réalité c’est exactement le contraire: c’est la manif qui est à condamner et les casseurs qui doivent être encouragés. Les manifs sont par essence inutiles, surtout lorsqu’elles sont pacifiques, planifiées, connues longtemps à l’avance, sages et encadrées par un service d’ordre." Notre amie avance plus tard que la manifestation représente un dialogue avec le pouvoir, alors que la casse, c'est défier l'ordre. Anarcho-Pragmatiste est à peu près d'accord, même s'il dénonce les dommages matériels, arguant que ça donne une mauvaise image au mouvement. Je parlerai de la casse un autre jour.
Une manifestation n'a pas besoin de déranger l'ordre établi pour être utile. Elle peut être le catalyseur d'un mouvement, un lieu de rencontre et de dialogue. Elle peut être, dans les meilleurs cas, un cocon d'anarchie. Sous sa forme organique, la manifestation est incontrôlable, résultat de l'action indépendante et libre de chaque individu. Les slogans qu'on crie et qui s'imposent ne sont pas toujours ceux des organisateurs et organisatrices. Le pouvoir n'est pas fixé de manière précise; c'est la foule toute entière qui l'exerce: j'ai d'ailleurs déjà vu plusieurs assemblées générales se tenir dans des manifs, les participant-e-s votant en faveur d'une destination finale. À Montebello, entre deux nuages de lacrymos, il y avait également quelques groupes de discussion qui ont tenu des débats mémorables.
Manifester n'est pas nécessairement "entrer en dialogue avec le pouvoir". Si c'était le cas, je ne vois pas en quoi la casse ne serait pas elle aussi un dialogue, car la ligne est bien mince, comme la loi qui protège notre droit de manifester librement est floue et toujours remise en cause. Une manifestation fait chier et occasionne des dépenses, comme la casse. Et la casse peut également avoir pour but de lancer un message au gouvernement, autre que "meurs".
Affirmer que manifester est inutile simplement parce que c'est permis, je trouve ça un peu simpliste. Premièrement parce que c'est en vérité À PEINE permis, et que même les manifestations familiales sont parfois dispersées et réprimées. Signe qu'elles dérangent plus qu'on le croit. Deuxièmement parce que le pouvoir n'a pas atteint son état de perfection maximal et qu'il peut encore commettre des erreurs. Il est donc possible que le fait d'avoir enchâssé le droit à la manifestation dans la Constitution fut une erreur affaiblissant la caste dominante. Je pense que limiter sa pensée à une question de dualité légalité/illégalité, c'est jouer le jeu des puissant-e-s en adoptant leurs propres paradigmes[1].
Les grandes manifs syndicales sont bien entendu des horreurs. La marche du 3 mai dernier en est le plus brillant exemple: même si elle comptait plusieurs dizaines de milliers de personnes, on a préféré faire cracher par des haut-parleurs tous les slogans prévus pour la marche, allant même jusqu'à diffuser l'enregistrement de bruits de foule. Si ce n'est pas museler le peuple... Le service d'ordre constitue également un problème. J'espère ne pas avoir à expliquer pourquoi.
Or, il n'y a pas de service d'ordre partout. Généralement, il n'y en a pas dans les manifs de l'ASSÉ, qui se déroulent néanmoins sans grand excès. Ni dans les manifs anticapitalistes du premier mai. Ni dans plusieurs manifs locales ayant lieu dans de petites villes. Les slogans ne sont pas, non plus, déterminés à l'avance partout. Les manifs anti-scientologie se tiennent périodiquement et ne sont organisées que par des personnes oeuvrant sous le couvert de l'anonymat, presque spontanément[2]. Il y a bref autant de diversité dans les manifestations que dans les autres types d'action directe. Pourquoi donc les condamner toutes d'un seul bloc? Je pense qu'il est dangereux de raisonner dans l'absolu. Mais comme ni Anarcho-pragmatiste ni Anne Archet ne sont réellement adeptes des manifestations (contrairement à mon camarade de la ZLÉA et moi), je me permets de leur suggérer d'assister à davantage de ces évènements pour s'en faire une idée plus précise.
_____
[1]Pas facile comme mot. Je ne suis même pas certain de l'avoir utilisé à bon escient. Je l'utilise depuis que je me livre à des sombres recherches sur les Peuples de la Mer, dénonçant à renforts de sources écrites ce que j'appelle le "paradigme des migrations", qui pollue toute l'histoire antique. Mais tout ça est très éloigné de notre sujet.
[2]Celles-ci, comme d'autres, ne s'adressent de toute façon pas au gouvernement, mais directement au public. La force du nombre devient un outil de pédagogie.
mardi 24 mars 2009
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Libellés
anarchie
(48)
arts et culture
(51)
brutalité policière
(98)
capitalisme
(11)
censure
(3)
chroniques de la station Berri-UQÀM
(2)
Chroniques de Saint-Michel
(1)
Chroniques de Villeray
(1)
comment l'anarchie est-elle possible
(8)
conflit israélo-arabe
(4)
CSA
(7)
défense intellectuelle
(42)
divers
(23)
droite
(53)
économie
(15)
éducation
(47)
égypte
(8)
élections
(30)
environnement
(10)
évènement
(41)
fascismes
(14)
féminisme
(29)
fuck you
(1)
G20
(26)
gauche
(30)
grève étudiante
(71)
indépendance
(6)
international
(41)
introspection
(17)
lettre d'insultes
(3)
LGBT
(2)
logement
(2)
loi et ordre
(96)
manifestation
(90)
manifeste
(4)
médias
(65)
merde
(18)
militarisme
(11)
nationalisme
(26)
nouvelle
(1)
opinion
(1)
pauvreté et marginaux
(2)
Petit guide de l'extrême-gauche
(3)
politique
(4)
Premières nations
(2)
privatisations
(6)
Que-sont-mes-amis-devenus
(29)
racisme
(23)
religion
(21)
riches
(9)
santé
(15)
sexualité
(15)
tomate noire
(1)
travail
(19)
tribulations
(38)
Victo
(4)
On parle beaucoup de différences marquantes entre plusieurs manifestations passées, et la plus notée est de loin que par le passé, et il n'y a pas si longtemps que ça d'ailleurs, des manifestations ont eu lieu sans casse et sans trop de mauvaise publicité pour les participants.
RépondreSupprimerOr, le sujet de la manifestation, le nombre de personnes présentes, et le milieu social typique de celles-ci, ne semble pas tellement affecter l'issue de l'événement.
Ma question est donc : qu'est-ce qui crée la différence entre une manifestation rageusement violente et destructrice, et une autre relativement pacifique et sympathique ?
J'imagine qu'on me répondra qu'il y a tout un ensemble de facteurs à considérer, mais je ne le crois qu'à moitié. Il doit y avoir, quelque part, un catalyseur puissant qui invite à la casse.
(Pour répondre à ton interrogation qui n'en est pas une concernant le paradigme, il existe deux significations littéraires au mot. La première est un ensemble de croyances. La somme de ce en quoi tu crois, c'est ton paradigme personnel. La seconde signification, c'est "un exemple type présentant toutes les variations du type" Comme le montre la phrase : "Il faut bien qu'un certain produit entre tous, celui dont la valeur paraîtra la plus authentique [...] soit pris pour type, c'est-à-dire tout à la fois pour instrument de circulation et paradigme des autres valeurs" (Proudhon, Syst. contrad. écon., t.2, 1846, p.87))
Merci pour l'excellente définition du terme "paradigme", ce fut éclairant.
RépondreSupprimerEn ce qui concerne le grabuge, je ne crois pas connaître la vérité absolue, mais je pense qu'en effet, il y a une multitude de facteurs.
Cependant, une chose est certaine: la répression policière augmente les chances qu'il y ait de la casse. Et souvent, les gens les plus paisibles se mettent de la partie. Quand tu viens de recevoir une balle de plastique à trois centimètres des couilles, alors que tu n'as rien fait, crois-moi que si on te donne une roche, tu sauras quoi en faire.
Bon, je pense que ma réponse est loin d'être satisfaisante. Mais cette question mériterait de toute façon une étude très approfondie.
RépondreSupprimerLe commentaire de Francis Dupuis-Déri concernant la manif' du 15 mars 2009 est à ce propos très pertinent. Cliquez sur la date du 16 mars, l'entrevue se trouve dans la cinquième partie de l'émission, un peu après le milieu.
RépondreSupprimerVoici le lien : http://www.radio-canada.ca/actualite/v2/rdi_matin/index.shtml
J'ai été surpris de constater qu'AP et Anne Archet, deux individus se qualifiant d'anarchistes (a.k.a en faveur d'un changement social radical) aient une opinion aussi défavorable des manifestations. Je crois qu'au-delà de tous les qualificatifs et «ismes» que l'on peut se donner, si nous n'avons aucune action pour supporter nos idées, on aura beau penser ce que l'on veut, la société demeurera la même.
RépondreSupprimerJ'admet être d'accord avec AP sur son désavouement de la casse, mais pour d'autres raisons. D'abord, cela encourage le système capitaliste, qui fournit le remplacement nécessaire aux vitres et voitures brisées. Ensuite, malgré toute la violence dont l'État pourrait être instigatrice, je crois que rien n'est plus cohérent que de lui opposer des actions non violentes. Malgré tout, je ne désavoue pas la casse étant donné qu'elle est le fruit d'une colère légitime.
Tout à fait.
RépondreSupprimerJ'ai voulu écouter ce que F DD avait à dire à propos de la manif du 15 mars,mais j'obtiens ceci : «Désolé! La page que vous avez demandée est introuvable.
RépondreSupprimer(Erreur 404 - fichier introuvable»
Pour ma part je ne condamne pas les manifs, car ce serait injuste pour les gens qui y mettent du temps et de l'énergie.
Mais je vois les manifs dans leur ensemble comme étant un moyen (parmi d'autres) et non une fin.
De plus il me semble important de tenter de mesurer l'impact de ces initiatives. Quel changement en resssort?
Finalement, si l'objectif visé est de renverser le capitalisme puis l'État et d'instaurer l'autogestion, il me semble que le mouvement anar dans son ensemble (à vrai dire je me questionne sur l'existence même d'un mouvement anar) est loin de la coupe au lèvre et que si ce qui est désiré est un changement radical de la société, trop peu est fait il me semlbe pour aller dans cette direction.
Mais bon de mon propre aveu je ne suis qu'un bouffon sur la scène politique et dans la vie en général.
Un bouffon triste, mais un bouffon tout de même.
Bakou: Je suis également un bouffon, mais je ne suis pas sur la scène politique, hélas.
RépondreSupprimerJe pense tout de même que je peux te comprendre. Néanmoins, les choses changeront peut-être un jour. Je ne peux pas croire que toutes les décennies à venir nous pousseront invariablement vers le pessimisme.
La seule chose d'irréversible, c'est notre propre mort (par extension celle de la planète - je serai réellement triste quand j'aurai la certitude qu'il n'y a plus rien à faire pour l'environnement) et c'est la seule véritable raison d'être vraiment pessimiste. Le reste, la liberté, l'amour, la famille, la bouffe, ça part et puis ça revient...