mercredi 24 février 2010

Frais de scolarité: un pacte entre simples citoyens

Hier, seize "citoyen-ne-s" ont co-signé un document prêchant une hausse radicale des frais de scolarité universitaires au Québec. Les personnalités, dont plusieurs leaders de la droite québécoise, proposent le rattrapage de la moyenne canadienne sur trois ans! Elles demandent également au gouvernement de se pencher sur une possible hausse différée par programmes et sur une sorte d'impôt post-universitaire.

Leur document est disponible sur ce site web.

La première constatation qu'on peut faire en lisant cette longue déclaration est qu'elle pue les Lucides: la même rhétorique est employée. On insiste sur les mauvaises conditions budgétaires, on utilise un ton alarmiste, on propose des solutions fourre-tout répondant à l'exploration d'un point de vue tronqué, etc.

Ensuite, on peut y reconnaître la dictature de l'économisme et de la croissance. L'éducation ne sert, selon les "citoyen-ne-s" ayant participé au Pacte, qu'à favoriser "notre prospérité collective". Le paragraphe d'introduction est d'ailleurs convaincant dans son champ lexical: au lieu d'approcher le sujet en parlant de pédagogie, on parle d'une "ouverture sans précédent des économies aux échanges internationaux". L'instruction est comprise comme permettant la "création de nouveaux biens".[1]

C'est con.

Et particulièrement réducteur.

Le savoir ne peut-il donc pas servir a priori qu'au savoir? Exiger qu'une discipline ne se justifie que par un soutien à la prospérité, me semble nous condamner au sectarisme scientifique. Les gens du Pacte devraient savoir que nombre de découvertes utiles ont été faites par pur hasard.

Les personnalités du Pacte ne l'explicitent pas, mais on devine leur idée derrière ce masque bienveillant: en mettant l'accent sur ce que les universités peuvent fournir à la société en terme de capital, ils leur veulent fourrer dans la gorge une obligation morale: celle d'être rentable.

Mais puisque ce n'est pas l'objet principal de cette déclaration, passons.

L'économie et les pauvres

J'ai parlé du ton alarmiste, ce n'est pas pour rien. Selon la gang de Lucien Bouchard, "l'avenir du Québec est compromis" par le sous-financement chronique des universités. Il provoquera à terme l'atrophie de notre économie.

L'atrophie de notre économie ne me semble pas être un problème particulièrement grave dans notre société surconsommatrice, bien au contraire. Toutefois, je ne pense pas que le sous-financement universitaire québécois pourrait en être la cause principale. La croissance économique peut être liée aujourd'hui au dynamisme de "l'industrie du savoir", mais elle peut aussi être reliée à l'abondance de ressources naturelles, ou aux choix judicieux d'une minorité d'entrepreneurs ou d'investisseurs pas nécessairement formés sur place. Certes, "beaucoup plus d'emplois de premier échelon dans l'économie actuelle exigent des études postsecondaires plus avancées que par le passé". Mais ce facteur est en partie indépendant du sous-financement universitaire. Je m'explique: la qualité de la formation n'est pas qu'une question de budget. Et si l'instruction est un impératif, les jeunes iront chercher un diplôme et des compétences avec, peu importe si leurs locaux de classe ne sont pas climatisés ou les profs moins érudit-e-s. Des étudiant-e-s légèrement moins bien formé-e-s peuvent se révéler un peu moins productifs à court terme, mais rien ne peut nous permettre de croire qu'ils/elles ne rattraperont pas leur retard - toujours en terme de productivité - avec le temps et l'expérience.

De plus, s'il est clair que le sous-financement universitaire soit une des causes du relativement faible taux de diplomation au Québec et que de mieux financer les institutions est devenu urgent, hausser les frais de scolarité ne règlera pas le problème. Ce qu'on gagnerait en attirant des étudiant-e-s par des campagnes de relations publiques, on le perdra en décourageant les moins nanti-e-s de poursuivre leurs études au-delà de secondaire 5. Les Pacté-e-s proposent de faire face à ce problème en aidant les "candidats méritants" provenant des couches les plus défavorisées de la population...

Tout en niant aux moins nanti-e-s qui ne sont pas anormalement doué-e-s le droit d'entrer à l'université.

Aussi, je ne vois pas comment ce genre de mesure peut protéger largement l'accessibilité aux études. Les étudiant-e-s universitaires, en général, sont des jeunes ordinaires qui ne sont pas dotés de talents spectaculaires. Pourquoi donc se contenter d'aider seulement les pauvres qui sont supérieurement intelligent-e-s?

Ajouter des règles par-dessus les autres

Le Pacte dit ceci: "[nous engageons] le gouvernement à consacrer les budgets ainsi libérés pour favoriser la réussite scolaire à tous les niveaux d'études. [...] l'impact positif de l'ensemble de ces mesures précitées se répercutera sur les individus venant de milieux moins favorisés [...]". Bref, on demande à tous et à toutes une contribution supplémentaire... pour contrer les effets possibles de cette contribution supplémentaire. C'est stupide à couper le souffle, mais tellement typique de la droite québécoise.

Autre élément à la logique douteuse: celui de refuser d'augmenter les investissements par le biais des impôts progressifs, et par-derrière de créer un impôt parallèle basé sur les revenus futurs des futur-e-s diplômé-e-s. Et pourtant, selon les signataires: "L'État ne peut faire plus." Or, en 2007, on imposa contre l'avis de la population une baisse d'impôts de 950 millions de dollars.

C'est tellement tordu leur affaire que j'ai peine à m'imaginer comment ces bourgeois-es en sont venu-e-s à de telles conclusions. Car s'il est vrai que les étudiant-e-s actuel-le-s formeront une partie de la future classe dominante, il est inutile de créer de nouvelles structures de remboursement proportionnel aux revenus: ILS/ELLES PAIERONT DÉJÀ PLUS D'IMPÔTS que le reste de la population. Pourquoi ne pas tout simplement créer plus de paliers d'impôts: on ferait deux pierres d'un coup en donnant de la subtilité au système qui nous fourre inéquitablement depuis des générations, tout en nous assurant que les riches, habituellement diplômé-e-s, contribuent mieux au financement du système universitaire.

Mais les gens du Pacte ne sont pas de cet avis. Il FAUT que les études coûtent quelque chose. Sinon, les jeunes ne pourront pas "faire un choix éclairé"[2]. Une bonne partie de l'argumentation des débiles du Pacte (et en fait de toute la droite) repose sur ce genre d'intention. Celle d'éduquer les jeunes par la facture. En connaissant la valeur monétaire de leur diplôme, les jeunes auront moins de chances de faire des mauvais choix - soit d'agir selon leur désir d'émancipation - et leur endettement les conduira à écourter leur séjour à l'université.

La droite est prête à tout pour discipliner les jeunes: elle est même prête à payer 1200 fonctionnaires pour gérer les coûts annuels de mesures stupides visant à donner de l'argent à des jeunes (par le biais de l'AFE) pour qu'ils puissent repayer le gouvernement par la suite (par le biais des droits de scolarité). Même en étirant à l'extrême le concept ridicule et vain de l'utilisateur-payeur, ça n'a pas de bon sens. Il y a d'autres moyens d'aider les jeunes à s'orienter. Pourquoi toujours insister sur le fric, pourquoi toujours vouloir nous enchaîner inutilement à des dettes?

Les pacté-e-s, vous êtes vraiment des malades mentals. Je pèse mes mots et ma faute d'orthographe.

____
[1] Je m'imagine parler de ça à mes neveux et nièces plus tard. Ils/elles me demanderont pourquoi l'école. Je leur répondrai: "T'as pas encore compris ti-cul? L'ouverture des marchés et les échanges internationaux! Enwoye, lis ton roman de la Courte-Échelle."
[2] Carotte + bâton.

4 commentaires:

  1. oui, c'est vraiment déprimant tout ça...

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  2. J'aime bien le terme pacté-e-s, ton billet et surtout sa fin.

    Dans le fond, pour les lucides, tant qu'on ne touche pas à leurs propres portes-feuilles ou à celui de leurs copains, ils sont prêts à faire n'importe quoi pour trouver de l'argent. Le problème c'est que ce sont eux qui en ont.

    Je trouve de mauvaise augure que Bachand et je crois Courchênes trouvent que ce sont de bonnes propositions et que certaines de ces idées avaient déjà été discutées et envisagées de leur part.

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  3. J'ai parfois l'impression que c'est beaucoup plus Montmarquette et Facal qui dirigent que les élu-e-s eux-mêmes.

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  4. Je n'ai pas l'habitude de souhaiter la mort de quiconque, mais je commence à faire d'étranges rêves où Lucien Bouchard disparaît subitement de la surface de la planète.
    Comme quoi il n'y a pas que MM. Martineau et Lagacé qui devraient se taire...
    D'ailleurs, je trouve étrange que les médias n'en manquent jamais une pour dire et redire à quel point les québécois (sic !) écoutent les sages paroles de Me Bouchard. Sommes-nous en train d'assister à une campagne de lavage de cerveaux ? Ou sommes-nous déjà tous et toutes écerveléEs ?

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