dimanche 4 septembre 2011

L'Ancien Régime.

Le procès de Moubarak recommence demain. Plusieurs révolutionnaires réclament ardemment la peine de mort pour l'ex-leader. Celui-ci a en effet mené une répression populaire tout à fait impressionnante et sanglante qui fit, pendant l'hiver, plus de 800 morts et des milliers de blessé-e-s.

De l'aveu même d'un jeune Égyptien ce matin à la radio de SRC, le régime n'a pourtant pas totalement changé. Le peuple, oui. Mais jusqu'à quel point?

Devant cette formidable répression, les meurtres, les disparitions, la torture, une seule réponse permet un changement en profondeur. C'est d'agir avec plus d'humanité que ceux qui ont précédé. Je ne suis peut-être pas en mesure de comprendre en profondeur la colère du peuple égyptien: je n'ai pas perdu un frère ou une soeur au cours des six derniers mois et je n'ai été que légèrement atteint par la brutalité de mon État à moi. Mais ce dont je me rends compte, c'est du manque absolu de lucidité de beaucoup d'Égyptien-ne-s qui, souhaitant pourtant sincèrement que les choses ne soient plus jamais les mêmes, s'apprêtent à appuyer consciemment le remplacement d'un régime par un autre qui est exactement pareil. Les justifications seulement seront transformées (mais pour combien de temps?). L'armée dans les rues protège la population contre les criminels évadés qui ont volé des armes dans les postes de police. Un genre de milice surveille les étudiant-e-s des collèges pendant la période d'examens, avec une vigilance paranoïaque: on suspecte en effet les partisans du Raïs déchu de vouloir perturber. Plus récemment, on a décidé de ramener une vieille loi des années cinquante pour punir les anciens corrupteurs. Cette loi se nomme "la loi sur la trahison"[1].

Et maintenant, c'est l'histoire des appels à la peine de mort pour Moubarak qui défraie les manchettes. C'est au tour du peuple d'avoir à la bouche le goût du sang.

La peine de mort est une aberration: c'est l'arme des ignorant-e-s. Son utilisation dans une seule situation rend légitime la plupart des autres.

Or, le gouvernement de Moubarak était justement un tel régime de surveillance et de peur, qui appelait sans cesse à la mort. En appelant à l'exécution et à la purge, les Égyptien-ne-s concerné-e-s ne font que prouver à quel point illes ont bien assimilé les méthodes de l'ancien régime. Illes ont organisé une contestation sans figure dominante[2], centrée sur une organisation parfois complètement dépourvue de chefs, presque exemplaire. Et pourtant plusieurs attendent aujourd'hui bêtement, la gueule ouverte comme des oisillons quêtant de la nourriture à leur génitrice, que les autorités qui les ont autrefois condamnés punissent tout aussi bêtement le vieux tyran. En refusant de voir que ce sont les institutions coercitives qui ont permis à Moubarak de blesser tant de monde, en refusant de voir que c'est le pouvoir dans sa globalité qui est responsable de leurs souffrances, une partie du peuple condamne l'Égypte à retourner dans le même cycle de servitude et de contraintes.

Le peuple n'a rien à attendre de la peine de mort, ni des grands procès pompeux. Il n'a rien à attendre des grandes institutions. C'est seulement en changeant sa vie quotidienne en profondeur[3], en modifiant son rapport à l'autorité, à la peur et à l'obéissance qu'il deviendra fort et qu'il se mettra à l'abri des grandes crapules.

_________

[1] Voilà ce que dit Al-Ahram là-dessus: «Le but de cette loi n° 344 de 1952, modifiée par la loi n° 173 de l’année 1953, a établi plusieurs sanctions : privation du condamné de la fonction publique, de l’adhésion au Parlement, du droit de vote, de l’affiliation aux partis politiques pour au moins 5 ans. Les sanctions peuvent aboutir à la privation de la nationalité égyptienne. Selon cette loi, le tribunal de traîtrise est composé d’une majorité de militaires et d’un petit nombre de magistrats. [...] Baheyeddine Hassan, directeur du Centre du Caire pour les études des droits de l’homme, assure que la loi sur la traîtrise qui fut appliquée dans les années 1950 a mené à l’absence de la démocratie en politique. "Elle a contribué ainsi à l’abolition des partis politiques et à la nationalisation de la presse, des syndicats et des ONG. Elle commencera par les responsables de l’ancien régime et finira par punir les jeunes de la révolution du 25 janvier ".»
[2] Notez l'utilisation du singulier. Il y eut cependant énormément de personnalités publiques qui ont été considérées comme des meneurs, notamment des leaders religieux.
[3] Nidal Tahrir a bien expliqué bien comment l'organisation contestataire peut être un outil réellement révolutionnaire: « nous allons essayer de faire en sorte que les comités qui ont été formés pour protéger et sécuriser les rues, deviennent plus fort et de les transformer par la suite en véritables conseils populaires. »

2 commentaires:

  1. Espérons qu'on évitera une situation à l'iranienne. Je ne sais pas à quel point ça pourrait s'en aller vers ça, mais bon. Disons à tout le moins un autre régime autoritaire. Tant que l'armée sera au pouvoir, je ne crois pas qu'on verra des changements réels à la société. Je pense que la gauche a été irresponsable dans ce dossier en criant si rapidement à la révolution. Ce terme est tellement galvaudé qu'il ne veut plus rien dire.

    Sinon sans vouloir faire de la psycho pop à 5 cennes, les humains ont tendance à reproduire ce qu'ils ont vécu. C'est vrai à petite et à grande échelle. À tout le moins, on ressort tous et toutes marquéEs par nos expériences et nos traumatismes passéEs et cela nous empêche de progresser individuellement et collectivement.

    Bakou

    RépondreSupprimer
  2. Effectivement. Je ne sais pas si on peut cependant dire que c'est tout particulièrement la gauche a crié à la révolution. Je pense que le mot "révolution" a été lâché par les médias et les élites libérales bien avant la gauche. Le terme a été réemployé par tout le monde après. Peut-être que les historien-ne-s parleront plutôt de "Coup" dans 70 ans.

    Actuellement, et sans surprises, la gauche et les libéraux/démocrates d'Égypte sont ceux qui luttent le plus âprement pour qu'il y ait des changements institutionnels et donc, une "véritable" révolution. Le peuple lui-même descend toujours régulièrement dans la rue. Mais pour diverses raisons, et pas nécessairement pour qu'il y ait des changements en profondeur dans la société.

    Quant aux islamistes, je ne sais plus où ils en sont.

    RépondreSupprimer