Quoi faire face à un gouvernement qui fait la sourde oreille face aux revendications populaires, portées ou non par des manifestant-e-s qui envahissent les rues? Dans cette série d'articles que je compte écrire, j'essaierai de me joindre au débat sur les moyens d'actions qui soutiendront la lutte contre le gouvernement corrompu. La première partie traitera de légitimité et du rôle des manifestations dans une lutte politique.
L'Équilibriste, afin de nous faire avancer, propose un plan d'action en plusieurs étapes et dont le coeur serait une grève sociale de trois jours. Il rejette en passant l'initiative d'organiser (à la va-vite, précise-t-il) des manifestations devant le bureau de Jean Charest à Montréal.
Si on jette un coup d'oeil aux principales luttes sociales des dernières années, la manifestation a cependant toujours fait partie de la lutte politique. Que ces mouvements aient été couronnés de succès ou non. Pourquoi? J'ai déjà défendu de manière très succincte l'utilité des manifestations ici même, alors que deux autres blogueurs/euses, soit Anne Archet et David Gendron, avaient mis en doute de manière tout à fait légitime le recours à ce moyen de pression. Les circonstances étaient différentes: c'était pour réagir à la marche annuelle du COBP. Je résume mes arguments:
1. Ce n'est pas parce que c'est permis que c'est nécessairement mauvais.
2. Une manifestation peut être un lieu de rencontre et de dialogue.
3. Une manifestation (même pacifique!) peut provoquer une perturbation temporaire du système, et donc peut servir de moyen de pression réel.
Ce à quoi j'ajoute une composante importante, qui est à la base de tout exercice d'établissement de pouvoir ou de renversement: la légitimation.
Le gouvernement "démocratique" typique, comme tout autre gouvernement cherchant le consentement, se nourrit presque exclusivement d'exercices de légitimation. Dans l'Ancien Régime, le roi cherchait la légitimité par son association avec une divinité, avec un ancêtre et parfois en simulant des pouvoirs thaumaturgiques[1]. Aujourd'hui, il est plutôt question d'élections, de consultations populaires et d'autres artifices. Tout ça est assimilable à des pièges à cons, bien entendu, mais ces exercices ont des effets tout à fait matériels sur l'état d'esprit des citoyen-ne-s. Combien de fois les politicien-ne-s, face au mécontentement, nous ont servi ces arguments:
"Les électeurs m'ont élu pour que je mette mon programme à exécution."
"La majorité silencieuse est de mon côté."
Et combien de fois les a-t-on cru-e-s?
Il n'est bien sûr pas question de recherche d'assentiment ici, ni de souveraineté populaire, de contrat social ou d'autre niaiserie inventée pour nous la faire fermer. Il est simplement question de recherche de légitimité. C'est en résumé le mot qu'il faut toujours avoir en tête.
Pour renverser les effets de ces exercices de légitimation, pour relâcher l'incroyable pression psychologique du pouvoir, il faut que la contestation bénéficie d'un soutien massif. Finalement, que son niveau de légitimité dépasse celui du gouvernement!
C'est cette légitimité nouvelle qui permet de passer à la vitesse supérieure. L'Équilibriste propose, consciemment ou pas, un moyen d'acquérir cette légitimité dans un billet de son blogue: "Qu’une vaste campagne visant à sensibiliser et mobiliser les faiseurs d’opinion publique (chroniqueurs, vedettes, personnalités) autour de l’organisation de la grève sociale. Car ce sont ces derniers qui auront la plus grande influence sur la masse."
Cela ressemble beaucoup, finalement, à une tentative de "révolution" par le haut. Ça m'apparaît complètement inintéressant. Au XXe siècle, la faiblesse des technologies de communication rendait difficile la transmission de messages entre citoyen-ne-s ordinaires. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Il n'est pas nécessaire de convaincre Mario Roy et Patrick Lagacé pour que les gens se mettent à penser quelque chose. Les faits nus, diffusés sur le net (ou plus traditionnellement sur des murs, dehors) et partagés massivement suffisent. Les gens se feront une idée après, avec l'aide de leur intelligence. Des gens qui n'ont pas l'impression d'être contrôlés vont plus profondément remettre les choses en question. Cette remise en question est essentielle pour que la légitimité vacille.
Les chroniqueurs/euses populaires, qui ont pour la plupart fait leur carrière en exploitant des lieux communs, ne sont pas des gens audacieux[2]. Je renonce à tenter de les convaincre, c'est inutile. Je pense qu'il faut seulement les mettre devant le fait accompli. Après, il faut pas s'inquiéter, ils vont suivre si c'est dans leur intérêt.
Ce ne sont par ailleurs pas des journalistes héroïques qui ont déclenché la révolte tunisienne, mais un gars qui s'est crissé en feu. Cette action désespérée a traduit un sentiment partagé par tous et toutes. Toutefois, la situation était différente, puisque le régime était déjà en crise de légitimité bien avant l'auto-immolation en question.
Comment donc parvenir à faire s'écrouler la légitimité déjà entamée du gouvernement de Jean Charest? Eh bien la première étape c'est... bien évidemment la manifestation et les pétitions! Le nombre évalué par les médias est lui-même secondaire. Ça, c'est pour le marketing.
Ce qui compte réellement, c'est l'expérience personnelle. Et voilà un aspect du combat qui est souvent mis de côté par les macro-activistes[3]. Il faut que les gens sentent INDIVIDUELLEMENT que malgré leurs efforts, ils n'ont pas été écoutés! Voilà pourquoi il faut selon moi réduire au maximum l'importance des grand-e-s porte-paroles du peuple et permettre au plus grand nombre d'agir. La manifestation est une action qui le permet en partie. 20 000 personnes qui manifestent, ça ne cause pas qu'un article dans La Presse: ce sont 20 000 expériences personnelles.
(À suivre)
_________
[1] Ça veut dire guérir du monde par magie.
[2] À part peut-être du monde comme Foglia.
[3] J'ai décidé de définir ainsi les activistes ou analystes qui n'ont pas de vision à petite échelle.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Libellés
anarchie
(48)
arts et culture
(51)
brutalité policière
(98)
capitalisme
(11)
censure
(3)
chroniques de la station Berri-UQÀM
(2)
Chroniques de Saint-Michel
(1)
Chroniques de Villeray
(1)
comment l'anarchie est-elle possible
(8)
conflit israélo-arabe
(4)
CSA
(7)
défense intellectuelle
(42)
divers
(23)
droite
(53)
économie
(15)
éducation
(47)
égypte
(8)
élections
(30)
environnement
(10)
évènement
(41)
fascismes
(14)
féminisme
(29)
fuck you
(1)
G20
(26)
gauche
(30)
grève étudiante
(71)
indépendance
(6)
international
(41)
introspection
(17)
lettre d'insultes
(3)
LGBT
(2)
logement
(2)
loi et ordre
(96)
manifestation
(90)
manifeste
(4)
médias
(65)
merde
(18)
militarisme
(11)
nationalisme
(26)
nouvelle
(1)
opinion
(1)
pauvreté et marginaux
(2)
Petit guide de l'extrême-gauche
(3)
politique
(4)
Premières nations
(2)
privatisations
(6)
Que-sont-mes-amis-devenus
(29)
racisme
(23)
religion
(21)
riches
(9)
santé
(15)
sexualité
(15)
tomate noire
(1)
travail
(19)
tribulations
(38)
Victo
(4)
Argh! j avais ecrit un super long message et mausaise manipulation il est dispru :(
RépondreSupprimerBref, je m interresse beaucoup a la question de la legitimite comme etant une "institution invisible" et ayant une dynamique propre entre ce qui est attendu du pouvoir, ce qui est voulu des citoyens, et, ce qui devient interressant, l espace mouvant entre les 2. En plus c est delicat parce que la legitimite c est autant une question de culture politique, de perceptions, ou d institutions existantes...
J aime bien la maniere dont tu a apporte le sujet... c est un gros questionnement... chapeau pour avoir fait entrer ca dans un billet...
-Pwel
J'ai corrigé un peu le texte afin de le rendre un moins décousu. Merci pour le commentaire. "Institution invisible": j'aime ça.
RépondreSupprimerJe commence à trouver gênante la manie de Blogger de causer des difficultés aux commentateurs/trices du blogue.
je pense que c est moi qui manque de talent...chicane pas blogger tout de suite :P
RépondreSupprimeret je n ai aucun merite pour "institution invisible" il me semble que c est rosenvallon qui en parlait de cette maniere