samedi 8 octobre 2011

Chers occupistes (diversité des tactiques III)

Ceci est une traduction libre d'une lettre envoyée par des anarchistes au mouvement « occupiste »[1] de Wall Street.

Je pense que ça peut s'appliquer aussi au mouvement occupiste de Montréal, mais aussi aux autres mouvements qui sont actuellement en branle au Québec.

Une lettre de la part d'anarchistes.

Appui et solidarité! Nous sommes inspiré-e-s par les occupations sur Wall Street et ailleurs au pays. Enfin, le peuple prend à nouveau la rue! Le momentum autour de ces actions peut potentiellement redonner de l'énergie à la protestation et à la résistance dans ce pays. Nous espérons que ces occupations vont augmenter en nombre et en substance, et nous ferons notre possible pour contribuer à ces objectifs.

Pourquoi devriez-vous nous écouter? Brièvement, parce que nous en sommes rendu-e-s au même point depuis longtemps déjà. Nous avons passé plusieurs décennies à lutter contre le capitalisme, à organiser des occupations, et à prendre des décisions par consensus. Si ce nouveau mouvement n'apprend pas des erreurs passées, nous risquons de répéter ces mêmes erreurs. Nous résumerons ici nos leçons apprises à la dure.

Occuper, c'est pas neuf. La terre sur laquelle nous vivons est déjà un territoire occupé. Les États-Unis tirent leurs fondation de l'extermination des peuples autochtones et de la colonisation de leurs terres ancestrales, sans oublier des siècles d'exploitation et d'esclavage. Pour qu'une contre-occupation (car c'est certainement cela dont il s'agit ici) soit autrement qu'insignifiante, elle doit se souvenir de cette histoire. Mieux encore, elle devrait embrasser des deux bras l'histoire de la résistance, à partir de l'autodéfense autochtone et des révoltes d'esclaves jusqu'aux mouvements pacifistes et altermondialistes.

Les 99%, c'est pas un corps social homogène: c'est beaucoup de monde. Quelques occupistes ont présenté un discours dans lequel le fameux "99%" représente une masse plus ou moins homogène. Le visage des "gens ordinaires", qu'on nous présente souvent, est éminemment suspect: il appartient de manière prédominante à la race blanche et à la classe moyenne et de préférence solvable. C'est ce visage qui apparaît devant les caméras de télévision, même si malgré tout, cette frange de la population ne représente qu'une minorité.

C'est une erreur de passer outre notre diversité. Tout le monde ne s'éveille pas aux injustices du capitalisme pour la première fois: plusieurs populations sont ciblées par le pouvoir depuis longtemps. Les travailleurs et travailleuses de la classe moyenne qui sont en train de perdre leur confort social peuvent apprendre beaucoup de ceux qui ont été du mauvais côté de la balance de l'injustice depuis beaucoup plus longtemps.

Le problème ne réside pas que dans quelques pommes pourries. Cette crise n'est pas le résultat de la cupidité d'une minorité de banquiers; elle est l'inévitable conséquence d'un système économique qui récompense une compétition de requins dans toutes les composantes de notre société. Le capitalisme n'est pas un mode de vie statique mais un processus qui consume tout, transformant le monde entier en profit et, par la bande, en désastre. Et maintenant que tout s'en est allé nourrir l'incendie, le système s'effondre, laissant même ses bénéficiaires précédents sur le pavé. La solution n'est pas d'en revenir à des traditions capitalistes plus anciennes - revenir à l'étalon-or, par exemple - car non seulement c'est impossible, mais en plus, ce stade moins avancé du capitalisme n'a jamais davantage servi les intérêts du fameux 99%. Pour sortir de cet hostie de bordel[2], nous aurons à redécouvrir d'autres manières d'interagir.

La police n'est pas notre alliée. Illes sont peut-être des "travailleurs et travailleuses ordinaires", mais leur emploi consiste à protéger les intérêts de la classe dirigeante. Tant qu'illes resteront policiers/ères, il est impossible de compter sur eux, peu importe avec quelle cordialité illes pourront agir. Les occupistes qui ne le savent pas déjà vont l'apprendre aussitôt qu'illes vont menacer l'ordre établi. Les gens qui insistent sur le fait que la police existe pour nous protéger et nous servir vivent probablement d'une vie confortable chez les privilégié-e-s, mais vivent surtout, sans aucun doute, d'une vie obéissante.

N’idolâtrez pas l'obéissance à la loi. Les lois servent à protéger les privilèges des riches et des puissant-e-s; leur obéir n'est pas nécessairement éthiquement correct; c'est parfois même immoral. L'esclavage a déjà été permis par les lois. Les Nazis avaient des lois aussi. Nous devons, en regard de tout ça, développer notre propre esprit critique, au-delà de ce que les lois peuvent recommander.

La diversité chez les participant-e-s ne se fait pas sans diversité des moyens d'action. C'est de la tyrannie intellectuelle que de prétendre savoir par quel moyen tout le monde devrait agir afin de construire un monde meilleur. Dénoncer autrui permet aux autorités de délégitimiser, diviser et détruire le mouvement en tant qu'entité. La critique et le débat propulsent un mouvement vers l'avant, mais la poigne du pouvoir le paralyse. Le but n'est pas de forcer tout le monde à adopter la même stratégie, mais bien de découvrir comment toutes les différentes approches peuvent devenir mutuellement bénéfiques.

N'allez pas prétendre que ceux et celles qui défient la police et les lois sont nécessairement des agents provocateurs. Beaucoup de gens ont de bonnes raisons d'être en colère. Ce n'est pas tout le monde qui veut se limiter au pacifisme légal; des gens se souviennent encore comment se défendre. La violence policière ne sert pas qu'à nous provoquer: elle sert aussi à nous terroriser et à nous blesser, jusqu'à ce que la peur nous condamne à l'inaction. Dans ce contexte, l'autodéfense est essentielle.

Croire que ceux et celles qui affrontent physiquement les autorités sont en quelque sorte des allié-e-s de ces mêmes autorités, c'est non seulement illogique, mais ça s'attaque également en substance à la contestation, tout en rejetant le courage de ceux et celles qui se préparent à participer à ce type d'action. Cette allégation est par ailleurs typique des privilégié-e-s à qui on a inculqué la foi dans l'autorité et le mépris de la désobéissance.

Aucun gouvernement ni institution de pouvoir centralisé ne mettra jamais les intérêts de la population devant ceux des puissant-e-s. Ce serait naïf de le croire. Le centre de gravité de ce mouvement devrait être notre liberté et notre autonomie, et l'aide mutuelle qui peut soutenir celles-ci. Certainement pas l'attente vaine de l'arrivée d'un pouvoir "imputable". Un pouvoir "imputable", ça n'a jamais existé.

Nous ne devrions pas, en conséquence, nous contenter de faire des demandes à nos gouvernant-e-s. Nous devrions créer les occasions de réaliser les demandes par nous-mêmes. Si nous le faisons, les puissant-e-s de ce monde devront prendre nos demandes au sérieux, au minimum afin de conserver notre allégeance et notre attention sur eux. Pour établir un meilleur équilibre, il faut développer notre propre force.

D'innombrables mouvements ont appris à la dure que le fait d'établir leur propre bureaucratie, qu'elle soit "démocratique" ou pas, a finalement saboté les objectifs originels de leur lutte. Nous ne devons pas confier l'autorité à de nouveaux chefs, ni même créer de nouvelles structures décisionnelles; nous devons trouver des moyens de défendre et d'augmenter notre liberté, tout en abolissant les inégalités dans lesquelles nous avons été plongé-e-s de force.

Les occupations vont bénéficier de nos actions. Nous se sommes pas ici seulement pour "chuchoter dans l'oreille du géant". On aura beau parler, ça n'empêchera pas le pouvoir de rester sourd comme un pot. Il nous faut créer un espace pour les initiatives autonomes et pour organiser des actions directes qui affrontent la source de toutes les inégalités sociales et injustices.

Merci d'avoir lu ce message. Merci d'agir. Que vos rêves deviennent réalité.

http://www.crimethinc.com/


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[1] Je viens de trouver ce nom-là. Ça existait déjà?
[2] Le terme employé en anglais est "mess", et non "fuckin' mess". Vous savez maintenant ce que j'entendais par "traduction libre". Pour le reste, j'ai tenté au maximum de rester dans l'esprit du texte original.

19 commentaires:

  1. Le problème est que, dans les faits, les 99% ne sont même pas à 50% contre les 1%...

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  2. En effet, le "99%" est une notion un peu bizarre. Je suis content que la lettre se prononce sur l'imperfection de celle-ci. Moi j'y serais allé un peu plus fort.

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  3. malade

    ou t as trouve la version francaise?

    -pwel

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  4. oh je viens de lire que t es autonome... ca t appartient pu cher... je diffuse en masse... ^^

    -pwel

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  5. Il y a quand même des passages un peu nébuleux que ma traduction, hélas, n'a pas permis d'éclaircir. Il faut de préférence laisser un lien vers le texte d'origine.

    http://www.crimethinc.com/blog/2011/10/07/dear-occupiers-a-letter-from-anarchists/

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  6. Booooooooooon, un vent d'air frais ça fait du bien.

    Merci du lien, Mouton.

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  7. evidement... la paranoiaque en moi lie toujours a la source originale^^

    bravo pareil a la traduction sur une fesse... c etait necessaire et tres bienvenu

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  8. Ha cool malade merci de la trad

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  9. Vraiment, on est d'accord avec ce texte?

    Pas sûr... La très grande majorité des gens sont contre la violence. Prétendre que "ma violence à moi est justifiée - sacage durant les manifs, roches lancées, etc. - parce que les policiers sont violents", ne tient pas la route. Est-ce que les policiers sont violents? C'est une autre question... mais supposons que oui. Se donner le droit d'être violent, c'est comme dire que durant la Deuxième Guerre Mondiale, on aurait eu le droit de gazer les Japonais vivant en Amérique du Nord parce que les Nazies gazaient les juifs. Et une fois qu'on a gagné contre les Allemands, est-ce qu'on aurait eu le droit de fusiller la population au complet?

    Tiens, ça me fait penser aux fous furieux qui assassinent les médecins qui font des avortements. Prenez leur point de vue : faire un avortement, c'est tuer de sang froid un être humain! Selon la même logique que celle prônée par ce texte, répliquer à l'avortement en tuant la personne qui fait des avortements est tout à fait logique et justifié. Ce genre de raisonnement me fait vomir...

    La violence dans les manifs est à dénoncer parce que 1. c'est de la violence et non seulement on est contre mais en plus on a des principes et on est intègre, et 2. c'est la façon la plus rapide de couler le mouvement, i.e. faites une manif pacifique de 1000 personnes, il en suffit de 10 qui font de la casse pour que le message des 990 autres passent sous silence... non seulement le message de 99% des gens de la manif se trouve étouffé, mais 99% des gens qui regardent la manif dans les médias vont prendre une position CONTRE la manif, même si au départ ils auraient été réceptif au message.

    Être au Conseil privé, je donnerais une directive claire pour qu'on soit certain qu'il y ait de la violence dans toutes les manifs. Nier que la violence sert le pouvoir, c'est ne rien comprendre de comment notre société fonctionne dans la réalité. Merde, qu'est-ce que lancer des roches a servi au cours des dernières années??? On se fait manger la laine sur le dos, et la réalité est que le troupeau de moutons va continuer à être CONTRE ceux qui dénoncent ça avec des roches et des bâtons. Ne pensez-vous pas que le berger rigole dans sa barde? Wake up!

    Il y a un très beau mot en français pour décrire les gens qui font de la violence dans les manifs : sabotage. Oui, la violence durant une manif, c'est du sabotage de la manif. Vous voulez faire de la casse? Svp ne le faite pas en parasitant - je pèse le mot - un mouvement pacifique.

    Et l'argument sur la "diversité des modes d'action" est stupide. On a des valeurs ou on en a pas, on est pour la violence ou on est contre. Sinon, où on place la limite? Allez, imaginez qu'au nom de la "diversité des modes d'action" certains décident que la meilleure façon de faire bouger les choses c'est de violer les petites filles de 8 à 12 ans dont le papa a le malheur d'être banquier. On tolérerait? Non. Alors pourquoi on tolère que fassent du vandalisme. Qui est en faveur du vandalisme?

    Aussi, j'en ai un peu marre des "luttes anticapitalistes". Vous croyez vraiment que ce que réclame ce 99% serait comblé dans des pays non capitalistes? Vous croyez vraiment que la Chine, la Corée du Nord, l'ex-URSS, l'ex-Yougoslavie et à peu près tous les exemples que nous avons de gouvernements modernes anti-capitalistes se préoccupaient vraiment du sort des masses? Poser la question, c'est y répondre.

    L'exception est Cuba. Parce que à Cuba, on se préoccupe sincèrement de la population... à peu près au même niveau qu'au Canada, en Suède et dans de nombreux pays "capitalistes". En visant le capitalisme, vous vous trompez de cible.

    Je vous laisse deviner qui est la vraie cible selon moi...


    Etienne

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  10. Rapidement Étienne

    1. Sur la violence, il faudrait déjà définir la violence et éviter de mettre sur le même pied la violence de l’oppresseur et de l’oppresser, ce n’est pas la même chose bordel. Ta réaction est idéologique et dogmatique. À t’entendre, tu es le genre à te désolidariser lorsqu’un camarade se fait taper sur la gueule.
    2. Pour les pays dits anticapitaliste, Duhaime sort de ce corps, c’est très risible de prendre ces pays qui pratiquent un capitaliste d’état et de les citer en exemple.

    Ngalla Cisse

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  11. Qu'est ce qu'on fait des palestinien qui se défendent avec des pierres contre les israéliens dans cet argumentaire?...

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  12. J'ai répondu au commentaire de M. Denis par un long, long billet.

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  13. Le mouvement "Occupy" a en quelques semaines fait beaucoup plus pour conscientiser les gens que 10 années de "diversité des tactiques". En somme, cette diversité n'a été que des petites manifestations pour "barber" les policiers, saboter d'autres manifestations et écoeurer les gens qui ont l'âge de raison. Lisez "Deep green resistance" (Derrick Jensen) et là, vous en verrez des tactiques sérieuses qui ne se résument pas à quelques vitres cassées. Si vous avez vraiment des convictions et le courage nécessaire, arrêtez de "jouer" aux cowboys et devenez-en de vrais

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  14. Heu...«Allez, imaginez qu'au nom de la "diversité des modes d'action" certains décident que la meilleure façon de faire bouger les choses c'est de violer les petites filles de 8 à 12 ans dont le papa a le malheur d'être banquier. On tolérerait? Non. Alors pourquoi on tolère que fassent du vandalisme [sic]».

    Imagine qu'au nom de Gandhi tu te mettes à te sodomiser toi-même au milieu d'un jardin d'enfants autistes parce que t'as le malheur d'être un pauvre con. C'est vraiment l'fun de vivre dans une société où je peux sortir n'importe quelle merde de mon cul et la présenter comme argument.

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  15. Wow, c'est fou comme on se fait sa propre interprétation de ce texte. Peu importe, je le partage également sur mon blog, Révolution Citoyenne. Encore une fois, merci à vous de votre regard critique et constructif.

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  16. Mon cher ami Youri,
    Je connais beaucoup de personnes qui favorisent la diversité des tactiques et qui peuvent en discuter intelligemment sans recourir à la bassesse ou la vulgarité. Je suppose que la plus grande qualité de l'anarchisme est qu'on laisse n'importe lequel imbécile s'exprimer sur un forum public tandis qu'une corporation s'assurerait de te baillonner ou tout au moins de prétendre que tu travailles pour la compétition. Je suis certain que certains anarchistes aimeraient beaucoup que tu sois capitaliste. J'en suis un!

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  17. Anonyme: Le mouvement Occupy NY/Boston/DC pratique la diversité des tactiques, notamment par des occupations, le blocage de rues, la désobéissance civile, etc.

    Et puis il me semble que c'est un peu poche de souhaiter que quelqu'un soit pu notre ami alors que la seule chose qu'on connaît de l'individu est un paragraphe de trente mots. À moins que vous vous connaissiez? J'en ai manqué un boutte?

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  18. J'sais pas. Je ne connais pas tous les anonymes du coin. Me qualifier d'«ami» n'engage que lui.

    Néanmoins et pour toujours, je revendique mon attentat à sa pudeur, et je recommencerai à chaque fois que j'entendrai pareilles conneries.

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  19. Pour vivre en Espagne où le mouvement des indignés (pas toujours occupistes)
    et pour discuter très souvent avec eux, ce qui me frappe le plus, c'est leur non-volonté de changer les choses en profondeur. en Espagne, il y a quasi 25% de chômage, et la volonté des indignados est essentiellement basée sur l'accès à l'emploi, en clair, ils veulent modifier le système dans l'espoir de s'y faire une place.
    seulement 5% de leur 99% est réellement prêt à déconstruire t reconstruire

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