lundi 10 octobre 2011

Encore de la violence. (diversité des tactiques IV)

Suite à la traduction de la lettre d'anarchistes adressée aux occupistes, un long commentaire a été écrit pour dénoncer la « violence » de plusieurs manifestant-e-s et par le fait même justifier l'ostracisme des individus les plus radicaux dans le mouvement des occupistes de Montréal; ce qui est d'ailleurs d'une profonde naïveté étant donné que beaucoup d'anarchistes sincères figurent parmi les initateurs/trices de l'inspiration des occupistes de Montréal. C'est d'autant moins valable qu'en plus de dénoncer la forme, on dénonce, dans ce commentaire, la cible du mouvement, c'est-à-dire le capitalisme. Ce genre de commentaire, typique de la gauche réformiste, a l'air d'une comptine apprise par coeur.

J'ai décidé encore une fois de sortir de la boîte de commentaires afin d'écrire une réponse plus complète et aussi de recentrer le débat.

Tout d'abord, l'intervenant nous dit ceci:

« La très grande majorité des gens sont contre la violence. Prétendre que "ma violence à moi est justifiée - sacage durant les manifs, roches lancées, etc. - parce que les policiers sont violents", ne tient pas la route. Est-ce que les policiers sont violents? C'est une autre question... mais supposons que oui. Se donner le droit d'être violent, c'est comme dire que durant la Deuxième Guerre Mondiale, on aurait eu le droit de gazer les Japonais vivant en Amérique du Nord parce que les Nazies gazaient les juifs. Et une fois qu'on a gagné contre les Allemands, est-ce qu'on aurait eu le droit de fusiller la population au complet? »

Ce qui me dérange tout d'abord dans ce paragraphe, c'est le "on". De quelle victoire parle-t-on suite à la Deuxième guerre mondiale? Immédiatement après la fin et après environ 50 millions de morts, un nouveau conflit, la guerre froide, ne faisait que commencer. Le nazisme a effectivement été défait après 45, mais par qui? Par d'autres régimes autoritaires qui devaient dans les décennies suivantes ostraciser, emprisonner, affamer, assassiner, détruire. Qui est donc ce "on"? Les "démocraties" capitalistes? L'Union Soviétique? Qui est ce "on" qui a en effet violé les femmes berlinoises, et laissé les prisonniers de guerre allemands crever par milliers dans des camps? Qui a spolié les Japonais-e-s de leurs droits en Colombie-Britannique pendant la guerre et par ailleurs refusé l'entrée aux Juifs/ives en exil? Ce même "on".

Je peux paraître m'écarter du sujet en insistant sur un détail sans importance du discours, et pourtant c'est une composante importante du paradigme présent ici. L'auteur du commentaire considère qu'il fait partie d'un tout moralement supérieur qui aurait triomphé par le passé d'une bête immonde et étrangère. Le "on", qui est une entité politique, une autorité, aurait triomphé du nazisme; est-ce ce même "on" qui condamne la violence des manifestant-e-s? En employant un "on" (qui veut dire "nous"), on se positionne vis-à-vis l'autre. Or, la plupart des gens visés par le sermon de notre camarade ici présent considèrent, sans doute à juste titre, que ce "on" de la conscription, de la loi du cadenas, de la censure, du mensonge et de la corruption est aliéné.

Navré maintenant d'avoir fourni une démonstration aussi longue.

Mais ce n'est pas tout. Sur le plan simplement argumentaire, il y a une grosse faille dans le raisonnement. L'auteur du commentaire parle de guerre et de répression, soit de gazer les Japonais par fureur vengeresse, et y associe mutatis mutandis[1] le fait de crisser des roches dans des vitrines. Plus tard, il y associe d'autres exemples de violence extrême, soit le meurtre de médecins pratiquant l'avortement!

« Ce genre de raisonnement me fait vomir... » dit-il en comparant finalement les contestataires d'aujourd'hui à des génocidaires.

Non seulement ces analogies sont inacceptables et puériles, mais en plus, elles sont à double tranchant. La dérive sécuritaire qui a privé les Japano-Canadien-ne-s et Germano-Canadien-ne-s de leurs droits pendant la Deuxième guerre mondiale, le bombardement de Tokyo, les deux bombes nucléaires, le massacre des Berlinois-es, etc. n'étaient pas acceptables, c'est évident. Cependant, que pense l'auteur des violences quotidiennes des armées alliées contre les soldats allemands? Les gouvernements de l'époque auraient-ils dû essayer de contrer la furie nazie en occupant pacifiquement un coin de rue? Je suis pas mal certain de la réponse de Monsieur Étienne. À ce titre, sans doute que ma réponse à moi serait plus étonnante en proposant des solutions moins brutales que la majorité des sociaux-démocrates de ce pays.

De plus, il n'est pas question ici d'attaquer des médecins qui ont des pratiques prétendument illicites ou de punir une population après avoir gagné une guerre. Il s'agit, dans la plupart des cas, de simple autodéfense, alors que les exceptions (les quelques vitrines cassées qui sont loin d'être une foule) sont généralement des attaques en réponse à des atrocités sans nom - Coca-Cola est tout simplement une pépinière à meurtriers - et le vandalisme de quelques machines distributrices ou commerces affiliés (rappelé par l'action du collectif Ton Soeur contre un autre membre de l'empire du sucre: "boire Pepsi, c'est se chier dans la gueule") ne me semble pas disproportionné en regard des assassinats, mais cruellement nécessaire. Idem pour les actions visant les entreprises qui, par leurs politiques, participent à pourrir la vie des gens à travers le monde.

Rappelons aussi que le Printemps arabe, duquel plusieurs occupistes inspirent leur mouvement, a été salement violent, avec des pierres, des bâtons, des cocktails Molotov. Normal, dirons-nous. Les sbires du régime tiraient sur la foule. Mais à quoi au juste faut-il s'attendre? Que les forces de l'ordre laissent les choses se transformer pacifiquement? Ça ne se passe JAMAIS comme ça. Si vous devenez une force de changement, il y aura nécessairement des agressions auxquelles vous devrez faire face. S'il n'y a pas d'abus de la part des puissant-e-s, eh bien soyez-en certain-e-s, ça veut dire que vous êtes pas considéré-e-s comme dangereux/euses.

Comment faire face aux abus? Nous connaissons des dizaines d'approches. La résistance active, passive, le repli stratégique, la fuite désordonnée, la délation de camarades, l'inaction, etc. Ce que, dans mon expérience et mes discussions avec d'autres, j'ai pu conclure de ces approches, c'est que la plupart sont vouées à l'échec. En ce qui me concerne, je pratique habituellement la résistance passive et, dans d'autres situations... eh bien c'est plus la fuite désordonnée. Cela ne m'empêche pas de reconnaître que la résistance active est souvent efficace. Les abus les plus massifs dont j'ai été témoin dans ma vie ont été commis sur des pacifistes qui avaient laissé les flics les arrêter[2]. Bref, vaut toujours mieux se défendre... que de pas se défendre[3].

Pis si vous voulez renoncer à ce que vous appelez de la "violence"[4], ben câlisse, renoncez au changement.

J'en parlais dans un billet intitulé "Pourquoi dénoncer la violence insurrectionnelle?". Dénoncer la violence insurrectionnelle revient à dénoncer les piqûres d'abeilles. Les piqûres ne sont pas toujours méritées et bien ciblées, mais elles sont rarement gratuites. Voilà une autre analogie qui a deux tranchants. Quel rôle jouent les radicaux dans cette représentation? Celui du gamin qui donne un coup de bâton dans la ruche ou celui de la ruche? Un peu des deux.

Mais c'est pas ça qui importe. Ce qui importe, c'est le bâton. Le bâton qui secoue la ruche des radicaux, jeunes de la rue, membres du BB, etc. est matériel: c'est la misère quotidienne et le manque de liberté. Alors que le déclencheur de la répression, c'est un problème imaginaire: un rideau d'illusions, de préjugés, tissé sur une haine colportée par les médias, les officiers, l'école de police. En quelque sorte, ce sont les flics eux-mêmes qui se câlissent un coup de bâton. Comme nous l'avons vu un million de fois, provoquer les flics par des actes de désobéissance civile ou autre action ne change pas grand-chose. Aussitôt que l'ennemi est identifié, les aiguillons sont sortis, l'essaim est groupé: il va frapper.

Mais bon, on s'écarte.

«il en suffit de 10 qui font de la casse pour que le message des 990 autres passent sous silence»


C'est loin d'être certain. De un, si un-e leader prend la parole pour les autres, le message d'une seule personne sur mille sera entendu de toute façon. De deux, plein de journalistes font quand même l'effort pour poser des questions aux manifestant-e-s pacifiques, qu'il y ait débordement ou pas. Vous sous-entendez qu'une manifestation calme a plus de chances de faire passer un message? Je pense que c'est de la bullshit. Je pense que ça dépend plus de la mise en scène que de la radicalité de la manifestation. Si le message est bien passé, qu'il soit accompagné d'une action de perturbation[5] ou non, il passe bien. Quand il est mal passé, il passe mal.

Et quand la population décide de ne pas écouter le message, on peut toujours mettre la faute sur la casse ou les graffitis. S'il y en a pas, on fait porter le blâme à l'indifférence et au cynisme[6]. C'est pas tant une question de méthode que d'habileté dans la communication.

Et en passant, les grands médias ne sont pas nécessairement les meilleurs outils de communication. Avec Internet et/ou une photocopieuse, ils sont contournables. Et si un mouvement part, croyez-moi, les médias vont suivre... leurs intérêts. Pas besoin de faire des courbettes aux faiseurs d'opinions.

Ce qui me choque le plus, finalement, avec le commentaire de l'autre blogueur, ce sont les accusations irréfléchies et ignorantes. La diversité des tactiques ne signifie pas nécessairement lancer des roches et donner des coups de bâton. Ce que la police appelle généralement de la violence, c'est souvent finalement pas grand-chose. Des "cocktails Molotov" qui sont en fait des bouteilles d'eau vides, des "déguisements" qui sont en fait des pansements triangulaires et toute une panoplie de fausses armes, on en voit régulièrement. On essaie de rendre les activistes radicaux épeurants avec de fausses accusations, et stupidement, des gens y croient. Alors que pourtant, dans la plupart des cas, la "diversité des tactiques", ça veut simplement dire bloquer un coin de rue de plus, faire une occupation, écrire des gros mots sur un mur, etc. C'est rarement aller gratuitement défoncer des vitrines et des flics. Dans mon expérience, ce genre d'affrontements plus directs ne surviennent que lorsque les autorités ont déjà commis, souvent sans provocation, des actes très, très répréhensibles. Maintenant, est-ce que je suis en faveur de cette violence bien réelle (quoique défensive)? Euh... Je dirais pas que j'y suis violemment opposé, mais je pense pas vraiment que je vais y participer.

________

[1] Hum... Je suis pas certain d'avoir bien utilisé cette expression latine.
[2] C'est le cas des abus massifs, mais peut-être pas individuels. J'ai de sérieuses raisons de croire que la police a l'habitude de battre plus sérieusement une personne active, que ce soit par vengeance ou par pur mépris.

[3] Duh!
[4] Et moi, jamais j'appellerais à l'agression sur des individus, ce qui indubitablement cette fois, serait de la violence.
[5] La perturbation est très précieuse pour acquérir de la visibilité!
[6]«Je suis déçue, a confié Pauline Éthier, une manifestante. J'aurais pensé qu'il y aurait beaucoup plus de monde aujourd'hui. Il y a beaucoup de cynisme dans la population. C'est peut-être la raison pour laquelle les gens ont l'impression que même s'ils font des choses, il n'y a rien qui se passe.»

2 commentaires:

  1. awwww:(
    Moi qui m'installais avec ma bouffe en pensant lire un bon texte avec des échanges intelligents qui suivent... Je veux être remboursée...
    (ok j ai eu un excellent texte à lire au moins ;))

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  2. Ouin, le débat s'est pas mal fait dans les commentaires du texte précédent.

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