mardi 3 juillet 2012

Le comité femmes GGI sur le CHI.

Je me permets de diffuser le texte du Comité Femmes GGI, qui est à l'origine de la controverse entourant le spectacle du CHI. Je n'ai pas trouvé le lien original: assez ironiquement, j'ai trouvé ce texte sur l'Axe du Mad après avoir suivi le lien fourni par Le Globe.

En complément: une entrevue avec des membres du comité et Jeanne Reynolds qui commence cependant à dater.

Je pense que ce serait le temps que des féministes organisent un show d'humour qui contrebalancerait les niaiseries de Nantel, Mercier et du reste. Un show qui serait audacieux et hilarant, et qui servirait à financer quelque chose de politique.

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Le 18 juin dernier, on le sait, la Coalition des Humoristes Indignés (CHI), gracieusement, présentait un spectacle d’humour dont les profits iraient entièrement à la « cause étudiante ». Les Indigné-e-s s’attendaient certainement à subir les invectives de quelques franges de la société, en désaccord avec leur prise de position. Ils ne s’attendaient certainement pas à se faire fustiger par ceux et celles-là mêmes qu’ils prétendaient aider. Des féministes ont en effet décidé d’être présentes le jour du spectacle, à l’entrée, déguisées en mimes, afin de dénoncer entre autres le sexisme de plusieurs des humoristes au programme, Mike Ward, François Massicotte, Maxim Martin, pour n’en nommer que quelques-uns. La figure du mime fut choisie parce qu’elle symbolise à nos yeux un humour vivant et une résistance à la censure. Tandis que le mime choisit le silence afin de mettre en valeur ou de dénoncer certaines attitudes et certains gestes, la société patriarcale l’impose aux femmes, tout particulièrement à celles qui tentent d’exprimer publiquement des critiques féministes. Lorsqu’ils aperçurent les mimes et apprirent par la suite que des étudiantes avaient entamé des procédures pour faire en sorte que la CLASSE refuse de recevoir sa part du butin, les Indigné-e-s s’indignèrent à nouveau. Mordre la main qui te nourrit, même si la nourriture est au final indigeste, gorgée de sucs pourris jusqu’à la moelle, qu’on y est mortellement allergique ou encore que sa consommation à long terme entraîne le cancer de l’âme, ça ne se fait pas, point à la ligne. Les médias de masse ont abondamment parlé du sujet, mais en surface, et mal. Un très mauvais tableau de toute la situation fut dépeinte, rien d’étonnant là-dedans. Le court texte que voici, écrit à plusieurs, provient des femmes qui sont à l’origine de la vague de protestation contre la CHI. Il a pour humble visée deux choses : expliquer nos motivations et rétablir certains faits.

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Pourquoi attaquer les humoristes alors que les bravos fusent de partout est la première question qu’on nous a posée : c’est un pied-de-nez à Gilbert Rozon, puisque le spectacle est chapeauté par ses soeurs, qui affirment ne pas partager les visions réactionnaires de ce dernier sur le conflit étudiant. Enfin de l’humour engagé au Québec. La culture et la lutte sociale, après s’être courtisées sous la forme de carrés rouges fièrement arborés par nos artistes québécois, se sont finalement embrassées, scellant leur union idyllique pour le meilleur et pour le pire. La CLASSE annonce l’événement sur son site, puisqu’il y a convergence dans les intérêts. Qui affirme défendre la cause étudiante est forcément un allié, n’est-ce pas? Fortes de leur rôle notoire de casseuses de party, des féministes ont cependant décidé de mettre un frein à ce mielleux enthousiasme. Un rapide coup d’oeil à la liste des humoristes indignés suffit en effet à procurer une insoutenable nausée. Il semble en effet que ceux et celles s’enthousiasmant à l’idée de cet événement aient la mémoire courte. Plusieurs d’entre eux ont en effet bâti leur carrière sur de l’humour dégradant. Sexisme, homophobie, hétérocentrisme, classisme, âgisme, racisme et racisation. On fait des jokes de grosses, des jokes sur les B.S., des jokes sur les gens qui ont des handicaps, des jokes sur le fait que c’est donc bien plate quand ta blonde veut pas avaler, des jokes sur les vieilles qui sont folles d’avoir peur des agressions sexuelles puisqu’elles ne sont plus baisables. Ce sont des blagues, nous rétorque-t-on. Nous ne pensons pas ce que nous disons, larmoie-t-on. Il faut prendre l’humour au deuxième degré, renchérit-on. De plus, même si on pensait vraiment ce qu’on disait, on aurait le droit de le dire. Ça s’appelle la liberté d’expression.

Nous pensons que les blagues qui se servent de stéréotypes et de clichés afin de faire rire ne sont pas une simple « expression ». En fait, nous ne pensons pas qu’il existe une telle chose qu’une simple « expression ». Nos dires et discours ont des conséquences tangibles sur le monde qui nous entoure. De reprendre des clichés sur les personnes assistées sociales, par exemple, contribue à maintenir une image négative et homogène de ce groupe. Une blague sur un B.S. qui crosse le système masque la réalité et a pour effet d’en rendre un portrait tronqué. Nous vivons dans un système qui est construit par différents rapports de domination. Ce que nous dénonçons, c’est que, presque systématiquement, les cibles des blagues des humoristes sont des groupes opprimés. L’humour au Québec se fait très souvent une courroie de transmission de l’oppression, puisqu’au lieu de la dénoncer, elle la renforce. En tant que féministes, nous ne pouvons tout simplement pas nous associer à ces gens. Comment pourrions-nous encore dormir en sachant que nous avons accepté l’argent de ceux et celles qui trouvent drôle d’imaginer que Jean Charest se fait violer en prison (blague faite lors du spectacle de la CHI), alors que le viol est un outil de domination patriarcale que nous dénonçons, à corps perdu, depuis toujours, et que cette  « blague » banalise perversement la chose? La liberté d’expression est certes quelque chose qu’il faut se battre pour conserver, et nous nous battrons effectivement jusqu’au bout pour pouvoir conserver le droit de dire que les humoristes québécois, dans leur vaste majorité, ne sont pas drôles et que leurs propos mettent des bâtons dans les roues au progrès social. Il est à notre sens hautement incohérent de se prétendre indigné de manière ponctuelle, alors que l’ensemble de notre oeuvre est au contraire une ode lyrique à la beauté du statu quo et de la reproduction de l’injustice. Il est par ailleurs très important de rétablir un fait, qui fut oublié par la couverture médiatique mainstream : la CHI n’a jamais pris position en faveur du mouvement étudiant. Daniel Thibault, un des cerveaux à la source du spectacle, dans son entrevue à Medium Large, rappelait judicieusement que la seule et unique cause d’indignation des humoristes était la loi 78, qui muselait la liberté d’expression. Les humoristes s’indignaient donc tout simplement que leur précieux droit de tout dire à tout moment et n’importe comment soit entaché. Peut-être pas si incohérent que ça, comme geste, finalement…

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Rétablissons maintenant qui nous sommes. Nous ne sommes pas la CLASSE. Nous sommes des femmes, des féministes, qui militent dans un comité de mobilisation féministe qui existe et agit à l’extérieur des structures de la CLASSE. Nous n’avons pas de porte-parole, pas de comité média, pas de représentante élue. Nous sommes un comité de mobilisation créé en novembre passé, parce que plusieurs femmes étaient insatisfaites du comité de mobilisation élargi de la CLASSE qui s’affairait à préparer la grève à venir. Division sexuelle de la répartition des tâches, prises de parole majoritairement masculines et reproches de diviser le mouvement lorsque des critiques féministes s’élevaient ne sont que quelques-uns des exemples qui poussèrent les féministes à s’organiser entre elles.

Autre fait à rétablir, largement passé sous silence : la cible de notre action du 18 juin était double. Déguisées en mimes, nous étions près de l’entrée de la salle. Sur des pancartes, des citations sexistes d’humoristes au programme. Mais également une bannière où était inscrit « Y’a personne comme la CLASSE pour marchander ses principes féministes », en référence au slogan de la CHI, « Y’a personne comme un humoriste pour savoir que la farce a assez duré ». Notre colère avait en effet été déchaînée par la promotion du spectacle que les exécutants et exécutantes de la CLASSE, les gens élus, avait faite sans consulter qui que ce soit. Nous avons donc pris le relais et déclenché un débat public nous-mêmes. Il aura fallu que nos critiques s’élèvent en vacarme pour que l’annonce soit finalement retirée du site internet. Or, La CLASSE se présente publiquement en tant qu’organisation démocratique, combative et féministe, notamment en raison des revendications sensées orienter sa pratique. L’ASSÉ, à la base de la CLASSE, se positionne en effet en paroles « contre toute forme de promotion d’un idéal féminin et masculin standardisé » et contre « tout concept relié à la femme-objet ». Même chose pour l’idéal hétérosexuel standardisé, qui est également à décrier. Or, lors du fameux spectacle, le public eut droit à une longue tirade sur le fait que Louis-José Houde semblait ne pas avoir de pénis. Un spectateur se fit même apostropher : « Avoue, toi, que t’aurais pas peur que ta blonde parte avec Louis-José Houde ! » Pourquoi ? Parce qu’il ne correspond justement pas à cet idéal masculin hétérosexuel standardisé. Ce spectacle, nous y avons effectivement assisté, et, à dire vrai, ce à quoi le public eut droit, ce fut à un cours 101 sur les idéaux masculin, féminin et hétérosexuel standardisés. Un humoriste, lors du spectacle, nous suggère de remplacer le carré rouge par le carré pénis, une solution marketing pour revamper le conflit. L’avantage ? Tous les pénis sont différents. Et si jamais on a déjà vu deux pénis pareils, c’est qu’on en a trop vu. Encore, encore, cette image de la salope. On vous passe le reste du champ lexical phallique de la soirée. De la déjection culturelle réchauffée, redondante, de mauvais-goût, puérile, insipide, de profonds ressacs de redites ânonnées, certes, certes. Mais le problème est loin d’être d’abord et avant tout celui-là.

Si vous ne devez retenir qu’une chose de ce texte, retenez la phrase suivante : la problématique cruciale de ce type d’humour est qu’il est dégradant et qu’il brise tout simplement des vies. On ne parle pas seulement des blagues rabaissantes, qui affectent réellement l’estime de soi d’un large pan de personnes, mais aussi de celles qui entendent édicter les normes de ce qu’est une femme, de ce qu’est un homme et de la manière dont nous devrions vivre notre sexualité, le refus d’obéir à ces diktats étant une faute assez grave pour devenir la risée des bien-pensants et bien-pensantes de l’humour industriel. Mais, surtout, et ce sur quoi nous insistons plus que tout : les blagues de ces humoristes légitiment et renforcent plusieurs formes de violence envers des populations opprimées. Cette situation de collaboration étroite entre l’humour et la reproduction et la légitimation de la violence fait des humoristes des complices des crimes qu’ils banalisent, et ils sont en ce sens des ennemis de la justice sociale que nous n’aurons par conséquent de cesse d’attaquer, jusqu’à ce que leur tribune s’écroule.

Par la suite, des féministes déposèrent une proposition en congrès à l’effet que la CLASSE refuse d’encaisser l’argent que les décideurs et décideuses avaient accepté par une entente écrite en bafouant ses principes démocratiques et féministes. Alors, il y eut débats dans les assemblées et en congrès. Mais si le groupe externe de féministes que nous sommes n’avait au préalable rien dit ni rien fait, l’histoire se serait déroulée tout autrement, et il y a fort à parier que les coffres de la CLASSE se seraient regarnis. C’est du moins ce que le courriel d’un ancien exécutant de la CLASSE en réponse à nos protestations laissait envisager : « Si nous ne voulons pas faire faillite et pouvoir continuer notre lutte, nous avons besoin d’amasser énormément d’argent dans les prochains mois. En ce sens, nous ne pouvons nous priver d’aucun don provenant d’individus ou de groupes qui nous appuient. » Au prix de nos principes. La marchandisation, c’est exactement ça. Et c’est ce contre quoi on se bat.

La beauté de la chose, c’est que l’attitude scandaleuse d’élu-e-s de la CLASSE nous a raffermies dans notre volonté de demeurer indépendantes vis-à-vis de celle-ci. En aucun cas ne nous tairons-nous. Nous ne marchanderons jamais nos principes pour de l’argent, encore moins pour l’appui populaire. Nous continuerons de dénoncer ce que nous croyons devoir dénoncer, même s’il faut pour cela s’attaquer aux organisations dont nous sommes membres. À plus forte raison, en fait, si c’est le cas, car critique bien ordonnée commence par soimême. Aux nombreux reproches de diviser le mouvement que nous avons dû encaisser pour avoir osé prendre parole, nous répondons ceci : si la CLASSE avait décidé d’accepter l’argent et d’aller de l’avant avec sa vision capitaliste de la survie, c’est elle qui aurait divisé le mouvement, puisqu’elle se serait alors privée de l’appui de plusieurs personnes vivant des oppressions spécifiques et qui s’investissent activement dans le mouvement depuis le début. Il est absolument certain que nous n’aurions pas été les seules à déserter. Une organisation saine et réellement progressiste, si ce mot veut encore dire quelque chose, en est une qui favorise la confrontation d’idées, et, plus que tout, qui ne brandit pas l’épouvantail de la division du mouvement au moindre signe de dissension. Nous avons bel et bien le sens de l’humour, et nous savons reconnaître une bonne blague lorsqu’elle se présente. Ainsi, une chose aura été drôle dans toute l’histoire : que nous soyons celles accusées de censure alors qu’un processus dialectique riche et complexe est en train de se faire mettre à mort par la bureaucratie institutionnelle et par un désir pathologique du consensus et de l’harmonie.Des féministes en grève, membres du

Comité femmes GGI

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