mardi 17 juillet 2012

Le manifeste de la CLASSE et Normand Lester.

Sans doute dans l'objectif de se faire de la publicité, le «journaliste» Normand Lester a décidé de comparer la CLASSE aux fascistes italiens dans une de ses chroniques publiées sur Yahoo. Il relève quelques prétendus points en commun entre le Manifeste de la CLASSE et le discours de Mussolini, dont des références à une certaine critique du capitalisme. Très choquant et qui vaut aussi la peine d'être noté: la moitié de l'article, ou presque, qui vise à dénoncer le féminisme.

Je n'ai pas l'intention de reprendre l'argumentation de Lester point par point: elle est de toute façon pitoyable. Je souhaite seulement rappeler qu'au cours des derniers mois, on a reproché à beaucoup de personnes appuyant les contestataires de faire un rapprochement entre Hitler et Charest, une comparaison qui est, bien certainement, également exagérée. Ce rapprochement, notamment fait sur Twitter par des quidams, mais aussi par les Justiciers Masqués sous le couvert de l'humour, a fait réagir les médias de masse. Des manifestant-e-s ont aussi fait des saluts nazis aux policiers pour dénoncer leurs abus. Plusieurs ont trouvé ça inacceptable, dont le B'nai Brith, sans surprises.


Mais il me semble maintenant que les anti-printemps devraient se regarder en face. Leurs tenant-e-s, libéraux/ales ou pas, utilisent aussi ce type de comparaison quotidiennement[1]. Cette enflure verbale a déjà fait l'objet d'un article du Devoir sur lequel Lester aurait peut-être dû méditer, bien que l'auteur, Antoine Robitaille, tourne décidément les coins rond et manque de profondeur dans ses analyses[2]. La différence la plus majeure? Eh bien les anti-printemps qui se livrent à cet exercice méprisant sont souvent des personnalités publiques qui écrivent dans de grands quotidiens. Vachement plus visibles que quelques individus avec trois abonné-e-s sur Twitter, ou même Dan Bigras.

Quelques détails sur la gauche et le discours fasciste

Ceci est une très courte synthèse de ce que je pense des supposés liens entre la gauche et les fascismes. Désolé de ne pas être davantage documenté.

Faire un rapprochement entre quelques éléments de discours n'est pas suffisant pour déterminer si une institution est l'héritière du fascisme. Tout d'abord parce que les fascismes sont nombreux et les écrits phares de ces courants divers comportent des incohérences multiples. Les fascismes tirent dans tous les sens. Les fascismes détestent tout, incluant le capitalisme... qu'ils pratiquent pourtant, dans les faits, avec entrain.

Par ailleurs, cette critique du capitalisme est ostentatoire mais pas mise en pratique. Elle est essentiellement de nature démagogique et sert d'outil de séduction des classes populaires. (Et pourtant, selon Bourrin - et repris ici par Wikipédia - ces classes populaires étaient sous-représentées dans l'électorat nazi. Ce sont en effet les classes moyennes qui semblent le plus attirées par ce type de discours haineux et manipulateur, de même que certaines élites, dont les étudiants de l'époque - qui provenaient bien entendu pour la plupart de milieux aisés; rappelons que nous sommes dans les années 30).

Pour en finir avec les gauchistes et les nazis, on suggère un peu partout que plusieurs des membres du KPD (Parti Communiste d'Allemagne) faisaient des allers-retours entre leur parti et le parti national-socialiste avant la prise de pouvoir par Hitler. Selon plusieurs, c'est suffisant pour affirmer que, hors de tout doute, « les extrêmes se rejoignent ». Or, lors des jeux d'alliance de partis politiques qui ont caractérisé les années 30 en Allemagne, seule la gauche (SPD et KPD) s'est réellement opposée à Hitler. Qu'ont fait la droite conservatrice et le centre catholique? Eh bien ils se sont ralliés à lui et à son parti, votant en faveur de la loi des pleins pouvoirs. Dire que les « extrêmes se rejoignent » est selon moi un sophisme. J'ai une autre théorie: il y a plus qu'un axe dans le spectre politique. Le célèbre Political Compass que je ressors des boules à mites se limite à deux[3]: l'axe gauche/droite bien sûr, mais aussi l'axe autoritaire/antiautoritaire. Si vous êtes un-e autoritaire, que vous êtes un peu à gauche ou à droite et que par-dessus tout, vous êtes nationaliste et un peu con-ne, il y a de fortes chances pour que vous soyez en mesure de fréquenter, dans la même mesure, des néonazi-e-s et des stalinien-ne-s. Parce que ce qui vous touche, en fait, ce n'est pas vraiment la justice sociale ou la prétendue libre-entreprise, mais l'Ordre. Les extrêmes qui se rejoignent n'est qu'une vue de l'esprit. Les autoritarismes se rejoignent. C'est tout. Mais tous les « extrémistes » n'en sont pas.

D'autres cas

La droite - et parmi elle Normand Lester - associe souvent Mussolini à la gauche, notant sa jeunesse pendant laquelle il s'affiche socialiste. Un tel argument est assez pathétique, voire irrecevable, d'autant plus que le célèbre Duce a été expulsé du Parti Socialiste Italien. Et il semble lui avoir rendu la monnaie de sa pièce: comme Hitler plus tard, il exécute les gauchistes, les force à l'exil. Je ne nie pas que plusieurs gauchistes - dont beaucoup de «socialistes» - aient pu être mouillés dans des affaires dégueulasses sous son règne. Mais on retrouve réellement chez la dictature fasciste italienne les éléments de la gouvernance de droite habituelle: complaisance des autorités traditionnelles, séduction de la grande bourgeoisie, glorification irrationnelle du patriotisme, colonialisme, loi et ordre.  Dire que Mussolini était de gauche, et faire de la CLASSE son nouvel avatar, c'est d'un ridicule absolu.

Et qu'en est-il du fascisme à la Franco? Pendant la guerre civile espagnole, les camps étaient bien divisés: la gauche était anti-franquiste. Mais qu'était Franco au juste, à l'origine? Ah oui, j'avais oublié.

Un simple nationaliste conservateur.

La question cruelle


Si on veut comparer la CLASSE à Mussolini et autres fascistes, il faut en quelque sorte faire fi du contexte et donc du canyon qui sépare 1924, 1933 et 1939 de 2012. Mais si on faisait un pont?

Alors il faudrait peut-être se poser la question: est-ce que la CLASSE aurait appuyé Mussolini en 1924? Aurait-elle été du côté de Franco? Aurait-elle engagé ses manifestant-e-s dans une grande marche de chemises brunes en Allemagne?

La réponse, c'est que c'est fort peu probable. La CLASSE s'est toujours posée en ennemie de l'autoritarisme. Et elle n'aime pas les chefs; surtout pas les siens. Elle ne cherche pas à prendre le pouvoir et ne soutient aucun parti politique. C'est d'ailleurs ce qu'on lui reproche le plus souvent - par incompréhension, mais aussi par conservatisme. Souvenons-nous que même une faiseuse d'opinion de centre-gauche a enjoint la CLASSE à abandonner la démocratie directe afin de mettre tous les pouvoirs dans les mains de Gabriel Nadeau-Dubois, ce qui est d'une stupidité rare.

Et si on poursuivait la transposition? Si un-e leader charismatique se présentait aux élections en désignant un groupe ethnique quelconque comme responsable de nos souffrances et/ou prônait le retour à l'Ordre, à grands renforts de flics et de militaires, qui serait susceptible de l'appuyer? Qui est assez parano, déconnecté-e et assoiffé-e de répression pour se laisser prendre? La gauche?

Ou...

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[1] Un autre exemple: rappelez-vous l'article ignoble de Joseph Facal, suggérant qu'il serait condamné à mort sous le régime de Québec Solidaire.
[2] Il aurait été par exemple honnête d'avouer que d'authentiques néonazis ont encouragé le recours à la violence contre les grévistes, dont le fameux haut-fonctionnaire dont plus personne ne parle depuis qu'il a été « sanctionné », des militaires canadiens, d'autres individus un peu glauques, etc. Et puis des informations récentes nous révèlent qu'Alain Soral, ce néonazi qui s'assume très mal, « soutient » le mouvement de contestation, essentiellement pour des raisons raciales. Il y aurait en effet une guerre de civilisation entre « monde anglo-saxon » et « système égalitaire chrétien catholique à la française ». Adaptant Hitler, il fait la promotion du pan-francisme, et dépeint la lutte étudiante comme héritière du Gaullisme, une troisième voie rejetant à la fois le soviétisme russe et le capitalisme anglo-saxon! Nous reparlerons peut-être de cette notion de 3e voie.
[3] Mais on pourrait en ajouter plusieurs.

2 commentaires:

  1. «Dire que les « extrêmes se rejoignent » est selon moi un sophisme.»

    Tu le démontres très bien!

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  2. Merci!

    J'ai décidé d'écrire trois autres billets sur un sujet plus large. Ce sera laborieux. Je publierai le premier de la série ce soir. Ce sera un long détour pour enfin revenir sur la question de l'article de Lester.

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