Normand Lester, dans son texte imbécile
que j'espère être de tout coeur plein de deuxième degré (mais j'en
doute), cite Jacques Doriot, fasciste français, afin de faire le
rapprochement entre la démocratie directe et Mussolini. Mais voyons,
c'est évident que la démocratie directe est l'apanage du fascisme! Clair
comme de l'eau de roche.
Le problème, c'est que Lester
ne dit pas d'où vient cette citation. Je n'ai pas réussi moi-même à la
retrouver. Si vous savez d'où elle vient, merci de le signaler.
Il
faut aussi connaître l'histoire de Doriot et de son parti, le Parti
Populaire Français (PPF). Et surtout une de ses composantes idéologiques
majeures qui est fondamentale au fascisme: l'exaltation de la Nation.
Par ailleurs, il est essentiel de noter que Doriot n'est pas qu'un
ancien communiste (à l'instar de plusieurs autres membres de son parti): c'est aussi un anticommuniste véhément
dans les années 30. Certaines de ses citations illustrent très bien ce
que j'essaie de prouver à l'intérieur de cette série de billets:
«
Il faut lutter sur deux fronts. Contre les deux cents familles
capitalistes et contre l'état-major communiste, parfois complices contre
le pays.»[1]
Comme l'Église catholique avant lui, il
s'attaque donc aux deux autres voies et n'épargne surtout pas le
libéralisme politique. La solution de son parti? Le corporatisme.
Le spécialiste Jean-Paul Brunet cite Loustau, un autre théoricien du parti: « La
solution est dans une collaboration des patrons et des ouvriers, dégagée
des influences politiques et soumise à l'arbitrage d'un État inspiré du
souci de l'économie nationale et de la justice sociale. [2] » Bien
entendu, cette collaboration ne s'obtient pas sans l'abolition du droit
de grève. Notons également que le PPF a sévèrement dénoncé le Front
Populaire, cette coalition de gauche - menée par Léon Blum - arrivée au
pouvoir en France en 1936.
Selon Wikipédia: « L’objectif selon le leader du Parti populaire français est de défendre les libertés prétendument bafouées par le Front populaire »... par une alliance des droites.
En
résumé des deux derniers billets: les fascistes des années 30 ne sont pas de gauche, ni
socialistes. Beaucoup sont cependant issus des milieux communistes et
socialistes; pourtant, ils ne gardent que peu de liens avec leurs idéaux
de jeunesse, sauf le rejet du capitalisme libéral. Par ailleurs, beaucoup de fascistes proviennent aussi de
milieux conservateurs, ultramontains, de droite, etc. Ça, on en parle
moins. La mécanique de la montée en puissance de cette idéologie n'est
pas aussi simple que le croient plusieurs partisan-e-s de la droite.
Simon Sabiani, un bon pote de Doriot, disait d'ailleurs:
« Ni gauche, ni droite: France d'abord! » Tous ces autoritaires, issus
des milieux bourgeois ou prolétaires, se rejoignent sur un point:
La nation! Pour le reste, c'est flou. Sans doute volontairement.
La Troisième Voie ressuscitée
Aujourd'hui, plusieurs mouvements ont revendiqué cette appellation de "troisième voie", ou du moins occupé ce rôle d'alternative située
entre le gauchisme d'orientation socialiste ou sociale-démocrate, et la
droite libérale ou conservatrice. Le populisme est un des attributs
principaux de ces regroupements. On n'a qu'à mentionner le Crédit social au Québec, et son descendant lointain l'ADQ.
Mais
plus récemment, cette expression a été revendiquée par des groupuscules
bien plus radicaux. Très nationalistes et racistes, ils se disent
néanmoins solidaristes. Ici, aucune comparaison à faire avec Québec Solidaire. Les solidaristes sont des nationalistes révolutionnaires
qui, comme leurs prédécesseurs fascistes, populistes, corporatistes
chrétiens, etc., refusent à la fois le communisme et le libéralisme
économique et s'imposent comme une voie non pas intermédiaire comme les
centristes classiques ou les modéré-e-s, mais comme alternative, située sur un autre plan.
Leur utilisation du terme «socialisme» a la même valeur que son utilisation dans le mot «nazi». C'est un socialisme sans
internationalisme, sans aide aux immigrant-e-s, contre l'émancipation
des femmes, pour la famille et les valeurs traditionnelles, et qui
ostracise tout ce qui bouge. Ce n'est en bref pas du socialisme.
Plusieurs contestent la
xénophobie et le néonazisme de Troisième Voie. C'est ridicule. Troisième
Voie (France) vient d'annoncer un week-end d'activités pendant lequel
se tiendra un concert du groupe français Lemovice.Voici un des extraits
d'une de leurs chansons:
« Depuis le débarquement des Alliés
La France est endoctrinée
Mai 68 et guerre d'Algérie
La population blanche est meurtrie
[...]
Mais nous ne baisserons pas les bras
Les gauchistes ne vaincront pas.»
Cela n'empêche pas Troisième Voie Québec et Alain Soral
d'appuyer le mouvement étudiant pour des raisons assez spéciales. Un
appui qui dépasse bien entendu la question de l'accessibilité aux
études, et que Soral transforme en guerre de civilisation qui ferait
rage entre modèle anglo-saxon et pan-francisme. Un appui, finalement,
qui ne sort pas d'un certain cadre racial. Détrompez-vous. Il ne s'agit
pas d'un appui réel, mais d'une tentative de récupération.
Rappelons
aussi que de nombreux néonazis, en revanche, menacent le mouvement de
contestation depuis le début de la grève étudiante. Nous en avons déjà
parlé. Il ne faut pas non plus se leurrer: les fachos ne sont pas du
côté des gauchistes. Pratiquement jamais. Leur socialisme, s'il y a lieu, n'est pas de gauche. Pour mieux l'illustrer, l'ancêtre d'un organisme
fasciste français, le Parti Solidaire français, se nommait Droite Socialiste.
***
Pour en savoir plus sur Troisième Voie Québec.
Pour en savoir plus sur le Parti Solidaire.
Dans le prochain article, la conclusion de cette série de billets.
Retour à la Partie 1.
Partie 3 et conclusion
__________
[1] « Notre lutte », éditorial de Doriot, L'Émancipation (de
Saint-Denis), 4 juillet 1936. Cité dans Jean-Paul Brunet, un fascisme
français: le Parti Populaire Français de Doriot (1936-1939). Revue
française de science politique, 33e année, no 2, 1983, pp. 255-280.
[2] Ibid, p. 262.
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Tout ceci me fait beaucoup penser au poujadisme et à l'article de Roland Barthes sur l'anti-intellectualisme (article intitulé : Poujade et les intellectuels, tiré des Mythologies) chez ce genre de parti.
RépondreSupprimerExtrait : Ici apparaît un thème cher à tous les régimes forts : l'assimilation de l'intellectualité à l'oisiveté, l'intellectuel est par définition un paresseux, il faudrait le mettre une bonne fois au boulot, convertir une activité qui ne se laisse par mesurer que dans son excès nocif en un travail concret, c'est-à-dire qui soit accessible à la mensuration poujadiste. On sait qu'à la limite il ne peut y avoir de travail plus quantifié - et donc plus bénéfique - que je creuser des trous ou d'entasser des pierres : cela, c'est la travail à l'état pur, et c'est d'ailleurs celui que tous les régimes post-poujadistes finissent logiquement par réserver à l'intellectuel oisif.
Ouais. Je dois avouer que je ne suis pas encore un érudit en la matière. Mais le poujadisme est en effet revenu à plusieurs reprises dans les articles que j'ai lus sur le sujet. Il me semble notamment que Brunet en parle.
RépondreSupprimerRemarque très pertinente!