jeudi 19 juillet 2012

Une troisième voie? [2]

Normand Lester, dans son texte imbécile que j'espère être de tout coeur plein de deuxième degré (mais j'en doute), cite Jacques Doriot, fasciste français, afin de faire le rapprochement entre la démocratie directe et Mussolini. Mais voyons, c'est évident que la démocratie directe est l'apanage du fascisme! Clair comme de l'eau de roche.

Le problème, c'est que Lester ne dit pas d'où vient cette citation. Je n'ai pas réussi moi-même à la retrouver. Si vous savez d'où elle vient, merci de le signaler.

Il faut aussi connaître l'histoire de Doriot et de son parti, le Parti Populaire Français (PPF). Et surtout une de ses composantes idéologiques majeures qui est fondamentale au fascisme: l'exaltation de la Nation. Par ailleurs, il est essentiel de noter que Doriot n'est pas qu'un ancien communiste (à l'instar de plusieurs autres membres de son parti): c'est aussi un anticommuniste véhément dans les années 30. Certaines de ses citations illustrent très bien ce que j'essaie de prouver à l'intérieur de cette série de billets:

« Il faut lutter sur deux fronts. Contre les deux cents familles capitalistes et contre l'état-major communiste, parfois complices contre le pays.»[1]


Comme l'Église catholique avant lui, il s'attaque donc aux deux autres voies et n'épargne surtout pas le libéralisme politique. La solution de son parti? Le corporatisme. Le spécialiste Jean-Paul Brunet cite Loustau, un autre théoricien du parti: « La solution est dans une collaboration des patrons et des ouvriers, dégagée des influences politiques et soumise à l'arbitrage d'un État inspiré du souci de l'économie nationale et de la justice sociale. [2] » Bien entendu, cette collaboration ne s'obtient pas sans l'abolition du droit de grève. Notons également que le PPF a sévèrement dénoncé le Front Populaire, cette coalition de gauche - menée par Léon Blum - arrivée au pouvoir en France en 1936.

Selon Wikipédia: « L’objectif selon le leader du Parti populaire français est de défendre les libertés prétendument bafouées par le Front populaire »... par une alliance des droites.

En résumé des deux derniers billets: les fascistes des années 30 ne sont pas de gauche, ni socialistes. Beaucoup sont cependant issus des milieux communistes et socialistes; pourtant, ils ne gardent que peu de liens avec leurs idéaux de jeunesse, sauf le rejet du capitalisme libéral.  Par ailleurs, beaucoup de fascistes proviennent aussi de milieux conservateurs, ultramontains, de droite, etc. Ça, on en parle moins. La mécanique de la montée en puissance de cette idéologie n'est pas aussi simple que le croient plusieurs partisan-e-s de la droite. Simon Sabiani, un bon pote de Doriot, disait d'ailleurs: « Ni gauche, ni droite: France d'abord! » Tous ces autoritaires, issus des milieux bourgeois ou prolétaires, se rejoignent sur un point:

La nation! Pour le reste, c'est flou. Sans doute volontairement.

La Troisième Voie ressuscitée

Aujourd'hui, plusieurs mouvements ont revendiqué cette appellation de "troisième voie", ou du moins occupé ce rôle d'alternative située entre le gauchisme d'orientation socialiste ou sociale-démocrate, et la droite libérale ou conservatrice. Le populisme est un des attributs principaux de ces regroupements. On n'a qu'à mentionner le Crédit social au Québec, et son descendant lointain l'ADQ.

Mais plus récemment, cette expression a été revendiquée par des groupuscules bien plus radicaux. Très nationalistes et racistes, ils se disent néanmoins solidaristes. Ici, aucune comparaison à faire avec Québec Solidaire. Les solidaristes sont des nationalistes révolutionnaires qui, comme leurs prédécesseurs fascistes, populistes, corporatistes chrétiens, etc., refusent à la fois le communisme et le libéralisme économique et s'imposent comme une voie non pas intermédiaire comme les centristes classiques ou les modéré-e-s, mais comme alternative, située sur un autre plan. Leur utilisation du terme «socialisme» a la même valeur que son utilisation dans le mot «nazi». C'est un socialisme sans internationalisme, sans aide aux immigrant-e-s, contre l'émancipation des femmes, pour la famille et les valeurs traditionnelles, et qui ostracise tout ce qui bouge. Ce n'est en bref pas du socialisme.

Plusieurs contestent la xénophobie et le néonazisme de Troisième Voie. C'est ridicule. Troisième Voie (France) vient d'annoncer un week-end d'activités pendant lequel se tiendra un concert du groupe français Lemovice.Voici un des extraits d'une de leurs chansons:

« Depuis le débarquement des Alliés
La France est endoctrinée
Mai 68 et guerre d'Algérie
La population blanche est meurtrie
[...]
Mais nous ne baisserons pas les bras
Les gauchistes ne vaincront pas.»

Cela n'empêche pas Troisième Voie Québec et Alain Soral d'appuyer le mouvement étudiant pour des raisons assez spéciales. Un appui qui dépasse bien entendu la question de l'accessibilité aux études, et que Soral transforme en guerre de civilisation qui ferait rage entre modèle anglo-saxon et pan-francisme. Un appui, finalement, qui ne sort pas d'un certain cadre racial. Détrompez-vous. Il ne s'agit pas d'un appui réel, mais d'une tentative de récupération.

Rappelons aussi que de nombreux néonazis, en revanche, menacent le mouvement de contestation depuis le début de la grève étudiante. Nous en avons déjà parlé. Il ne faut pas non plus se leurrer: les fachos ne sont pas du côté des gauchistes. Pratiquement jamais. Leur socialisme, s'il y a lieu, n'est pas de gauche. Pour mieux l'illustrer, l'ancêtre d'un organisme fasciste français, le Parti Solidaire français, se nommait Droite Socialiste.

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Pour en savoir plus sur Troisième Voie Québec.
Pour en savoir plus sur le Parti Solidaire.

Dans le prochain article, la conclusion de cette série de billets.
Retour à la Partie 1.
Partie 3 et conclusion
 
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[1] « Notre lutte », éditorial de Doriot, L'Émancipation (de Saint-Denis), 4 juillet 1936. Cité dans Jean-Paul Brunet, un fascisme français: le Parti Populaire Français de Doriot (1936-1939). Revue française de science politique, 33e année, no 2, 1983, pp. 255-280.
[2] Ibid, p. 262.

2 commentaires:

  1. Tout ceci me fait beaucoup penser au poujadisme et à l'article de Roland Barthes sur l'anti-intellectualisme (article intitulé : Poujade et les intellectuels, tiré des Mythologies) chez ce genre de parti.

    Extrait : Ici apparaît un thème cher à tous les régimes forts : l'assimilation de l'intellectualité à l'oisiveté, l'intellectuel est par définition un paresseux, il faudrait le mettre une bonne fois au boulot, convertir une activité qui ne se laisse par mesurer que dans son excès nocif en un travail concret, c'est-à-dire qui soit accessible à la mensuration poujadiste. On sait qu'à la limite il ne peut y avoir de travail plus quantifié - et donc plus bénéfique - que je creuser des trous ou d'entasser des pierres : cela, c'est la travail à l'état pur, et c'est d'ailleurs celui que tous les régimes post-poujadistes finissent logiquement par réserver à l'intellectuel oisif.

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  2. Ouais. Je dois avouer que je ne suis pas encore un érudit en la matière. Mais le poujadisme est en effet revenu à plusieurs reprises dans les articles que j'ai lus sur le sujet. Il me semble notamment que Brunet en parle.

    Remarque très pertinente!

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