J’en ai attrapé un d’immense taille, l’autre jour. C’est avec mon poing tout entier que je retenais sa queue toute sèche et rugueuse. Ne sachant pas trop quoi faire avec, je l’ai enfermé dans un gros contenant de plastique. Désorienté, il s’était mis à jouer des pattes sur la paroi de sa chambre blanche, tentant vainement de grimper. Le lendemain, j’aperçus dans mon sous-sol deux gros énergumènes de la même espèce, se traîner lourdement, sans s’inquiéter de ma présence, à la manière de ratons laveurs malpropres. Étourdi par le dégoût, j’appelai immédiatement un exterminateur. En moins de trois heures, il était chez moi, cliquetant d’arsenal.
― Il y a du rat par ici.
Reniflant un peu d’air et beaucoup de mucus, se sentant inspiré, l’exterminateur avait confirmé ma constatation.
― Eh bien, on va vous en débarrasser.
Il déplia devant moi tous ses massifs outils de frappe en m’expliquant, avec le ton protocolaire d’un agent recruteur, la nuisance que représentait la racaille parasitant ma maison.
― Les rats détestent les Humains, voilà bien pourquoi ils vivent près de nous. Ils nous jalousent notre liberté, notre nourriture et même nos femmes. Par orgueil seulement, ils s’interdisent notre luxe : pourtant, ils vivent à nos crochets.
Comme de fait, l’exterminateur brandit un gros crochet à rats bien effilé avec lequel il fouetta l’air, enthousiasmé par son utilisation future.
― Il y a des rats partout. De toutes les couleurs, de toutes les formes, de toutes les tailles. Ils sont toujours prêts à nous faire du mal. Ils n’existent que pour nous voler nos droits, nous envahir, brûler tout. Il y a des rats apprivoisés, mais il faut les garder à l’œil, dans des cages.
Je suis curieux.
― Et les souris ? Et les mulots ? Vous les faites aussi ? dis-je.
― Il n’y a que des rats, répondit-il, catégorique.
Il demanda à voir mon exemplaire de cette vermine en captivité. Je lui montrai le bocal blanc. L’exterminateur approcha son museau du museau craintif de la petite créature. Je pensai qu’avec une coiffure convenable, le rongeur aurait peut-être eu une mine moins antipathique. L’exterminateur couvrit l’animal d’une effrayante main gantée : peu après il regardait l’hideuse chose dans ses yeux noirs.
― Les rats sont ma raison de vivre et de tuer, je les aime, dit-il en serrant si fort que son bras en tremblait.
Les craquements d’os se turent quand le rat ne fut plus qu’une gelée dans son sac de peau. L’exterminateur emballa le cadavre, marqua le linceul d’un sceau et le jeta dans un sac. Je ne cessai pas de l’observer durant son opération.
L’exterminateur releva la caboche subitement. Ses moustaches fébriles avaient reniflé quelque chose. Il se tourna vers moi.
― Vous aimez le fromage ?
Bien sûr.
― Vous avez une bonne vision nocturne ?
Euh… Ben… Ouais.
― Vous aimez particulièrement les coins humides et peu éclairés ?
De son crochet à rats qu’il tenait alors sous mon menton dégoulinait une substance poisseuse. Je devinai les pensées de l’homme de métier.
― grrrrmbl, grommela-t-il tout bas, comme si je ne l’entendais pas. Ça se tient comme un rat, ça mange la même chose qu’un rat, ça se dandine comme un rat, ça sent la même chose qu’un rat… Ce doit donc être un rat.
Sur les lèvres de l’exterminateur, l’écume commençait à écumer. Je le rassurai proprement.
― Regardez mes oreilles, mon ami. Regardez mes dents. Ai-je l’apparence, réellement, d’un rongeur ?
L’autre retira son arme de sur ma gorge, mais resta méfiant. DES RATS ! répétait-il. Il y en a partout. Les rats sauvages, qui ne faisaient de mal à personne, en pleine Amazonie, nous menaçaient dans les plantations : ils se cachaient dans les caissons de transport des bananes et nous mordaient à l’ouverture de la cargaison… Les rats des champs donnaient des maladies aux écureuils, qui les amenaient à la ville ensuite.
Soudain triomphant, l’extincteur d’espèces se présenta devant moi, la face remplie de suie.
― J’ai trouvé le nid.
Allons voir.
C’était un petit monticule de sable, surmonté d’un trou béant et sombre.
― Des fourmis, avançai-je, scientifique.
― Des rats, répliqua l’autre en saupoudrant généreusement le nid de borax.
L’exterminateur revint à la cuisine, là où il avait laissé tout son matériel, et choisit parmi son armement une petite cage de métal. Il en laissa sortir un petit animal maigre, à la truffe allongée et humide, au faciès anxieux et aux yeux comme des billes d’ardoise. Ses petites pattes, griffues et tremblotantes, étaient presque dénuées du poil brun et lustré de saleté qui couvrait le reste de son corps. L’homme lui installa un petit collier et une laisse. Circonspect, je déclarai :
― Un rat ! En voici !
L’autre, insulté, rétorqua :
― Non, c’est un chat.
dimanche 15 juin 2008
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