mardi 17 mars 2009

Maudit 15 mars.

Bon, je l'avoue, j'étais là avant-hier, à la manif organisée par le Collectif Opposé à la Brutalité Policière. Je ne me suis pas pitché pour le dire sur mon blogue, dans un premier temps, parce que j'étais terrifié à l'idée que la police décide que mon témoignage était un acte illégal. Mais comme il y a déjà eu 221 arrestations (la police a eu son bonbon), que je n'ai rien fait de mal et que plusieurs autres personnes ont avoué leur péché avant moi, (c'est le cas de la blogueuse de Chercher les poux), je sors du placard.

Je vous avertis à l'avance, j'aime les détails[1].

Alors que je lis un essai fort intéressant sur la XXVe dynastie soudanaise, appuyé sur un poteau de wagon de métro, la ligne orange s'arrête à la station Beaubien et on nous conseille d'évacuer et d’attendre une navette. Impatient, je sors et je décide de marcher plutôt que d’attendre un bus qui ne devait jamais se pointer de toute manière. J'arrive sur Mont-Royal à 14h00. Il y a déjà pas mal de monde, peut-être 700-800 personnes. Ajoutons à ça plusieurs touristes, une dizaine de chevaux et plusieurs autres euh... mammifères casqués. Nous attendons sur place pendant un certain temps. Le bruit court, dans l'air, que le métro a été délibérément bloqué à la demande de la police pour empêcher les gens de se rendre à la manifestation. (Je n'y crois pas vraiment, même s'il est clair que les forces de l'ordre, parfaitement au courant, en ont profité pour martyriser des punks qui se dirigeaient à pieds vers la station Mont-Royal, et que déjà à la hauteur de Bellechasse, des polices étaient parquées sur le bord de la rue juste dans l'espoir de nous voir passer et d'avoir la chance de nous intimider. Voici le témoignage troublant d'une manifestante ayant assisté à l'arrêt du métro.)

J'ai retrouvé quelques ami-e-s ayant autrefois participé à la formation d'un certain comité dans une certaine institution universitaire. Faible sourire. Je pense que je vais faire un tour ailleurs. Je contourne la station Mont-Royal. J'ai l'habitude, dans les manifs, de visiter les environs pour repérer les escouades anti-émeutes, qui gisent parfois éparpillées dans les rues parallèles. J'arrive derrière la station juste au moment où quelques policiers harcèlent quatre ou cinq punks, dont une jeune femme de trois pieds et demie. Les flics font mine de nous charger, je m'écarte. Pas d'arrestation.
Je finis par trouver une fille de ma ville natale, avec qui je m'entends bien. Nous discutons un peu. Elle reçoit plein d'appels sur son maudit cellulaire. Deux autres gars finissent par nous rejoindre. Enchanté. Les discours fusent confusément, appelant à la paix et au calme. Ayant écouté, afin de me calmer, les Beatles toute la matinée, je suis déjà dans un état très serein. J'ai apporté, dans mon sac à dos, du Maalox, une bouteille d'eau et une trousse de premiers soins. Pas question pour moi de brasser de la marde.

Peu après les discours, un mouvement se dessine dans la foule de plus de mille personnes qui remplit la place. Les gens se pressent vers l'est, sur la rue Mont-Royal. Surtout des caméras. Paraît qu'un punk a décidé de se battre héroïquement contre un immense légionnaire nubien, ayant pour seule arme ses spikes su'à tête, et qu'on a procédé à son arrestation.

Notre objectif premier était de manifester devant la Fraternité Policière, le "syndicat" ou plutôt la corporation des gendarmes. Cependant, toutes les voies sont bloquées, entre autres par la dizaine de cavaliers[2] montant fièrement leurs fougueuses juments. De plus, un comique a fait exploser une chandelle romaine, ce qui nous vaut une déclaration choc de la part d'un officier de police. "Attention, attention. Ceci est maintenant un attroupement illégal." Quelques personnes répondent en lançant des pelures d'oranges sur les flics. Je regarde avec inquiétude des familles qui ne se doutent de rien passer devant moi, avec leurs poussettes et leurs sourires de beau temps.

Nous nous dirigeons alors vers l'ouest de la rue Mont-Royal. Il y a déjà du trouble, et du poivre de cayenne a été utilisé contre quelques manifestant-e-s. Un hip-hopeux, sans écouter mes conseils, se vide ma bouteille d'eau égoïstement dans le visage (les yeux fermés), ne laissant rien aux deux autres personnes d'à côté, qui m'en demandent aussi. Tant pis, j'entre dans le Café Noir et je réquisitionne leur robinet.

Nous descendons Saint-Denis. La circulation des piétons et des voitures mêlés se fait dans une étonnante harmonie presque organique. À ce moment-là déjà, la manifestation est scindée en plusieurs groupes. L'un d'eux est sans doute encore en train d'affronter plus ou moins les flics sur Mont-Royal, un second tente de nous rejoindre et le dernier, dont je fais partie, est étendu sur plusieurs centaines de mètres et descend Saint-Denis vers je-ne-sais-où. Je rencontre deux bons amis à cet endroit-là et je décide de les accompagner. Nous sommes finalement bloqué-e-s par une escouade, en bas d'une pente[3], à la hauteur de Sherbrooke. Il y a visiblement eu un contact violent, car une détonation retentit et un nuage de gaz lacrymogène s'étend au-dessus du groupe principal que je n'arrive pas à rejoindre assez rapidement pour constater les dégâts. Entretemps, j'apprends que des agents undercover ont arrêté un manifestant pour des raisons obscures, après l'avoir apparemment traîné dans une ruelle avoisinante.

Nous sommes donc refoulé-e-s au Carré Saint-Louis, et nous empruntons une autre rue pour atteindre Sherbrooke afin de nous diriger vers le centre-ville. Mes amis et moi finissons par rejoindre le gros de la manif. Nous passons devant le Hilton Garden, dont la vitrine a été fracassée par une poubelle volante.

Plus loin, nous décidons de bifurquer encore une fois vers le sud, mais nous sommes à nouveau bloqué-e-s. Cette fois, la police, impatiente, nous charge. Nous avons alors deux choix: monter sur University ou reculer. Et c'est là, vers 15h45, que commence une poursuite sans fin. Avec une grande prestance, nous montons la côte boisée, suivi-e-s de près par une cohorte entière. Je perds de vue mes amis et je glisse de l'avant à l'arrière de la manif. Terrorisé, j'emprunte un passage piétonnier de McGill pour me retrouver dans un endroit douteux. Je débouche sur Docteur-Penfield, où je retrouve quelques connaissances, ainsi que ma compatriote régionale. Ils ont été dispersés et se reposent à l'abri. Nous voyons, au loin, un groupe d'environ 400 manifestant-e-s descendre ce qui me semble être l'Avenue Des Pins, de l'autre côté du Parc Rutherford. Ils sont poursuivis par une légion entière de cosmonautes. Une autre légion, accompagnée d'un groupe de néo-nazis (?) faisant sans s'inquiéter le salut hitlérien, descend en même temps Docteur-Penfield, souhaitant sans doute en finir avec les rebelles sur McTavish. Nos camarades échappent au désastre anticipé et jouent au jeu du chat et de la souris pendant une heure encore. Une heure pendant laquelle je vais tenter par tous les moyens de rejoindre la marche, sans autres indices toutefois que le bruit des hélicoptères et le déplacement d'autopatrouilles abîmées par des projectiles.

Un peu avant 17h00, je retrouve un groupe au coin de Bleury et de Sainte-Catherine. Une connaissance m'aborde, survoltée. Les policiers ont pris les manifestant-e-s en souricière et il est un des seuls à être parvenu à échapper au piège. Une cinquantaine de prisonniers et prisonnières, l'air exténué, sont en effet tenus en respect, entassé-e-s contre une clôture comme un troupeau de bovidés. Des militant-e-s rescapé-e-s enjoignent les passant-e-s à rester sur place afin empêcher la police de brutaliser les futur-e-s accusé-e-s. Plus bas sur Bleury, quelques punks essaient de harceler un mur de boucliers à l'aide de projectiles divers. Ils reçoivent un fumigène vert en pleine gueule. Les policiers trouvent ça drôle. Ils piaffent en exhibant à la foule leur prise de la journée, qui, à la manière des prisonniers gaulois de Jules César, attendent la fin du Triomphe. On dirait une exécution publique. J'examine le contenu du bloc compact des détenu-e-s: je connais une personne... Et je remarque que plusieurs individus parmi eux ne ressemblent pas vraiment à des manifestant-e-s.

Le triomphe policier est de courte durée: quelques radicaux ont décidé de tenter une dernière contre-attaque. En effet, l'Escouade, dans son grand empressement à enfermer les quelques lambeaux de punks parias regroupés sur Sainte-Catherine, a laissé sans surveillance une dizaine de fourgonnettes de la police et d'autopatrouilles. Le rebord du toit d'un édifice s'étant partiellement effondré, quelques zélé-e-s profitent de cette abondance de matériel pour fracasser les vitres d'une fourgonnette de la police laissée en désérance. La casse se poursuit un moment. J'ai peur pour ma liberté: j'abandonne la foule de curieux et je fonce vers Saint-Alexandre. Ça peut paraître assez peu logique, car en vérité je me précipitais vers le grabuge; mais pour éviter de me faire prendre en souricière, c'était le chemin le plus sûr. Comme de fait, j'arrive sur Saint-Alexandre alors qu'une escadrille manoeuvre en vue de bloquer le passage. Je suis repoussé par les flics vers le nord, à l'instar de plusieurs passant-e-s qui geignent en se faisant bousculer. Les gens sont effrayés par les policiers, qui se montrent brutaux et hurlent des ordres incompréhensibles dans une langue monosyllabique. J'essaie de rejoindre mes camarades en empruntant une autre rue. Je croise deux punks. Ceux-ci, peinards, observent la scène. Cinq policiers, dérangés par notre présence pourtant si inoffensive, se mettent à notre poursuite, gratuitement. Nous courons sur 100 mètres. Un couple d'Asiatiques, effrayé, est poussé contre un mur de briques.

Toutes les issues sont bloquées. Il n'y a rien à faire. Je ne saurai jamais ce qu'il adviendra de mes ami-e-s retenu-e-s en otage[4]. Je dois me faire à l'idée. Je m'engouffre dans la station McGill. Sur le tableau d'affichage électronique du métro, du texte défile en nuées de pixels. "Proverbe yougoslave. Celui qui n’a jamais vu de château admire une porcherie."

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[1] Si vous ne connaissez pas Montréal, cliquez sur ce lien pour vous faire une idée de l'itinéraire suivi par la manif.
[2] Cyrus Le Grand avait trouvé un moyen sûr de se débarasser de la cavalerie ennemie en employant des chameaux. Les chevaux de l'armée adverse, terrifiés par l'odeur agressive des ruminants, paniquaient, donnant la victoire aux Perses.
[3] Ne restez jamais massé-e-s face à un escadron qui vous surplombe, car celui-ci a l'avantage de la position.
[4]Témoignage anonyme trouvé sur le blogue de Pwel: "J'étais dans le groupe encerclé coin bleury/st-cath. On est resté bloqué et/ou tie-rappé genre 6h !?! Et ya jamais été question de boire, appeler ou voir un avocat... A la fin on nous a conduit par petit groupe au quatre coins de la ville."

8 commentaires:

  1. Merci pour cet itinéraire détaillé. Qu'en est-il de l'incendie que tu étais censé aller voir de plus près ?
    Fred et moi faisions partie de la "ligne verte" et nous sommes sauvés avec une douzaine de gens vers le Mont-Royal, poursuiviEs par des flics à vélo et à pied en plus grand nombre encore.
    À 17h-17h30 environ, le QG du SPVM (le bureau de la Fraternité) était encore protégé par des barrières de fer surmontées d'un flic à chaque voie. Celui interpelé aura au moins eu la gentillesse de nous expliquer la raison de tout cet attirail anti-char.
    Arrivés sur les lieux de la Place des Arts à la fermeture du rideau, nous avons eu le loisir d'être face à deux rangées de flics (une à pieds, l'autre à cheval) qui protégeaient un espace vide, les arrestations étant en cours une centaine de mètres plus loin.

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  2. Bonjour !

    Puis-je utilisé votre témoignage (et, si possible, celui de vos amiEs) dans un blogue nommé Reactionism Watch ?

    Nous tentons de rassembler tous les témoignages possibles, photos et vidéos afin de dénoncer les abus et brutalités grotesques des policiers dimanche après-midi alors que les médias de masses n'ont pas dit un seul mot à ce propos.

    Si vous acceptez, visitez le lien suivant : http://reactionismwatch.wordpress.com/2009/03/16/retour-sur-la-manifestation-du-15-mars-bientot/

    Merci !

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  3. Camarade Tova: pas de trouble, c'est du domaine public. Même si au bout du compte, je n'ai pas vu grand-chose.

    Steffen: Il semble que l'incendie était circonscrit dans une poubelle. Mais je n'ai pas eu le temps de voir précisément de quoi il s'agissait, j'ai dû rebrousser chemin pour rattrapper la manif qui montait sur University. Ma maudite curiosité a fait que je n'ai jamais pu vous retrouver.

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  4. Je ne crois pas qu'il est dans l'intérêt des anarchistes de participer à une telle manifestation.

    Tout de même un billet fort intéressant.

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  5. Un bien bon billet camarade!
    J'apprécie vos commentaires.

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  6. Content d'avoir votre "point de vue anarchiste", Anarcho-Pragmatiste, mais je fais ce que je veux.

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  7. eh, je crois savoir qui à allumé ton feu de poubelle.......

    Ce genre de témoignages devrait passer dans les médias. Pour avoir vu les choses de loin sur mont-royal cette journée là, je crois que il y a eu une réelle désinformation sur l'événement.

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  8. En tout cas, il y a eu incompréhension. Martineau parle d'ados avec des I-Pod (comme moi par exemple, bien que j'aie pas de baladeur), alors qu'il me semble avoir plutôt vu une grande participation de jeunes de la rue en haillons, et plusieurs vieux itinérants aussi, même si ces groupes ne constituaient pas la majorité des participant-e-s. Je parle de Martineau, mais c'est la même chose pour les autres chroniqueurs/euses. On refuse de voir la violence comme la conséquence d'un problème social.

    On ne cherche pas à comprendre non plus la frustration de ces gens qui ont foutu du bordel. C'est clair qu'on ne tape pas sur la police et les braves gens juste pour le fun. Tant qu'à y être, pour reprendre la logique méprisante de Martineau, c'est bien mieux de rester dans le sous-sol de papa-maman et jouer à la Wii en buvant de la bière et en crevant ses boutons d'acné.

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