Nous étions environ vingt-cinq mille à parader dans les rues du centre-ville, cet après-midi, afin de défendre le secteur public (?) contre les attaques de Jean Charest et de son gouvernement. La manifestation s'est déroulée dans le calme, tel que prévu par les organisateurs/trices syndicaux.
Je dois avouer que je n'ai pas pu m'empêcher de trouver l'exercice humiliant.
Les banderolles des petits syndicats n'étaient pas les bienvenues: il fallait, comme me l'a dit une membre du service d'ordre, tenir un discours "unitaire"... unir tout le monde sous une même bannière et une même couleur (le vert pomme). Les gens qui portaient autre chose que la couleur officielle étaient interpellés: on leur demandait de replier gentiment leurs torchons. Dans l'ordre et la discipline.
Sept-huit anarchistes ont été pris à partie par trois dossards oranges: ils/elles attendaient sur un coin de rue avec leurs drapeaux rouge et noir que la marche démarre. Ce n'était pas une attitude permise: il fallait que les organisations appuyant le Front Commun restent à l'arrière du cortège. Ici, c'était la place des syndiqué-e-s de l'Estrie. "On est pas le premier mai." Un camarade a par accident bloqué l'objectif de mon appareil-photo avec son drapeau à ce moment-là. Cela a eu l'effet heureux de ne cacher que les militant-e-s.
Les gens sont pris pour des cons dans ces manifs de camp de vacances, ces protestations de garderies, durant lesquelles des haut-parleurs crachent des tounes pastichant Passe-Partout. Et dire qu'on s'étonne après que la foule ait l'intelligence d'un enfant de cinq ans.
Je trouve que c'était une mauvaise idée d'imposer une esthétique, avec UNE pancarte et UN drapeau: la manifestation donnait l'impression de n'être qu'un festival corporatiste ordinaire. Normal: c'était un festival corporatiste ordinaire. Mais on aurait pu au moins tenter de le camoufler en distribuant autre chose que des affiches toutes pareilles. Mauvaises relations publiques.
Je me suis fait un peu piéger dans le fatras des idées pas claires énoncées avant la manif: comme d'autres j'ai été le pantin d'un pouvoir syndical en négo. Et non pas un citoyen inquiet de voir les services publics se faire restructurer par la mafia entreprenariale et ministérielle.
Il y a ce gars de Rue Frontenac qui m'a proposé de signer sa pétition. Je lui ai demandé comment les choses se dérouleraient à leur retour au travail, s'il y a lieu. Il m'a répondu que ce serait laid. Je lui ai demandé pourquoi ne décidaient-ils tout simplement pas de laisser faire le Journal de Montréal et de continuer avec Rue Frontenac. Il m'a dit que ce serait trop dur de commencer un nouveau journal. Trop dur. Est-ce plus facile de lutter sans salaire contre les chiens de Québécor? J'ai signé leur pétition malgré tout. Même si leurs articles sont souvent infâmes. Même si bien égoïstement, je préfèrerais pouvoir continuer de lire Rue Frontenac plutôt que de les voir retourner au stade anal dans leur feuille de chou.
Le service d'ordre de la manifestation était plus présent que jamais: il fait maintenant définitivement partie de la culture syndicale. "N'embarquez pas sur le trottoir." "Allez à l'arrière." "Attendez qu'on vous nomme avant de partir." Une policière syndicale a justifié ces mesures en disant que c'était la manifestation du Front commun. Sous-entendu: les citoyen-ne-s non-affilié-e-s sont invité-e-s à participer sous condition. Ils doivent rentrer dans le rang et fermer leur gueule.
Les leaders syndicaux n'aiment pas que le gouvernement divise les syndicats pour régner. Ils préfèrent que cette initiative leur revienne. Les organisateurs/trices avaient donc un beau plan pour la marche: ils ont divisé les gens selon leur région. Puis nous avons marché.
Et quelle marche! Après 500 mètres c'était déjà terminé. En face des bureaux d'Ultramar, une deuxième scène avait été installée, avec deux écrans géants montés sur des grues. J'ai eu le temps de faire l'aller-retour avant que la queue de la marche ne fasse un pas en avant, toujours bloquée sur la place du Canada... et attendant leur tour. À l'heure où j'écris, ils y sont peut-être toujours.
samedi 20 mars 2010
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Vous étiez un peu naif de croire que cette manif visait à sensibiliser les gens contre les coupes que Charest et sa gang s'apprête à faire. Après la lecture de votre texte, je constate que ça puait le syndicalisme corporatif à plein nez. C'est ça le problème avec les gros syndicats, ils ont le nez collé sur leurs acquis et oublient de défendre les intérêts de leurs membres et d'autres syndiqués et non syndiqués dont les conditions seraient nettement à améliorer.
RépondreSupprimerSi je peux me permettre de me faire l'avocat du diable deux secondes. Le Front commun tente d'unir des organisations syndicales qui sont habituellement en compétition. Cette compétition passe souvent par une guerre de l'image. T'as les cossins CSN, les cossins FTQ, etc. Je trouve le réflexe de vouloir construire une image «Front commun» distinctive sain. Ça évite justement de conserver les divisions et de construire un «tous ensemble» syndical qui dépasse les corporatisme de chapelle. De même, il y a une raison à vouloir faire défiler les gens en groupe, région par région, syndicat par syndicat. C'est leur tradition.
RépondreSupprimerMaintenant, j'avoue que personnellement je ne me reconnais pas là dedans du tout et que les services d'ordre me font chier. Au final tu ne te sens ni bienvenu, ni intégré à la cause. T'es juste un pion de plus, une masse de manoeuvre.
Mais, bon, c'est pas comme si on savais pas que c'était comme ça une grosse crisse de manif syndicale...
Espérons que le 1er avril sera différent (ça devrait!).
Ouais, Nic, le 1er avril, ce sera sans doute une grosse farce aussi, tout comme le premier mai.... !
RépondreSupprimer;-)
Une dame du service d'ordre m'a en effet expliqué que cet exercice visait à défaire la logique syndicale habituelle dans les marches afin que les gens s'identifient plus au Front Commun qu'à leur centrale. Sauf qu'un drapeau rouge et noir n'est pas un signe de centrale syndicale.
RépondreSupprimerCe à quoi on a assisté n'était certainement pas du corporatisme FTQ ou CSN: c'était du corporatisme à plus grande échelle encore. c'est tout. Sur les drapeaux, il n'était pas écrit "Sauvons les malades", mais "FTQ-CSN-SISP"
T'es déjà allé à la marche de la Terre, Nicolas? C'est tellement différent, et même si parfois quelques ministres y prennent la parole (souvent sous les huées), c'est vraiment plus libre. Quand une manifestation ne vise pas à satisfaire l'avidité de corporations, on se sent autrement que comme des chiens et chiennes en laisse.
Les anars n'étaient pas dans la manifestation au moment de se faire accrocher par le service d'ordre. Ils/elles patientaient sur le trottoir en attendant que la caravane passe, sans déranger personne. Pourquoi, avec tant d'empressement, constituer un front physique devant eux? Quand les anars ont commencé à se déplacer, la dame au dossard en a profité pour se livrer à quelques insultes bien placées contre ces "élèves de secondaire deux" qui ont pourtant été plus civilisé-e-s qu'elle.
Mais je n'ai pas envie de faire une tempête dans un verre d'eau. Cet incident est juste symptomatique.
Rendons-nous à l'évidence: cette manifestation était d'une inutilité rare.
RépondreSupprimerjuste dire, je t'es pas bloque l'objectif volontairemnt mais vraiment par accident. j'ai accoter mon drapeau sur ma hanche et c'est tomber dans ton objectif, desoler de t'avoir chier la photot (et la nefac c'est au states,ici c'est l'UCL)
RépondreSupprimerAnonyme: ah, c'est vrai? Je corrige tout de suite alors.
RépondreSupprimerEn tout cas, tu n'as pas chié ma photo, bien au contraire. Généralement, je brouille les visages des gens de contingents anarchistes ou d'autres organisations très radicales dans les grandes manifestations. Le fait que tu aies placé par inadvertance ton drapeau devant l'objectif ne m'a pas empêché de prendre le service d'ordre en photo: ça a juste caché les militant-e-s. Donc, a posteriori, je t'en suis reconnaissant, parce que justement, si ma photo n'a pas chié (plein de carrés noirs partout) c'est grâce à toi.
J'ai cru que c'était exprès parce qu'on a souvent protégé ma face sans masque de la même façon, alors que j'étais menacé par les caméras des policiers. Une connaissance s'est aussi pris une balle de caoutchouc dans la cuisse, à Montebello, parce qu'il avait volontairement brandi son drapeau devant le viseur d'un agent. J'ai l'impression que c'est un réflexe chez les anars (et c'en est un bon).
UCL, pas NEFAC, en effet.
RépondreSupprimerJe comprends pourquoi tu es allé, mais je n'aurais pas voulu être là et je suis content de ne pas m'être déplacé.
RépondreSupprimerJe n'ai pas envie de me faire chier avec un service d'ordre quand je vais à une manif et de toute façon, ça se voit bien qu'ils ne veulent pas de nous dans «leurs» manifs (bien que les services publiques ne leur appartiennent pas).
En passant, j'ai parlé à mon ami de l'idée d'un blog/journal et il serait intéressé. On ne voyait pas forcément exactement la chose de la même manière, mais je ne vois rien d'irréconciliable (plus des détails techniques qu'autre chose dans le fond). Je vais voir des gens demain (mardi, 23) qui pourraient se montrer intéressés à embarquer. Si tu vois des gens de ton bord, ne te gêne pas. J'ai dis à mon ami qu'il y avait des gens que je connaissais d'Internet qui embarqueraient peut-être, mais je n'avais pas encore lu ta réponse quand j'ai parlé à mon ami.
Je te reviens avec ça au fur et à mesure qu'il y a des développements. Si jamais tu connais des gens qui voudraient embarquer, ne te gêne pas.
Moi je ne crois pas que ce fut inutile, ça se situe juste totalement à un autre niveau qui, malheureusement, nous dépasse tous.
RépondreSupprimerC'était la fête de ma fille samedi, voilà pourquoi ma conjointe n'y était pas. Sinon, elle y serait allé avec des collègues à elle qui se sont organisés pour monter avec leur syndicat. Des collègues qui vont manifester ensemble contre leur employeur et qui essaient de mobiliser d'autres collègues. C'est ni banal, ni inutile. Et c'est des profs là, pas des militants professionnels comme mes collègues à moi! Pas le genre à descendre dans la rue à la moindre occasion (quoi que plus souvent que le commun des mortels...). En plus, outre ça, y'a un mononcle qui est pas venu à la fête justement parce qu'il allait manifester avec le monde de sa job. C'est un gars qui vit en campagne à une heure de Québec. Le genre à organiser plus volontiers un festival de quad commandité par CHOI Radio X qu'un groupe d'affinité... Mon beau père était tout énervé de tchéquer son Face book pour avoir des nouvelles de la manif qu'il a manqué à cause de la fête de ma fille. Cette semaine j'ai croisé plusieurs connaissances qui y était allé et qui aujourd'hui sont bien crinquées. Y'a même une matante qui m'a parlé avec enthousiasme de se retrouver sur un piquet de grève à l'hôpital parce qu'elle en a marre et qu'elle veut pas se faire couper ses congés de maladie.
Bien honnêtement, je ne l'avais pas vu venir pantoute. Je ne voyais qu'une mer d'huile dans le secteur public. Pis là ben je me rends compte que ça touche beaucoup, beaucoup de monde.
C'est banal descendre dans la rue pour nous. C'est clair. Mais de deux chose l'une, ce ne l'est pas pour les autres. Et je ne peux pas m'empêcher d'avoir du respect pour des organisations qui réussissent à faire descendre autant de monde dans la rue.
Leur service d'ordre est à chier. Leur encadrement aussi. C'est corpo et réformiste à l'os. Mais ils ont un petit quelque chose que nous n'avons pas ...et tant que nous ne l'aurons pas, nous ne serons pas capable d'aller nulle part.
Oups. Je pense que je viens de faire un Philippe Duhamel de moi. Scusez-le.
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