samedi 23 juin 2012

Pas sexistes? Pas xénophobes, ces humoristes?

Les plaintes de Guy Nantel sont reprises dans les grands quotidiens. La CLASSE est à nouveau ridiculisée parce que certain-e-s membres ont proposé de ne pas accepter l'argent des soeurs Rozon et des humoristes ayant participé au spectacle du CHI. Aux dernières nouvelles, en raison de ces questionnements posés par quelques militant-e-s, Juripop et les organisateurs/trices du spectacle auraient finalement décidé de ne pas verser d'argent à la CLASSE. Nantel, qualifié « d'humoriste de gauche » par Philippe Teisceira-Lessard, met la faute sur le mode de fonctionnement de la CLASSE. «Dans une structure où il n'y a aucun leadership et seulement des porte-parole, à un moment donné n'importe quel moron se lève et sort n'importe quelle fausseté.»

J'avais oublié: la démocratie, c'est mal. Merci à l'humoriste « de gauche » d'illustrer avec brio les critiques que plusieurs lui envoient.

Plusieurs humoristes ont apparemment été scandalisés de savoir que certain-e-s de leurs collègues avaient fait leur fortune avec des propos sexistes et xénophobes. Dans un premier temps, Nantel a pensé qu'on s'en prenait surtout à Jean-François Mercier, Maxim Martin et Mike Ward. En ce qui me concerne, ce sont en premier lieu ses propres propos, frôlant le racisme - et s'en défendant - qui me laissent perplexe. Ses numéros sur les accommodements raisonnables me semblent les plus douteux. Son modus operandi: se moquer des racistes avant de les imiter par des propos assez grossiers et des généralisations. Puis les modérer (après avoir passé la censure?) ou de s'expliquer longuement et de justifier sa xénophobie. Il s'attaque souvent aux Juifs/ives, se servant abondamment de clichés pour faire applaudir l'auditoire. Il ne cherche pas à faire rire: il cherche l'approbation de la foule. Il se sert du fait que le public voit largement les spectacles d'humour comme un exutoire. Le rire: un exutoire. Trouver des coupables parmi les immigrant-e-s: un exutoire. Il est facile de faire des allers-retours entre les deux sans briser le rythme. Le public n'y voit que du feu. Habile, non?[1]

Les Musulman-e-s ne sont pas en reste: il dénonce des accommodements à leur égard comme étant une règle répandue et suggère qu'un jour, « à la campagne ce sera plus le coq qui va chanter, à quatre heures du matin tu vas avoir un speaker qui va te crier Allaaaaaah Wou Akbar ». Il déforme, exagère, tente de déclencher une hystérie paranoïaque. Tous les ingrédients de la xénophobie sous le couvert de l'humour. Et Les gens se laissent piéger, ils ovationnent.

Je ne pense pas que le censurer serait la meilleure attitude, mais accepter son argent me semble être une manière de lui donner une license et, en quelque sorte, d'appuyer l'ensemble de son oeuvre. Une manière de dire que lui, c'est notre pote, c'est un gaugauche comme nous autres.

Les propos sexistes des humoristes sont tellement nombreux et grossiers qu'il est absolument impossible d'en faire une étude exhaustive. À côté, les pubs de bière sont gentilles. Plusieurs prétendront qu'il est impossible de mettre le sujet du sexe de côté dans l'humour, parce que le sexe est partout et fait partie de la réalité de tous et toutes. Mais il y a plusieurs manières d'en parler et de faire rire, sans encourager les stéréotypes. N. N. en est un exemple (il parle aussi français). Il touche à tout avec audace, même à une certaine génitalité. Et c'est hilarant. Pourtant, ce n'est ni sexiste, ni machiste. L'humour peut réellement être au service du progrès dans l'égalité des genres. Au lieu de ça, plusieurs humoristes (je dirais même la majorité des humoristes mainstream) en font un instrument de domination machiste.

Un autre exemple frappant m'est venu à l'esprit quand j'ai vu la liste des membres du CHI: Jean-François Mercier et son célèbre conte de Noël, dans lequel il conforte l'idée de dualité entre «bons» et «mauvais» pauvres, un bon mythe libéral (au sens idéologique). Ce monologue ne sert pas à divertir, mais à édifier. Vous comprendrez en le regardant. Les minutes passent et on présente un personnage de «bon» pauvre, une femme qui a perdu son chum (riche) et sa job. Une femme travaillante qui avait beaucoup d'argent et qui maintenant doit aller chercher un panier de Noël. Une femme d'une gentillesse absolue. De l'autre côté, le «mauvais» pauvre : un squeegee qui ne sait pas reconnaître une bonne bouteille de vin quand il en voit une et qui finit par violer la femme en question. Ici, on ne parle plus de caricature. C'est un récit qui se veut d'une grande tristesse qui est fait pour toucher le public.  Le plus idiot dans tout ça: personne ne s'est rendu compte des stéréotypes totalement nauséabonds colportés par le numéro sur les marginaux/ales. Mercier a même été ovationné et encensé dans La Presse. Quant à sa performance au célèbre bye bye, on y reviendra pas.

Nantel et Mercier ne sont que deux exemples parmi tant d'autres. Il y a une pléthore d'humoristes qui font dans l'humour con et qui jouent sur les mêmes cordes sensibles qu'Andrée Watters et Annie Villeneuve. Textes faciles, art générique, gros cash. Ou encore propagande cachée en-dessous d'un vernis artistique.

Ils peuvent bien s'en défendre en disant que c'est de l'ironie, du sarcasme, que leurs paroles n'ont pas de conséquences. Mais prétendre que la parole publique n'est pas politique qu'elle n'a pas d'effets sur les moeurs, eh bien c'est complètement imbécile. L'humour n'est pas qu'une façon de dépeindre une réalité en la rendant ridicule: c'est une manière de distribuer des licences morales ou de dénoncer.

Les complexes de stars me dérangent aussi un peu. Plusieurs humoristes n'ont pas vraiment présenté de contenu neuf et les interventions étaient limitées à dix minutes. Alors, vous pensez que donner dix minutes à une cause vous met à l'abri de toute critique? La CLASSE est-elle donc si dégueulasse de se poser des questions sur votre générosité et sur votre engagement désintéressé, digne de Mère Theresa? C'est pas comme ça que ça fonctionne.

_________

[1] Deuxième degré mon cul.

13 commentaires:

  1. Je voulais écrire de quoi de féministe/pro démocratie directe genre "lettre aux soeurs rozon", mais ce billet me conviens assez pour que ça me tente plutôt d aller boire de la sangria dehors. merci je vais me reprendre :)

    -pwl

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  2. Eh bien, génial! Je suis content que tu aies apprécié.

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  3. Halala. Cette grève nous fait vraiment questionner sur toute une panoplie de chose.

    Je suis de l'avis de Desproges: on peut, et doit, rire de tout.

    Coluche avait des blagues salées et assez premier degré merci sur les juifs, les noirs, les gais, les arabes etc. Je pense que sa défense était de dire qu'il s'attaquait à tout indistinctement.

    Que les humoristes québécois colportent des discours larvés d'homophobie et de sexisme... J'en conviens. On pourrait étendre la critique vraiment plus large. C'est pas compliqué: essayez d'écouter la télé cinq minutes sans voir un cliché sexiste, patriarcal ou n'importe quelle autre forme d'oppression. Bonne chance!

    Les humoristes, comme tous les humains, sont le reflets de la société dans laquelle ils vivent.

    Je vais poursuivre ma réflexion sur le sujet.

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  4. Oui, on peut rire de tout. Et il faut rire de tout.

    Mais il y a une différence bien réelle entre humour et agitation xénophobe et/ou haineuse, ou exploitation de stéréotypes éculés. Des pas qui ont été franchis par des gens comme Dieudonné après "Mes Excuses".

    La manière que Coluche a de se moquer de cultures est d'un tout autre ordre. Qui peut réellement se sentir offensé, par exemple, de sa "chanson canadienne"?

    http://www.youtube.com/watch?v=9XCukflLFKM

    C'est sympathique sans être trop folklorisant ou raciste. Et c'est clairement une joke, une parodie somme toute assez gentille. Le reste? Beaucoup de caricature du discours raciste, entre autres. Mais je ne connais pas toute l'oeuvre de Coluche.

    Il y a d'autres manières de faire. Luis Rego qui "donne la parole" à un Africain dans "La journée d'un fasciste". C'est une caricature, mais Rego ne manque cependant pas de mettre dans sa bouche quelque mot d'esprit.

    Comme le personnage d'Apu, dans Les Simpsons, n'est pas une critique raciste. On peut très bien rire de plusieurs groupes sans les ostraciser. Ça inclue même les féministes! La première chose à faire, c'est de se renseigner, afin de faire une caricature dans laquelle les personnes concernées se reconnaissent. Or, la plupart du temps, chez nos humoristes préférés, ces caricatures sont ignorantes et donc "mal" stéréotypées.

    Nantel et Mercier font dans le propos éditorial sérieux. Mercier pratique souvent l'ironie, mais l'exemple fourni plus haut n'en est pas. Quant à Nantel, eh bien...

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  5. François, je pense que tu serais le premier à dénoncer les affiches "humoristiques" des fafs mutilant un gars portant un t-shirt de l'Agitée, ou le Dieudonné post-"Mes Excuses".

    L'humour n'est pas indépendant de toute forme de discours. Ce n'est pas une zone neutre de la parole. Il s'intègre au discours, qu'il soit raciste, humaniste, anarchiste, machiste, ou qu'il fasse juste raconter l'histoire d'un party qui a eu lieu chez un ami il y a sept ans. On a tendance à l'oublier.

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  6. La ligne à adopter est peut-être que s'attaquer aux opprimés c'est pas correct alors que rire des oppresseurs, c'est correct.

    La radio-poubelle dit que "lorsque c'est un groupe de gauche, on fait rien, alors que quand c un groupe de droite, on veut les bannirs".

    Je pense que ça n'a rien à voir avec la gauche et la droite. C'est leur définition des oppressés et des oppresseurs qui est bancale. Pour eux, ce sont les étudiants, les privilégiés, qui briment le droit de circuler en char librement.

    Si la droite se sent opprimée, c'est peut-être simplement parce qu'elle est plus raciste, xénophobe ou machiste que la gauche?

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  7. Je le répète: je suis contre la censure de pas mal de propos qui peuvent paraître inacceptables. Mais je trouve aussi qu'il est tout à fait logique et sain de se poser des questions sur le fait d'accepter ou non de l'argent de la part de gens qui tiennent des propos inacceptables. Accepterions-nous de l'argent de la CAQ?

    Maintenant, je suis pas nécessairement d'accord avec le libellé exact de la proposition faite au Congrès de la CLASSE(?), mais je suis pas délégué, alors j'ai aucune idée des débats qui y ont cours.

    En ce qui concerne l'humour de droite vs l'humour de gauche, je pense que c'est pas si simple. Et j'ai l'impression que le sujet vient entre autres choses à cause de Mise en Demeure.

    Mais l'analyse tient en bonne partie. On peut s'en permettre beaucoup plus envers les puissant-e-s qu'envers les groupes ostracisés justement parce qu'ils sont moins faciles à ébranler.

    De plus, l'humour est souvent un outil politique; autant, s'il attaque des dirigeant-e-s, ce peut être un outil contestataire. Autant, s'il attaque les pauvres gens, ce peut être un outil d'oppression.

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  8. Sur le sujet de la liberté d'expression, on a eu une sorte de débat à Québec. L'opinion d'un camarade de Québec et des camarades du Saguenay, tous de l'UCL, divergeaient.

    Bof tout est dans la nuance. À mon avis c'est inacceptable de porter des propos haineux sur des ondes publiques où à la télé.

    Encore une fois, ça n'a rien à voir avec la gauche ou la droite. Je vais être franc: selon moi, ça devrait être interdit. Ce n'est pas parce que c'est juste des mots que ça n'a pas de graves conséquences.

    Encore faut-il faire preuve de discernement. Un "les manifestants devraient tous être mis en prison" ça peut s'entendre une fois... Mais quand ces attaques sont systématiques, quand on fait des amalgames douteux avec le KKK, les terroristes du FLQ et que c'est rendu tellement commun que s'en est banal, là c'est trop.

    Ya plein de nuances à faire.

    N'empêche que dans cette histoire, j'ai beau être d'accord avec le principe, les féministes vont encore passer pour les méchantes.

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  9. Fuck la censure, fuck les ideologues moraux qui ironiquement, sont la plaie qu'ils hurlent apercevoir chez l'autre. Fuck les extrémistes on any fucking side. Fuck les antiracistes. Fuck les ptis anarchiste qui osent prétendre comprendre l'anarchie en abordant une manière totalitariste de voir le monde. Fuck l'intransigeance de pensée. Fuck le motherfucking délit de fucking opinion de merde. Fuck intense de votre snobisme de vous croire supérieur aux autres en étant un fucking idéologue... Fuck les antisexistes absolus qui voudrait interdire le rire! Vous êtes pas des féministes, vous ÊTES les réels sexistes. Fuck votre pureté judéochrétienne de merde de vous laver a la fucking eau bénite! Ah! Voila c'est dit! Bref, la seule chose avec laquelle je me permet d'être intransigeant, c'est l'intransigeance elle-même! Un message d'un anarcho-communo-fémini-masculi-pronuance-proethnie en osti qui vous envoit tous chier tous autant que vous êtes. Tous les extrémistes... Vous êtes les seuls qui méritez mon plus profond dégout a l'égard de vos piètres personnes... Lol en espérant que vous sublimerez votre colère vers un raisonnement (un bon début dans votre cheminement personnel ;) ) plutôt que vers une position encore plus extrémistes du monde. Vous avez vos oeillères si profondément incrustées aux yeux que l'on s'étonne que vous n'ayez pas encore votre chien MIRA!

    Sur ce peace and fuck! Si l'anarchie-communiste ou tout simplement un monde plus égal et plus poussé vers l'autonomie plutôt que vers le nivellement vers le bas en imposant des lois qui s'appliquent au plus attardé humain sur terre... pourra un jour se faire, ce sera sans votre nuisance...

    Si ce message ne s'adresse pas a vous, ne vous sentez pas concerné, mais si effectivement vous vous sentez concerné... Réfléchissez OSTI!

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  10. Pour quelqu'un qui se dit tolérant, je trouve que tu envoies chier pas mal de monde, ce qui m'empêche d'ailleurs de comprendre ce que tu veux dire clairement.

    Pour que quelqu'un se sente visé-e, il faut être précis-e, pas tirer dans tous les sens.

    Peut-être peux-tu répondre à la question: que fait-on avec des xénophobes? Est-ce qu'on les met en prison? Est-ce qu'on les tolère? Est-ce qu'on essaie de dialoguer avec eux? Est-ce qu'entretemps on accepte leur argent? Est-ce qu'on pardonne le temps d'un show contre la loi 78?

    On parle d'extrémisme et d'eau bénite, mais ce que je constate, c'est que l'humour est sacralisé au Québec. Trouver un angle de critique est problématique, au point où ne pas être d'accord devient presque, justement, un délit d'opinion. Hey, est-ce qu'on a le droit de pas être d'accord avec ce qui se dit, de débattre et d'avoir des exigences en matière d'humour? De peser le pour et le contre?

    Beaucoup d'humoristes commentent l'actualité et la politique en portant un message. La forme ne les place pas dans un espace hors du temps.

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  11. Rire de quelque chose ne nous oblige pas toujours à le faire de façon évidente, déguisé en clown, etc. J'aime bien dire des choses que je trouve ridicule d'une façon sérieuse, et j'aime le moment quand les gens se demandent si ce que je dis est sérieux, et évaluent le contenu et pas juste l'apparence.

    Deux personnes peuvent faire la même blague avec des intentions différentes (par ex. un est racisme et l'autre non).

    Il est permis de se questionner. Ça peut aussi servir à ça l'humour. Une fois qu'on comprend par contre que les intentions n'étaient pas cela, on ne doit pas resté collé sur la première idée qu'on avait.

    Parfois c'est "ridicule", et je parle "comme si" j'étais sérieux, même si je sais que malheureusement ça existe pour vrai des gens "comme ça".

    Même si je suis sensible aux autres, parfois trop, je pense qu'il est important, amusant, etc. de briser les barrières avec l'humour. Je vais continuer à le faire, malgré le risque que je me sente mal quand quelqu'un réagit mal à mon humour.

    Si on n'est pas sexisme/racisme/etc., ça devrait être correcte de faire des blagues sur les sexes/races/etc. Penser le contraire peut ensuite remettre en question tout type de blague qui touche des gens (être blonde, juif, newfie ou être noir... il n'y en a pas un qui est mieux que l'autre!).

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  12. Je fais aussi très souvent dans l'humour pince-sans-rire et dans l'humour le plus noir. J'ai une grande sensibilité pour ce genre d'humour.

    Mais ce que fait Nantel dans les clips en question, c'est pas ça. C'est un humour de «conscientisation», qui vise à déclencher une réflexion par une blague qui est, au fond, sérieuse. C'est donc le contraire de l'humour pince-sans-rire. Il est là, sans doute, le deuxième degré, finalement! Et quand le second degré aussi est raciste, eh bien on a un foutu problème.

    Quand tu veux faire rire ton auditoire, il faut à un moment où à un autre que tu lui dévoiles que tu le niaises, d'une manière ou d'une autre. C'est justement le concept de l'humour: il faut que tu envoies un message en faisant un signe quelconque! Si ton public visé ne comprend pas ton "second degré", tu as lamentablement échoué!

    Quand Faurisson (un négationniste) est monté sur scène et a embrassé Dieudonné au Zénith, il y en a encore qui ont parlé du second degré. Le second degré devient dans ce genre de situation une sorte de bouclier.

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  13. Âne Onyme devrait cesser de s'abreuver chez Culbécor...

    Là, je comprends encore mieux cette décision. Finalement, ils ont foutrement raison!

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